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Un drôle de bombardement.
En juillet 1915, René Dorme et Joseph Guiguet ne sont pas encore les As qu'ils deviendront plus tard avec le groupe des Cigognes.
Quelques semaines auparavant, ils ont tous les deux quitté le centre de Saint-Cyr, avec leur brevet de pilote militaire en poche, et ont été affectés à la C.94, sur la base toute proche de Villacoublay. L'escadrille C.94, nouvellement crée, vient renforcer la défense aérienne autour de Paris. Elle fait partie du groupe des escadrilles du Camp Retranché de Paris (CRP), placé sous les ordres du capitaine Leclerc. La C.94, équipée initialement de monomoteurs Caudron G3, rejoindra au début du mois de juillet le centre commun des escadrilles du CRP, basé au Bourget.
La mission quotidienne des pilotes du Camp Retranché de Paris consiste à assurer un service de ronde permanente. Ce service de ronde fonctionne toutes les fois que les conditions atmosphériques rendent possible un raid ennemi au dessus de la capitale. Il est accompli par deux patrouilles de trois avions, l'une de protection immédiate, l'autre de protection éloignée, qui volent selon des itinéraires et des horaires prédéfinis. En outre, un service sur alerte est également assuré.
Au moment de son arrivée au Bourget, l'escadrille C.94 réceptionne ces premiers Caudron G4 bimoteurs. Guiguet, qui possède déjà une belle maîtrise, est un des premiers pilotes à voler sur G4. Dorme, quant à lui, ne le suivra que plus tard.
Le 14 juillet, jour de fête nationale, l'état-major redoute tout particulièrement un raid ennemi. Aussi, Leclerc est-il chargé d'organiser un véritable barrage aérien.
" À l'heure qu'il est, écrit Dorme, trente avions sont en l'air. À 9 h 45, trente autres partiront (…) et ainsi de suite. En outre, plus de cinquante autres sont à terre, armés et équipés, prêts à s'envoler au premier signal. "
Les Allemands ne viendront pas, ni ce jour là, ni les jours suivants. Ces rondes quotidiennes, particulièrement monotones, sont vécues par les jeunes pilotes avec une certaine frustration. Loin du front, ils attendent toujours avec impatience leur premier contact avec l'ennemi.
L'inaction pousse Guiguet et Dorme à organiser en cachette une expédition tout à fait officieuse. Le 20 juillet 1915, dans la soirée, Guiguet demande à son mécanicien de préparer son G4. Il doit en effet partir en ronde le lendemain matin à l'aube. Dès que le jour baisse, il s'éclipse discrètement avec son ami Dorme. Les deux compères vont récupérer aux abords du terrain quelques gros pavés laissés sur un chantier. Quarante kilos de pierre sont aussitôt chargés dans la nacelle du Caudron. Une mitrailleuse Hotchkiss et de nombreuses cartouches sont également soigneusement préparées.
Le 21 juillet, alors que le soleil n'est pas encore levé, les moteurs du G4 tournent déjà. Guiguet est aux commandes et Dorme a pris la place du mitrailleur. Sitôt en l'air, le cap est mis en direction des lignes allemandes.
" À 6 heures, raconte Dorme, nous étions en arrière des premières lignes boches, environ trente kilomètres après Soissons. (…) J'ai commencé par repérer un cantonnement important, constitué de paillotes et tentes d'officiers, et y ai envoyé deux cents cartouches, en visant juste. (…) Ensuite, j'ai pris comme but une tranchée découverte et j'en ai tiré encore autant. Puis nous sommes repassés sur le cantonnement où j'ai lâché mes…crottes. (…) Enfin nous avons filé en chantant et en insultant les boches tant que çà pouvait. "
Les deux complices rentrent sains et saufs de leur jubilatoire voyage, non sans avoir essuyé quelques obus de 105. Le secret, partagé avec quelques camarades, restera bien gardé.
Quelques jours plus tard, les deux indisciplinés pilotes apprennent leur nomination au grade d'adjudant…
©Aérostories, 2001.
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