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par Philippe Ballarini

Le statoréacteur
passé, présent ou futur?

Imaginer un dispositif propulsif reproduisant le cycle thermodynamique classique compression-combustion-détente, ce sans aucune pièce mobile, c'est ce à quoi était parvenu dès le début du XXème siècle l'ingénieur René Lorin. L'originalité du principe était de réduire le propulseur à un simple tube. Son invention arrivait bien trop tôt. En effet, pour que son statoréacteur (ou plutôt, la tuyère thermo-propulsive, comme aimera à la nommer René Leduc) puisse fonctionner, il fallait que la vitesse de l'air (afin d'obtenir la compression nécessaire) à l'entrée de la tuyère atteigne une vitesse qu'aucune machine de l'époque n'était en mesure de prodiguer (de l'ordre de 200 km/h).  René Lorin n'est donc pas passé au stade de la réalisation.

L'ingénieur René Lorin.

Quatre ans à peine après que Blériot eût traversé la Manche, l'étonnant René Lorin décrivait dans la revue l'Aérophile le principe d'un moteur à réaction sans hélice ni pièce en mouvement.

Collection Guy Lorin                     Clic

combustion & détente

échappement

admission

admission d'air

éjection des gaz brûlés

"vent" relatif

injecteurs de carburant

Il fallut attendre la "redécouverte" du procédé par René Leduc pour que la tuyère thermopropulsive prenne enfin vie. Le statoréacteur a pu sembler le moteur idéal, en particulier pour la conquête des hautes vitesses. Il est vrai que ses atouts ne sont pas minces. L'absence de pièces mobiles, un coût plutôt faible en raison de sa simplicité de construction, une consommation en carburant très inférieure à celle des fusées, sans compter son adéquation aux vitesses élevées, autant d'éléments prêchant pour sa faveur et expliquant sans doute l'acharnement de René Leduc de le voir s'imposer dans le monde de l'aéronautique.

Pourtant, le statoréacteur souffre d'un défaut majeur et difficilement réductible: son incapacité à faire décoller seul un quelconque engin volant. Un appareil équipé de ce mode de propulsion se voit donc nécessairement soit largué depuis un appareil porteur, soit équipé d'une propulsion mixte assurant son décollage, voire encore catapulté depuis un chariot spécial, ce qui, force est de le reconnaître, complique singulièrement sa mise en œuvre.

Néanmoins, le statoréacteur n'a pas disparu de la scène aéronautique avec les Leduc et les "Griffon" de Nord-Aviation, ces derniers dotés d'un combiné turbo-stato.

Des organismes comme Sud-Aviation, Nord-Aviation ou l'ONERA comprirent rapidement le parti qu'elles pouvaient tirer du procédé, des vitesses supérieures à Mach 3,5 étant difficilement envisageables avec un turboréacteur utilisé seul. Dès le début des années cinquante furent conçus différents missiles tactiques à propulsion par statoréacteur, accélérés par des fusées à poudre. Un exemple de ce système: l'actuel missile air-sol ASMP (Air-Sol Moyenne Portée) de Matra-Aerospatiale.

Pour autant, l'avenir du statoréacteur ne se limitera peut-être pas aux seuls missiles. De part et d'autre de l'Atlantique, nombre de chercheurs semblent considérer qu'un avenir brillant se profile pour des moteurs combinant turboréacteur au décollage, statoréacteur pour des vitesses largement hypersoniques, et fusée lors de passages hors de l'atmosphère. Le statoréacteur interviendrait pour des vitesses supérieures à Mach 3 (rappelons qu'à ce jour, l'appareil à propulsion atmosphérique le plus rapide demeure le SR-71 à Mach 3).

Ce concept a été étudié en particulier pour envisager la création d'avions "orbitaux", capables de s'affranchir seuls de la limite entre l'atmosphère et le vide qui délimite la nouvelle frontière pour l'aviation du XXIème siècle, visant à se passer des forts dispendieux lanceurs-fusées.

Malgré l'échec relatif de Leduc, le statoréacteur fait donc école. Il est à noter que si Américains et Russes étudient de près ce type de réacteur, la France qui a toujours été à la pointe dans le domaine des statoréacteurs dont elle est l'initiatrice, conserve une place prépondérante dans ce domaine où les projets ne manquent pas. La fin des Leduc ne signifie donc pas pour autant la fin des statoréacteurs, promis à un bel avenir dans le domaine des hypervitesses (supérieures à Mach 5) où les turboréacteurs sont inopérants.

©
Aérostories, 2000

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Le Griffon de Nord-Aviation utilisait un combiné turbo-statoréacteur, comme le Leduc 022. Comme les Leduc, il sera abandonné (en 1961), après que ses essais aient apporté une vaste moisson de données sur l'échauffement lié aux hautes vitesses. Le Griffon III tout acier destiné à résoudre le problème des parois chaudes n'aura malheureusement pas vu le jour.

Document Aérostatiale                        Clic

Un ASMP sous un Mirage 2000. La prise d'air droite du statoréacteur est bien visible.

Photo Olivier Klene                Clic

L'ambitieux projet britannique d'avion orbital "Hotol" (HOrizontal Take-Off & Landing = décollage et atterrissage horizontal), étudié par British Aerospace dans les années 1980 (et abandonné depuis) prévoyait l'utilisation d'un moteur combiné turbo-stato-fusées. L'Hotol ne verra pas le jour, ce qui n'est peut-être pas le cas d'un projet de Boeing concernant un avion hypersonique de reconnaissance stratégique utilisant le même type de moteur combiné.

Document British Aerospace