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Le cœur du SR-71 "Blackbird" : le puissant réacteur J-58

par  Philippe Ricco

Genèse

1.1 : Développement

Le Blackbird est le seul appareil jamais construit autour du J-58 (JT-11). Ce turboréacteur a été développé pour un programme de l'US Navy par Pratt & Whitney, au centre de recherches et de développements de West Palm Beach en Floride. Si l'existence du Blackbird ne fut révélée que le 28 février 1964 par le président américain Lyndon B. Johnson, le réacteur JT-11 en revanche était déjà connu des spécialistes.

Le premier réacteur trisonique conçu par Pratt & Whitney pour équiper le bombardier North-American XB-70 était le J-91 (alias JT-9). Cependant, l'horizon de ce bombardier hexaréacteur étant incertaines, les fruits de ses études furent mis à profit pour réaliser un autre réacteur plus petit, lui aussi trisonique, destiné à la marine et désigné JT-11, qui allait devenir le J-58. Les premières études de ce turboréacteur furent lancées en 1956. Au début, il était étudié sur fonds propres de la société, mais rapidement, l'U.S. NAVY, qui développait un avion d'attaque de la catégorie Mach 3, en finança le développement. Les besoins de l'US Navy concernaient un moteur capable de fournir une poussée suffisante pour un vol soutenu aux environs de Mach 2,5 avec des pointes à plus de Mach 3 durant quelques secondes. Initialement, il devait équiper une variante poussée du North American A3J-1 qui donna plus tard naissance au RA-5C "Vigilante". Dans le cadre de ce programme, deux projets virent également le jour chez Vought sous les désignations V-418 et V-419, plus connus sous le nom plus générique de F-8U-3 "
Crusader III". Le premier était équipé d'un J-75, le second devait recevoir un J-58. Le réacteur devait utiliser le principe du statoréacteur pour suppléer le faible taux de pression du compresseur axial. Il était prévu pour fournir 11 800 kg de poussée (26 000 lb) avec postcombustion, au niveau de la mer. La première aide officielle aurait été fournie en août 1959: 11,2 millions de dollars (55 M.F.), à l'occasion d'une première commande de 30 prototypes. Entre-temps, le YJ-58 avait commencé ses essais au banc (en 1957). Les essais de qualification de 50 heures datent d'août 1958, Ce qui dénote une grande célérité dans le développement de ce nouveau réacteur. Hélas, devant l'excessive augmentation du coût, l'US Navy finit par abandonner le projet. Seul le Vought V-418 aboutit à la réalisation de deux prototypes XF-8U-3, mais, là encore, le projet fut abandonné après la sortie d'usine du premier F-8U-3 de présérie au profit du Mc Donnell Douglas F4H-1 "Phantom II".

À cette même époque, des essais étaient menés dans les installations spéciales de Wilgoos. Là, sur les bancs d'essais, des conditions de vol à Mach 3,2 jusqu'à plus de 30 000 m étaient simulées. La chambre d'expérience pouvait être alimentée en air sous haute pression (deux atmosphères) à raison de 340 kilogrammes par seconde (750 lb/s). Pratt & Whitney envisageait alors deux développements possibles de son super-moteur: une version militaire, réacteur puissant, étudié pour propulser un appareil à haute altitude à Mach 3, et une variante civile, capable de fournir une poussée importante (de l'ordre de 20 tonnes) durant des temps assez longs. Il se présentait alors sous l'aspect typique des projets des années 1950 : le "tout supersonique".

En parallèle, Pratt & Whitney effectuait la mise au point de son moteur à hydrogène Modèle 304 qui, malgré son abandon officiel, poursuivit des essais satisfaisants jusqu'en octobre 1958. Ce dernier avait alors tourné 25h½ sur bancs d'essais à West Palm Beach. Le réacteur 304 resta malgré tout à l'état de prototype et le projet "Suntan" auquel il était destiné fut clos à la fin de 1958, après avoir englouti prés de 250 millions de dollars. Par ailleurs, lorsque le General Electric J-93 fut officiellement choisi le 6 novembre 1957 pour le B-70, le budget de développement du J-91 fut abandonné.

Lockheed se lança alors dans le plus grand secret dans une série de projets d'appareils à hautes performances destinés à succéder aux U-2, numérotés à partir de A-1 jusqu'au A-12. De nombreuses motorisations furent envisagées, parmi lesquelles figuraient les réacteurs de grande puissance Pratt & Whitney J-58 qui totalisaient alors près de 700 heures de fonctionnement. Grâce à l'influence de Kelly Johnson et de l'ingénieur en chef de Pratt & Whitney William H. Brown, Lockheed obtint, le 29 août 1959, un avant-marché pour son projet désigné A-12, équipé de deux J-58, en dépit d'un coût prévu d'environ 600 millions de dollars pour le développement. Le programme, malicieusement baptisé "
Oxcart" (char à bœufs) aboutit à un marché signé le 30 janvier 1960, pour la construction de 12 appareils pour la CIA.

L'équipe d'étude de ce moteur, dirigée par Brown, initialement composée de 27 ingénieurs pour les phases d'étude et de développement initial, comprenant Don Pascal, Norm Cotter, Dick Coar et Ed Esmeier, fut rejointe par William Gordon (qui dirigeait les établissements de Pratt & Whitney en Floride). Ce dernier bénéficiait d'une bonne réputation qui aida à la promotion et aux relations à la fois avec Lockheed et les commanditaires. De plus, l'équipe était peu nombreuse et soigneusement sélectionnée. Elle travaillait, (tout comme le faisaient les "
Skunk Works"), en employant un minimum de papiers et de contrats écrits, les données étant le plus souvent communiquées uniquement d'ingénieur à ingénieur. Des relations très privilégiées étaient de plus entretenues entre Lockheed et Pratt & Whitney.

Pratt & Whitney disposait à l'époque de l'un des plus puissants ordinateurs du marché, un IBM-710. Sa capacité de calcul, malgré son encombrement imposant, atteignait à peine celle de certaines calculatrices de poche des années 1980. En fin de compte, le J-58 était encore surtout issu de bonnes vieilles règles à calcul. En dépit de toutes les courbes et essais, la plupart des problèmes d'intégration ne pouvaient être résolus qu'en vol. Le tandem Lockheed - Pratt & Whitney bénéficia de plus de la compréhension des membres du gouvernement chargés de ce dossier. Ceux-ci laissèrent le duo faire face aux problèmes comme il l'entendait, n'intervenant que très peu dans la phase de développement, pour des modifications ayant des répercussions opérationnelles ou budgétaires majeures. Il en résulta des réactions rapides face aux difficultés techniques et, si le gain de temps sur l'avancement du projet ne s'en trouva guère modifié, il en découla des économies substantielles.

Au début du programme Oxcart, des noms de code étaient employés pour désigner chaque partie du groupe propulseur. Ainsi, les trappes de dérivation avant furent baptisées "
coupeur d'oignons" ("onion slicer"), alors que celles de derrière étaient appelées "coupeur de choux" ("cabbage slicer") et les volets tertiaires étaient référencés sous le nom plus classique de "plumes de queue" ("tailfeather"). Mais ces désignations furent rapidement abandonnées et une note circula pour mettre fin à l'emploi de ces surnoms, laissant place aux termes usuels.

©
Aérostories 2002                                                                    > suite

Sommaire du dossier

1 : Genèse

> 1.1 Développement
> 1.2 Évolutions
> 1.3  Les essais
> 1.4  Perfectionnements
> 1.5  Projets et dérivés
> 1.6  Notes sur les désignations

2 : Description technique

> 2.1  Le compresseur
> 2.2  La chambre de combustion
> 2.3  La turbine
> 2.4  La postcombustion
> 2.5  Le dispositif de dérivation
> 2.6  Équipements et accessoires
> 2.7  Régulation
> 2.8  Lubrification
> 2.9  Le carburant
> 2.10 Performances

3 : Utilisation (à paraître : N°13)

> 3.1 Introduction
> 3.2 Le combiné turbo-stato de Pratt & Whitney
> 3.3 L'entrée d'air
> 3.4 La tuyère
> 3.5 En vol
> 3.6 Désamorçages
> 3.7 Commande automatique
> 3.8 Mise à jour des techniques
> 3.9 Préparatifs

4 : En savoir plus sur le SR-71

Le prototype du moteur à hydrogène Pratt & Whitney 304 qui devait équiper le projet Lockheed "Suntan".
©
Pratt & Whitney

L'une des premières version du J-58, sans postcombustion, tel qu'il apparut au début des années 1960 dans les publicités Pratt & Whitney. Il s'agit très probablement d'un YJ-58
© Pratt & Whitney

Dessin comparatif des premières versions du JT11, à la même échelle. En haut, ce qui est probablement la première version (YJ-58), sans postcombustion, puis une première version militaire avec PC proposée à l'US Navy (J-58-P2) et une version plus sophistiquée qui fut présentée
au Salon du Bourget de 1963. La version finale J-58-P4 du SR-71, caractérisée par ses 6 veines de décharge le long du corps chaud, ne figure pas ici.         
Clic
©
Philippe Ricco

Cette maquette à l'échelle 1 d'un J-58-P2 fut réalisée chez Pratt & Whitney à Hartford en juillet 1961 pour étudier l'encombrement global du réacteur
© Pratt & Whitney

Le J-58 fut ensuite équipé d'une postcombustion. Ce modèle était généralement présenté comme un J-58-P2, tel qu'il devait équiper l'US Navy, sur le F8U-3 et A3J.
© Pratt & Whitney