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Le système d'alimentation en carburant est composé d'une pompe centrifuge à deux étages pour le corps central, d'un système de contrôle du débit Hamilton Standard JFC-47 ou 51, ou encore AiResearch, plus une pompe entraînée par l'air de la turbine pour la postcombustion. Après avoir absorbé une partie de la chaleur du fuselage, le carburant chaud est utilisé comme liquide hydraulique pour les tuyères principale et de postcombustion, puis parvient aux réacteurs à une température de 320°C à 370°C (600°F à 700°F) sous une pression de 9,10 kg/cm² (130 Psi).
De nombreux et longs essais de carburants furent menés. Les recherchent amenèrent à envisager des solutions très diverses telles que l'emploi d'hydrogène liquide, de dérivés de charbon ou de composés de bore. L'emploi de l'hydrogène fut abandonné au vu des problèmes posés par le Lockheed CL-400 et le Pratt & Whitney 304. Le charbon pour sa part entraîne une érosion rapide des éléments de turbine due aux cendres de combustion. Le bore quant à lui est d'un emploi difficile.
Les premières versions du JT11 furent développées avec des carburants classiques JP-4 ou JP-5 (MIL-F-5624B; TR-4 ou TR-5). Les conditions de chaleur extrême dans lesquelles devait évoluer le réacteur nécessitèrent des études sur des carburants spéciaux, à base de dérivés de Bore, afin de réduire la tension de vapeur et la production de carbone. De plus, les températures rencontrées en vol s'échelonnent de -70°C (-90°F) en vol subsonique, à plus de 180°C (350°F) à grande vitesse. Ces essais donnèrent lieu à de sérieuses difficultés (attaque du métal, phénomènes de cobréfaction,...). Sur le North American B-70 Valkyrie, le carburant employé était du JP-6, saturé d'azote avant être envoyé dans les moteurs. Le A-12 devant être employé n'importe où dans le monde, utilisant le ravitaillement en vol, le carburant devait être plus aisé à manipuler. La C.I.A. voulait pouvoir déployer une petite flotte d'appareils avec une grande flexibilité, ceux-ci devaient donc être libres des contraintes dues au stockage ou à la nature du carburant employé. Les essais furent menés sur des J58 qui fonctionnèrent avec de nombreux mélanges testés sur la rampe de postcombustion. L'emploi généralisé à tout le réacteur n'intervint que beaucoup plus tard. Finalement, la solution qui s'imposa fut celle des dérivés pétroliers. Le problème fut posé à Jimmy Doolittle, un vieil ami des industriels de chez Lockheed, à la tête d'un département de la Shell. Cette coopération avait déjà permis la mise au point d'un carburant spécial pour les U-2, appelé LF-1A (Lockheed Lighter Fluid 1). La Shell se lança donc dans l'étude d'un nouveau carburant, avec l'aide des compagnies Ashland et Monsanto, en collaboration avec Pratt & Whitney. Le résultat reçut la désignation de LF-2A. L'USAF l'employa sous le nom PF-1 (à ne pas confondre avec le carburant issu plus tard de la norme MIL-P-87173 qui fut lui aussi baptisé PF-1). Toute la période de mise au point ainsi que les premières années opérationnelles des Blackbirds se déroulèrent avec ce PF-1.
A cause de la très haute altitude et de la très grande vitesse de l'avion, le combustible se devait d'avoir une faible tension de vapeur et une excellente stabilité thermique à l'oxydation. De plus, afin d'assurer une bonne durée de vie aux brûleurs, le carburant devait avoir d'excellentes qualités de combustion, initialement spécifiées en termes de luminométrie, mais ensuite reprises sur des critères de contenance en hydrogène. Ainsi naquit le JP-7, qui remplaça le PF-1 en 1970, avec la parution de la spécification MIL-T-38219: "Turbine fuel, low volability, JP-7" (JP-7, carburant pour réacteur, faiblement volatil).
Ces contraintes limitent l'essentiel de la composition du JP-7 à des paraffines et des cycloparaffines. Sa contenance typique en composés aromatiques (composés chimiques contenant un cycle carbonique, benzène ou toluène par exemple) est inférieure à 3% du volume, contre 5% à 20% dans les carburants courants. Cette composition entraîne une température de solidification relativement élevée: -43,5°C (-45°F), mais le SR-71 ne reste que peu de temps en vol subsonique en altitude moyenne, zone où il rencontre les plus basses températures. Cela impose tout de même la présence de réchauffeurs dans les citernes des ravitailleurs spéciaux KC-135Q.
Ce carburant est peu volatil, à basse tension de vapeur saturante: 25 mm de mercure, possède un point d'ignition très élevé: 60°C (110°F), une viscosité de 10 centistokes à -40°C (-40°F) et 8 centistokes à -20°C (-4°F) et une densité de 0,779 à 0,806, soit une masse de 0,8 kg/l (6,5 lb/gallon) à une température de 15°C (59°F). Ces propriétés permettent d'éviter les incidents lorsque l'avion est au sol. En effet, à cause de la conception des réservoirs, lorsque le métal se rétracte à basse température, le Blackbird fuit de toutes parts, obligeant à une vidange systématique de tout l'appareil. Cela provoque aussi des coulées sous le fuselage. Où l'intérêt du JP-7 qui ne peut s'enflammer accidentellement à la température ambiante, même si une allumette tombe dans l'une des immanquables flaques présentes sous l'avion. De plus, la faible tension de vapeur et le point d'ignition élevés permettent de voler à très haute altitude (basse pression) et grande vitesse (échauffement élevé), sans nécessiter l'emploi de réservoirs pressurisés, très résistants mais très lourds. En revanche, sa viscosité importante aux températures normales (à 25°C, le JP-7 ressemble plus à une sorte de goudron ou de colle qu'à un liquide) oblige, comme pour les lubrifiants, à le préchauffer avant la mise en route.
Le JP-7 n'est pas un carburant raffiné comme le sont la plupart des autres carburants, il est fabriqué à partir de mélanges de stocks spéciaux qui ont préalablement été soumis à des processus particuliers pour extraire les composés aromatiques. Il en résulte un carburant très propre, avec une très faible teneur en impuretés telles que le soufre, l'azote ou l'oxygène, généralement présentes dans les hydrocarbures raffinés. Il en découle aussi une très bonne stabilité d'oxydation thermique, mais aussi un très faible pouvoir lubrifiant. Ce dernier point nécessite l'adjonction d'un lubrifiant spécial, issu des spécifications de Pratt & Whitney, afin de pouvoir l'utiliser comme fluide hydraulique pour actionner les pompes de fuselage et de moteur. Cet additif à base de fluocarbone, désigné PWA-536 représente environ 0,2% à 0,25% de la masse du carburant. Sa validation se fait après des tests d'endurance des pompes à carburant, menés à 149°C (298°F).
L'allumage ne pouvant se faire classiquement par étincelle, le démarrage s'effectue grâce à un catalyseur désigné T.E.B. (Tetra Ethyl Borane). Ce dernier était conçu à l'origine pour le B-70 pour l'allumage des brûleurs et de la réchauffe. Ce procédé permet d'éviter la présence d'un arc électrique à l'allumage et limite les besoins de réfrigération. En contrepartie, cela impose la présence d'un petit réservoir supplémentaire sur le dessus du réacteur pour pouvoir redémarrer en cas d'extinction. Il n'y a aucun autre moyen de mise en route, aussi, lorsque tout le T.E.B. d'un réacteur a été consommé, il est nécessaire de se poser sur un seul moteur. Le risque est alors d'autant plus grand que le Blackbird est incapable de se poser sans moteur. Il est possible que le T.E.B. soit parfois employé sur le SR-71 pour augmenter momentanément les performances des réacteurs à haute altitude, mais cela est fort peu probable. En revanche, son manque de fluidité obligea l'U.S. Air Force à mettre en oeuvre des ravitailleurs KC-135 spécialement modifiés. Ces derniers, au nombre de 56, sont connus sous la désignation KC-135Q. Outre des équipements électroniques spécialement adaptés aux missions particulières des SR-71, U-2 et TR-1, ils sont équipés de systèmes permettant de chauffer le carburant dans les réservoirs afin d'en faciliter le transfert. De plus, le JP-7 étant très différent des carburants classiques, les réservoirs de ravitaillement et ceux du KC-135 lui-même doivent être séparés.
Tout ceci nécessite bien entendu des équipements de sol spéciaux pour la manipulation des "liquides" intervenant dans le fonctionnement des J58.
© Aérostories 2002
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