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Monique Caillard:
"the right stuff" au féminin.

À la fin de mon article sur le Stampe SV-4, j'avais rendu un bref hommage aux "grands pilotes" qui avaient fait honneur à la France avec ce bel avion, et je m'étais promis d'y revenir un jour, car à cette belle époque des années cinquante, je peux dire sans être chauvin, que les Centres Nationaux et les Aéro-Clubs Français fleurissaient avec des hommes, et malheureusement très rarement avec des femmes qui possédaient ce que les Américains appellent "The right stuff". Traduit approximativement en Français, c'est une qualité attribuée aux pilotes qui possèdent un talent exceptionnel ; des hommes et des femmes extrêmement doués qui pilotent leur machines volantes avec finesse, précision, et qui ont surpassé les normes de la moyenne. Ces pilotes ont aussi le courage, et un talent particulier pour savoir jusqu'où pousser leurs limites et celles de leurs avions, mais ils possèdent aussi l'intelligence nécessaire pour savoir où ils doivent s'arrêter. Sinon, ils s'ajouteraient à une autre liste qui est bien longue! Personnellement, même après plus de cinquante années de pilotage, j'étais toujours bien loin d'avoir atteint un tel niveau, mais pendant toutes ces années j'ai eu la chance et l'honneur de connaître plusieurs de ces pilotes qui étaient arrivés à l'apogée de leur passion. Comment, et qui choisir pour cette histoire ? La réponse à cette question m'est arrivée le premier de l'an 2001 avec l'appel téléphonique d'un vieux camarade de l'Aéro-Club de Normandie : "Michel j'ai quelqu'un près de moi qui désire te dire bonjour ; te rappelles-tu Monique Caillard ?"

Incroyable! J'avais perdu contact avec cette charmante camarade en 1951, et je la retrouve, (comme certains autres camarades de mon Aéro-Club grâce à l'Internet) après toutes ces années. Je me rappelais fort bien de son arrivée à notre Aéro-Club en 1950, et j'avais suivi de loin sa brillante carrière de pilote monitrice, pilote de grands meetings en France et outre-mer, et pilote de compétition de voltige. Ajoutons aussi pilote professionnelle avec le brevet  de transport public (ancien brevet de pilote de ligne ATP), pilote agricole en Afrique noire, parachutiste, membre des ISPA, pilote de vol à voile, et nous avons un bref aperçu de la carrière de Monique Caillard.
Certains diront que cette histoire n'est pas unique, et que beaucoup d'autres pilotes ont obtenu eux aussi un tel palmarès, mais avec cette petite histoire, j'espère mettre à l'honneur une personne qui redéfinit les mots tels que : courage, patience, détermination, sacrifice, talent et modestie, ayant accompli une carrière aéronautique à une époque ou les femmes n'étaient pas nombreuses, ni pas toujours les bienvenues dans ce domaine.
Plusieurs jeunes femmes fréquentaient les Aéro-Clubs à mon époque, mais je dois avouer en toute franchise que très peu de mes "confrères" les prenaient au sérieux, et ces jeunes femmes qui devaient quelques fois même supporter d'être ridiculisées et découragées abandonnaient peut être trop facilement leur rêve de devenir pilote.
Et pourtant, rappelons-nous que la France avait produit la première femme pilote, suivie par beaucoup d'autres. La liste est maintenant longue, et Monique Caillard a l'honneur de figurer dans cette liste de femmes peu ordinaires.
De nos jours, les choses ont beaucoup changé ; maintenant ce n'est pas rare chez nous aux USA de voir un équipage d'avion commercial (y compris le "Jumbo" Boeing 747, l'avion de transport le plus gros du monde) composé uniquement de femmes.
Nous les retrouvons aussi comme pilotes de chasse, pilotes embarqués sur les porte-avions, ou comme pilotes d'avions à haute performance tel que le P-51 Mustang dans les meetings d'aviation. De même beaucoup de femmes participent couramment à des compétitions de voltige au niveau mondial. Et n'oublions pas qu'une des récentes missions de la navette spatiale fut commandée et pilotée par une femme ! Mais rappelons-nous que tout cela n'est pas arrivé facilement aux femmes, il a fallu des précurseurs tels que Monique pour leur ouvrir les portes.

Voilà maintenant quelques éléments de la brillante carrière de Monique Caillard qui ne me furent pas faciles à obtenir, car comme beaucoup d'autres qui ont tant donné à notre aviation, elle préfère maintenant rester dans l'ombre et éviter la publicité, vivant une vie bien tranquille avec son mari Serge dans son petit coin de Normandie.

Après avoir été spectatrice à un meeting d'aviation en 1949, Monique qui était alors jeune institutrice Rouennaise avait été contaminée par ce virus qui infecte les pilotes, non pas ceux qui regardent l'aviation comme une source pour obtenir des gros salaires, mais ceux qui vraiment ressentent la passion pour le vol. Oui, c'est véridique, pour beaucoup de pilotes ce "feu sacré" brûle pendant toute leur vie, gros salaires ou pas.

En 1950 cette petite jeune fille de 24 ans se présenta à notre Aéro-Club de Normandie pour débuter le pilotage. Rien de sensationnel, nous en avions vu plusieurs au courant des années, mais cette fois ci, les choses étaient bien différentes. Nous avions appris que Monique faisait beaucoup de travail supplémentaire à Rouen pour réaliser son rêve. Pendant l'été, elle était partie comme interprète dans un grand hôtel de Deauville, et deux fois par semaine elle venait à Rouen à bicyclette pour faire son entraînement. Les billets d'autobus auraient réduit le potentiel d'accumulation de précieuses minutes de vol, et ce n'était pas tout, car comme beaucoup d'autres jeunes qui apprenaient à piloter, il y avait un choix à faire : manger à sa faim ou bien voler. Quelle différence avec ce que j'ai vu ailleurs: des jeunes qui apprennent à piloter arrivant au terrain en voiture de sport, et avec le carnet de chèques de papa !

Immédiatement, Jean Finet, le moniteur bénévole de l'Aéro-Club de Normandie, découvrit une élève qui possède un talent particulier pour le pilotage.
Malgré les conditions météorologiques coutumières de la Normandie, qui bien souvent ne permettent pas le vol,  elle passa son brevet de pilote du premier degré en moins d'un mois avec un total de quinze heures de vol, suivi rapidement par le brevet du deuxième degré qui était à cette époque l'équivalent du brevet de pilote privé de nos jours. Elle fut la première femme pilote de l'Aéro-Club de Normandie breveté depuis 1925 !
Ce brevet du deuxième degré lui permettait donc d'emmener des passagers en voyages, et de donner des "baptêmes de l'air", une bonne façon pour Monique de continuer à accumuler des heures de vol.

En 1952, Jean Finet était débordé de travail, ayant beaucoup trop d'élèves pour un seul moniteur. Rappelons-nous que les moniteurs bénévoles devaient faire leurs huit heures de travail journalier, cinq jours par semaine, et devaient se livrer à leurs activités de moniteur en dehors de ces heures de travail, et pendant leurs jours de congés. Monique avait alors plus de deux cent heures dans son carnet de vol, un total suffisant pour devenir monitrice et l'Aéro-Club de Normandie l'envoya à la fameuse école de Saint-Yan pour y faire le stage.
Là aussi, elle fit preuve de son talent  aéronautique et pédagogique. Notre petite institutrice rouennaise allait maintenant se consacrer à ses "autres élèves" après ses heures de travail. Elle aussi était désormais monitrice bénévole, apportant une relève bien méritée pour Jean Finet.
Son mari Serge, était lui-même un de ses élèves.
Loin de se contenter de ce succès, Monique fut maintenant contaminée par un autre virus ; celui de la voltige.
À Saint-Yan, elle avait fait son stage sur le Stampe, et comme tous ceux qui ont piloté cet avion, le vol normal est un peu comme atteler un cheval de course à une charrue !

Monique repartit à Saint-Yan pour effectuer son stage de voltige, un entraînement qui demande beaucoup de la part des futurs pilotes d'acrobatie, car en plus d'acquérir les connaissances nécessaires pour ce genre de pilotage, il faut aussi avoir la tolérance physique pour subire les "G" positifs et négatifs.
Pour la voltige, le pilote recommence plus ou moins à zéro. En vol inversé, il faut réapprendre à conjuguer les commandes, faire les virages, les décrochages, eh oui, même les vrilles à l'envers ! Imaginons-nous en vol sur le dos, suspendus par les bretelles et ceintures de sécurités, entre ciel et terre sur un appareil à poste de pilotage ouvert ! Maintenant, pour virer vers sa droite, le pilote doit incliner l'avion à sa gauche, conjuguer avec du palonnier droit, et doit continuer de se repérer par rapport au sol qu'il regarde défiler à l'envers.

Une fois de plus, Monique effectua son stage avec une grande maîtrise, et elle participait désormais en tant que pilote de voltige aux grands meetings, tant en France, qu'en Algérie ou en Suisse. À ces grands meetings, elle côtoyait les grands aces de la voltige : Marcel Doret, Michel Berlin, et beaucoup d'autres. De même, Monique devint une amie de Jacqueline Auriol. Tous lui faisaient honneur, et la nouvelle "étoile" de la haute école participera à trente deux grands meetings nationaux, faisant elle aussi grand honneur à la France.
Les autres pilotes de meeting avaient leur avion personnel. Monique, quant à elle, devait se contenter d'emprunter les Stampe de divers Aéro-Clubs pour ses démonstrations en meeting.

Ces Stampe empruntés n'étaient pas toujours des modèles équipés totalement pour la voltige, n'ayant pas l'alimentation d'essence et d'huile requises pour le vol inversé. Pour ceux qui s'y connaissent un peu sur la voltige, le passage en "G" négatifs s'annonçait par des ratés du moteur...
Pire encore, certains de ces avions étaient bien loin d'être neufs, donc pas question de faire des manœuvres telles que les tonneaux déclenchés !
Pendant les meetings, si Monique volait sur un Stampe équipé pour le vol inversé, elle terminait sa présentation avec un passage en rase-mottes, en vol sur le dos à seulement quelques mètres de hauteur. Un jour, pendant un de ces passages, le réservoir d'huile du Stampe éclata. Avec ses lunettes de vol couvertes d'huile, en vol inversé près du sol, elle avait dû redresser l'avion et atterrir rapidement, ce qu'elle fit sans casser de bois ! Un coup de chance, affirmeront certains, mais rappelons-nous aussi de l'attribut que méritent certains pilotes : "The right stuff".
Beaucoup de pilotes auraient interprété ce "petit message" comme un mauvais présage, et qu'il était sans doute temps de trouver une autre façon de s'amuser !
Ce n'était pas le cas de notre Monique, elle continua à courir les meetings, et une fois de plus, elle repartira à Saint-Yan, car cette fois elle avait désiré devenir pilote professionnel !
Elle obtint sans aucune difficulté le brevet de pilote professionnel, avec la qualification pour le vol aux instruments, et la qualification bi-moteur.
Quelques mois plus tard, elle eut suffisamment d'heures de vol pour obtenir le "grand" diplôme qui couronne la carrière des pilotes : Brevet de pilote de transport public, un brevet qui était requis pour devenir pilote de ligne.
Entre temps, elle s'était offert au passage la qualification de pilote de vol à voile et celle de parachutiste.

Après ça ? Pilote de ligne ? C'était un rêve, et seulement un rêve pour une femme à cette époque. Il leur faudra beaucoup d'années, à ces femmes, pour pénétrer ce domaine, et pourtant Monique avait toutes les qualifications, et elle aurait bien mérité cette belle profession.

En 1956, Monique accepta un emploi en Afrique noire comme pilote agricole pour épandre l'insecticide sur les sauterelles. L'Aéro-Club de Normandie l'envoya vers sa nouvelle mission lors d'une grande célébration. Tous ses copains étaient là, et le ministre de l'Éducation Nationale était venu lui aussi spécialement pour cette occasion.

Pendant son séjour de huit années en Afrique, elle avait aussi continué à former des élèves pilotes.

En 1995, Monique fit son dernier vol et partit pour une retraite bien méritée après une carrière aéronautique, et une vie si bien remplie.

Son carnet de vol s'arrête avec un total de plus de 2.100 heures sur plus de 20 types de différents avions, dont  900 heures sur Stampe, et après avoir formé 32 élèves.

Monique et moi, nous avons deux petites choses en commun: nous avions obtenu le brevet de pilote plusieurs années avant d'apprendre à conduire une automobile. Et, il nous reste maintenant à l'automne de notre vie une source inépuisable de merveilleux souvenirs de nôtre Aéro-Club de Normandie, nos camarades, et les bons vieux avions de notre jeunesse. Pour ma part, ce n'est peut être pas un hasard si j'ai prénommé ma fille aînée Monique et si je lui ai appris à piloter en 1989.

©
Aérostories, 2001.

par Michel Léveillard

Monique Caillard: le portrait régulièrement utilisé par les journaux et les publicitaires des années cinquante.

Collection M. Caillard                   Clic

1951: Photo de groupe de pilotes de l'Aéro-Club de Normandie devant l'Aéro-Bar. Monique Caillard est au deuxième rang, la quatrième en partant de la gauche. L'auteur est au premier rang, le premier en partant de la gauche, au côtés de l'aumônier (décédé depuis). Le moniteur Jean Finet, (décédé en 1974 dans un accident d'avion) est au premier rang, troisième en partant de la droite. Une poignée de personnes présentes sur cette photo sont toujours en vie

Collection de l'auteur              Clic

Un passage de Monique Caillard en vol inversé sur Stampe, à une altitude inhabituellement élevée.

Collection M. Caillard       

Avant son premier grand meeting, à Tunis. "Je souris, mais j'avais une de ces frousses…" nous a-t-elle confié.

Collection M. Caillard                   Clic

Au poste de pilotage du Stampe lors d'un grand meeting aérien à Nancy, en compagnie de deux grands de la voltige: Marcel Doret (à droite) et Michel Berlin.

Collection M. Caillard

Monique Caillard entre deux autres "étoiles" de la voltige aérienne: Léon Brancotto et Liesel Bach, détenteurs de titres mondiaux.

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En Afrique Noire en 1956. Monique Caillard part à la chasse en quête de victuailles pour son repas de mariage.

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