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D'un esprit
modeste et d'une personnalité attachante, aussi brillant théoricien
qu'habile technicien, Pénaud fut à coup sûr l'un des précurseurs
les plus clairvoyants de l'aéronautique balbutiante. Et pourtant
Alphonse, fils de l'amiral Pénaud, né à Paris en 1850, se destinait
à la marine. C'est une maladie invalidante qui amena son esprit
créatif à s'intéresser à la difficile question des machines volantes.
Avril 1870: Pénaud inventa un mode de propulsion qui à nos jours
peut prêter à sourire et qui demeura longtemps un moyen de petite
expérimentation: le moteur à élastique, fait de brins de caoutchouc
tordus. Sa première réalisation efficace: un hélicoptère en modèle
réduit. D'une construction très légère, cet appareil pouvait monter
au plafond et s'y maintenir avant de regagner le sol. Le souci
de perfection de Pénaud l'amena à faire réaliser son appareil
par l'horloger-ingénieur Breguet: les pales des hélices, en papier,
furent dorées pour accroître la finesse et les plus petites pièces
furent élaborées en aluminium.
Le 18 août 1871, il démontra que le vol continu n'était pas
une chimère. Son "Planophore", un modèle réduit d'aéroplane,
était en mesure d'effectuer des vols de 60 mètres. Il s'agissait
d'un monoplan pourvu à l'arrière d'une queue stabilisatrice,
dont le moteur à élastique actionnait une hélice tractrice ou
propulsive, suivant les modèles réalisés. Les caractéristiques
qui seront longtemps celles d'un avion étaient déjà révélées
dans cet appareil résolument moderne pour son époque. L'expérience
fondamentale du vol du "Planophore", qui fut réitérée
à diverses reprises devant les membres de la toute jeune Société
française de navigation aérienne, permit à Pénaud d'étudier
les lois de la stabilité longitudinale d'un aéroplane. Pour
compenser l'effet de couple de l'hélice, il plaça un poids
sur l'une des ailes, puis résolut la question en appliquant
une torsion adéquate à la voilure. Il abordera également
d'autres modes de déplacement aérien, comme sa machine à ailes
battantes et reviendra vers des appareils à voilure tournante.
Ne négligeant pas les travaux de ses prédécesseurs, il exhuma
et publia les travaux de Cayley, autre génial précurseur. Entre
1872 et 1875, il publia de nombreux traités, entre autres sur
les lois qui régissent le glissement dans l'air, la résistance
de l'air et le vol plané. C'est à Alphonse Pénaud
que l'on doit la définition des trois problèmes de base de
l'aviation: résistance de l'air, résistance de la machine
et légèreté du moteur. Exprimant, contre le courant de l'époque,
plutôt prompt à croire en la vapeur (cf. Clément Ader) ou en l'électricité
, sa foi inébranlable dans les tout jeunes moteurs à hydrocarbures,
il s'attacha surtout à tenter de résoudre les deux premiers
problèmes.
Là où Pénaud fit montre de la justesse de ses vues, c'est
dans le projet d'aéroplane qu'il élabora avec Paul Gauchot.
Qu'on juge des caractéristiques de l'appareil dont le
brevet fut déposé en 1876: un monoplan amphibie en forme d'aile
volante mû par deux hélices (à pas variable!) tractrices. La structure
de l'aile était prévue en bois ou en métal avec recouvrement
contribuant à la solidité et il était prévu que le haubanage des
premiers modèles, constitué de lames fuselées, devait vite disparaître
au profit d'une aile plus robuste et dépourvue de tout hauban.
Et, vision d'avenir: train d'atterrissage rétractable
avec amortisseurs à air comprimé, fuselage étanche préfigurant
les hydravions à coque, flotteurs en bout d'aile, lancement
possible par catapulte et, avec plusieurs décennies d'avance,
une commande centralisée des gouvernes (compensées) de direction
et de profondeur. Ne perdons pas de vue que nous ne sommes qu'en
1876, vingt-sept ans avant le vol historique de Kitty Hawk! Entrons
dans les détails: appui-tête fuselé, pare-brise, girouettes d'inclinaison,
clinomètre à liquide, indicateurs anémométriques, commande électrique
du gouvernail de profondeur, indicateurs de la pression de l'air
sur les ailes... La liste figurant sur le brevet de 1876 est impressionnante.
Alphonse Pénaud n'avait rien d'un "business man".
Trouver les capitaux pour mener à bien son entreprise était au-delà
de ses forces, si bien qu'il commença à présenter des symptômes
psychiques inquiétants. Il rompit avec la Société aéronautique
et lorsque le grand Giffard lui-même lui refusa son aide, en 1880,
il rentra chez lui et se donna la mort. Détail macabre: avant
de mettre fin à ses jours, à l'âge de trente ans, il enferma
tous ses plans dans un petit cercueil.
Deux enfants, aux U.S.A., s'étaient vus offrir par leur père
l'hélicoptère-jouet de Pénaud dont ils étudieront les écrits:
Orville et Wilbur Wright.
©Aérostories,
2000
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