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Alphonse Pénaud: (1850-1880)
brillant et tragique.

Philippe Ballarini

D'un esprit modeste et d'une personnalité attachante, aussi brillant théoricien qu'habile technicien, Pénaud fut à coup sûr l'un des précurseurs les plus clairvoyants de l'aéronautique balbutiante. Et pourtant Alphonse, fils de l'amiral Pénaud, né à Paris en 1850, se destinait à la marine. C'est une maladie invalidante qui amena son esprit créatif à s'intéresser à la difficile question des machines volantes.


Avril 1870: Pénaud inventa un mode de propulsion qui à nos jours peut prêter à sourire et qui demeura longtemps un moyen de petite expérimentation: le moteur à élastique, fait de brins de caoutchouc tordus. Sa première réalisation efficace: un hélicoptère en modèle réduit. D'une construction très légère, cet appareil pouvait monter au plafond et s'y maintenir avant de regagner le sol. Le souci de perfection de Pénaud l'amena à faire réaliser son appareil par l'horloger-ingénieur Breguet: les pales des hélices, en papier, furent dorées pour accroître la finesse et les plus petites pièces furent élaborées en aluminium.


Le 18 août 1871, il démontra que le vol continu n'était pas une chimère. Son "Planophore", un modèle réduit d'aéroplane, était en mesure d'effectuer des vols de 60 mètres. Il s'agissait d'un monoplan pourvu à l'arrière d'une queue stabilisatrice, dont le moteur à élastique actionnait une hélice tractrice ou propulsive, suivant les modèles réalisés. Les caractéristiques  qui seront longtemps celles d'un avion étaient déjà révélées dans cet appareil résolument moderne pour son époque. L'expérience fondamentale du vol du "Planophore", qui fut réitérée à diverses reprises devant les membres de la toute jeune Société française de navigation aérienne, permit à Pénaud d'étudier les lois de la stabilité longitudinale d'un aéroplane. Pour compenser l'effet de couple de l'hélice, il plaça un poids sur l'une des ailes, puis résolut la question en appliquant une torsion adéquate à  la voilure. Il abordera également d'autres modes de déplacement aérien, comme sa machine à ailes battantes et reviendra vers des appareils à voilure tournante.


Ne négligeant pas les travaux de ses prédécesseurs, il exhuma et publia les travaux de Cayley, autre génial précurseur. Entre 1872 et 1875, il publia de nombreux traités, entre autres sur les lois qui régissent le glissement dans l'air, la résistance de l'air et le vol plané.  C'est à Alphonse Pénaud que l'on doit la définition des trois problèmes de base de l'aviation: résistance de l'air, résistance de la machine et légèreté du moteur. Exprimant, contre le courant de l'époque, plutôt prompt à croire en la vapeur (cf. Clément Ader) ou en l'électricité , sa foi inébranlable dans les tout jeunes moteurs à hydrocarbures, il s'attacha surtout à tenter de résoudre les deux premiers problèmes.


Là où Pénaud fit montre de la justesse de ses vues, c'est dans le projet d'aéroplane qu'il élabora avec Paul Gauchot. Qu'on juge des caractéristiques de l'appareil dont le brevet fut déposé en 1876: un monoplan amphibie en forme d'aile volante mû par deux hélices (à pas variable!) tractrices. La structure de l'aile était prévue en bois ou en métal avec recouvrement contribuant à la solidité et il était prévu que le haubanage des premiers modèles, constitué de lames fuselées, devait vite disparaître au profit d'une aile plus robuste et dépourvue de tout hauban. Et, vision d'avenir: train d'atterrissage rétractable avec amortisseurs à air comprimé, fuselage étanche préfigurant les hydravions à coque, flotteurs en bout d'aile, lancement possible par catapulte et, avec plusieurs décennies d'avance, une commande centralisée des gouvernes (compensées) de direction et de profondeur. Ne perdons pas de vue que nous ne sommes qu'en 1876, vingt-sept ans avant le vol historique de Kitty Hawk! Entrons dans les détails: appui-tête fuselé, pare-brise, girouettes d'inclinaison, clinomètre à liquide, indicateurs anémométriques, commande électrique du gouvernail de profondeur, indicateurs de la pression de l'air sur les ailes... La liste figurant sur le brevet de 1876 est impressionnante.


Alphonse Pénaud n'avait rien d'un "business man". Trouver les capitaux pour mener à bien son entreprise était au-delà de ses forces, si bien qu'il commença à présenter des symptômes psychiques inquiétants. Il rompit avec la Société aéronautique et lorsque le grand Giffard lui-même lui refusa son aide, en 1880, il rentra chez lui et se donna la mort. Détail macabre: avant de mettre fin à ses jours, à l'âge de trente ans, il enferma tous ses plans dans un petit cercueil.


Deux enfants, aux U.S.A., s'étaient vus offrir par leur père l'hélicoptère-jouet de Pénaud dont ils étudieront les écrits: Orville et Wilbur Wright.

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Aérostories, 2000

Hauteur: 28 cm. Diamètre: 31 cm. Poids: 6 grammes. Au-delà de l'aspect ludique de cet appareil, il faut en retenir les qualités, étonnantes en 1870.
Collection Musée de l'Air.  Clic

Le "Planophore" de 1871. Il préfigurait les appareils qui apparaîtront plusieurs décennies plus tard. Sur ce modèle, l'hélice est propulsive. Pénaud élaborera des modèles à hélice tractrice. Envergure: 450 mm. Poids: 15 g. Document L'Illustration
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Il n'était pas évident pour les chercheurs de la seconde partie du XIXe siècle que l'hélice était la meilleure solution. Pénaud explora lui aussi le domaine de l'aile battante. Cet oiseau mécanique montait jusqu'à 5 m et effectuait des vols de 15m. 
Document L'Illustration        Clic

L'aéroplane de Pénaud et Gauchot possédait les caractéristiques d'une aile volante. 
Extrait du brevet de 1876.  Clic

Cette vue met en évidence certains dispositifs auxquels Pénaud avait déjà pensé: commandes centralisées, train d'atterrissage rétractable et béquille arrière.  Extrait du brevet de 1876. Clic

Alphonse Pénaud. 1850-1880
Collection de l'Aéro-Club de France
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