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Les travaux
de Leduc reprirent à la Libération, mais en raison de difficultés
d'approvisionnement, ceux-ci progressèrent lentement.
L'un des principaux problèmes du statoréacteur, c'est
son absence de poussée au point fixe. Pour obtenir une vitesse
initiale nécessaire à la mise en route de sa tuyère, René Leduc
imagina de larguer son appareil en altitude depuis un avion porteur.
L'appareil choisi fut un quadrimoteur de transport SE-161
"Languedoc" spécialement modifié.
C'est ainsi que le 19 novembre 1946, le Leduc 010, piloté
par Jean Gonord, effectua son premier vol en composite, sur le
dos du Languedoc numéro 6, sur le petit terrain de Blagnac. Le
pilote porteur était le colonel Jean Perrin, qui devint le grand
spécialiste de ce type de missions. Il fallut attendre encore
de longs mois avant que le 010 ne soit largué pour la première
fois, le 21 octobre 1947. À l'issue de ce premier vol plané,
l'avion sortit de la courte piste et les pneus éclatèrent.
L'enthousiasme de Gonord eut raison des réticences des officiels
présents et les vols purent continuer.
Ainsi, après quelques vols en composite et deux vols planés, suivis
d'une longue période d'arrêt des activités en attendant
l'arrivée des équipements indispensables, le vol historique
put enfin avoir lieu: le 21 avril 1949, après avoir été largué
au dessus de Blagnac, Jean Gonord alluma la tuyère et effectua
une montée sur la seule poussée de son statoréacteur.
Durant la guerre, divers essais avaient été menés (en particulier
an URSS et en Allemagne, mais aussi aux États-Unis) sur des tuyères
montées expérimentalement sur des avions porteurs, quelques obus
avaient utilisé ce type de propulsion pour augmenter leur portée
et de nombreux projets avaient commencé à voir le jour. Néanmoins,
ce vol du Leduc 010, tuyère allumée, le 21 avril 1949, représente
le premier vol d'un avion propulsé seulement par statoréacteur.
Après ce succès, les essais s'enchaînèrent et, en quelques
vols, le Leduc 010 fit la preuve des extraordinaires possibilités
de la "tuyère thermopropulsive", notamment sa vitesse
ascensionnelle époustouflante. Avant même que la cabine ne soit
pressurisée, Gonord se retrouva propulsé à 11 000 m
en quelques minutes. Au cours d'un autre vol, c'est sa
vitesse qui lui joua des tours: à Mach 0,85, il entra dans de
violents effets de compressibilité qui lui firent faire des bonds
de plus de 600 m d'altitude. Ce fut sans doute le premier
avion français à expérimenter ce phénomène.
René Leduc ne pouvait aller plus loin en n'étant qu'un
simple ingénieur privé, travaillant à temps partiel pour la société
Breguet. Il créa donc une société et retourna s'installer
en région parisienne, à Argenteuil. Il obtint plusieurs marchés
d'État pour la construction et les essais d'autres prototypes.
Ainsi, un second 010 fut construit. Les essais menés en région
parisienne étant fortement handicapés par les conditions météorologiques
défavorables, René Leduc installa ses essais en vol en Provence,
sur la base aérienne d'Istres, en 1951.
C'est là que les deux 010 furent essayés par Jean Gonord,
aidé d'un second pilote: Yvan Littolff, sous la direction
de l'ingénieur Jean Corriol. Un troisième exemplaire fut construit,
équipé de deux réacteurs supplémentaires en bout d'ailes.
Il fut désigné Leduc 016. Malheureusement, la mise au point
de ce 016 s'avéra très délicate et, après diverses tentatives,
les réacteurs furent démontés.
Une campagne d'essais fut menée par le CEV, avec comme pilote
étatique Jean Sarrail, sous la direction de l'ingénieur d'essais
Jean Caillard. Hélas, suite à une défaillance technique, cette
campagne d'essais s'acheva par la destruction accidentelle
de l'un des 010, le pilote étant très grièvement blessé. L'année
suivante, c'est Yvan Littolff qui fut grièvement blessé, à
son tour, dans l'accident qui entraîna la destruction du second
010. Jean Gonord ayant mis fin à sa carrière de pilote d'essais,
c'est Jean Sarrail qui fut embauché pour poursuivre les essais.
Les vols se poursuivirent sur le 016, qui fut ensuite rejoint
par deux nouveaux avions, beaucoup plus gros, les Leduc 021.
Sarrail et Littolff se partagèrent les essais sur ces deux appareils
qui reléguèrent le 016 au Musée de l'Air en 1953. Ces deux
avions totalisèrent 385 vols, dont 248 largages. Là encore, une
campagne d'essais du CEV eut lieu en 1955, peu avant la présentation
au Bourget de ces avions. Le pilote d'État fut Bernard Witt,
avec comme ingénieurs d'essais André Bourra pour la partie
cellule et surtout Charles Bourgarel pour la partie propulsion
de ce "moteur volant".
Il est intéressant de signaler au passage que, outre l'originalité
de leur système de propulsion, les avions Leduc étaient le siège
d'innombrables innovations et prouesses techniques. Parmi
elles, on peut souligner l'utilisation de l'une des premières
turbines réalisées en France, pour l'entraînement des instruments
et la fourniture d'énergie, la cabine largable, les servocommandes
hydrauliques, les ailes fraisées dans la masse faisant office
de réservoir structural,…
Les deux 021 achevèrent leur carrière lorsque le Leduc 022
effectua ses premiers vols, en décembre 1956. Ce dernier était
équipé d'un turboréacteur central qui lui permettait de décoller
et de voler tout seul, sans l'aide d'un avion porteur.
Il totalisa 141 vols au cours de l'année qui suivit, jusqu'à
ce qu'un incident au roulage n'abîme le fuselage. Les
progrès réalisés entre-temps par le turboréacteur à postcombustion
et les difficultés budgétaires de la France en période de crise
en Algérie, eurent raison des prototypes en cours de mise au point
à l'époque (Trident, Gerfaut, Durandal, Baroudeur, Griffon,
Leduc,…).
Les essais furent définitivement stoppés en 1958 et René Leduc
fut contraint d'abandonner son activité d'avionneur. Sa
société perdura, malgré le licenciement massif, et elle existe
toujours, à Azerailles, en Meurthe-et-Moselle, où elle fabrique
des éléments hydrauliques.
© Aérostories,
2000
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