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L'OGRE DES "PETITS
POUCETS"
Le 18 mai 1940, dix Curtiss du GC II/4 protègent un Potez 63.11
entre 15h00 et 15h30 sur le secteur de Rethel (Ardennes). L'une
des patrouilles de protection se compose du sous-lieutenant Plubeau,
capitaine Engler et lieutenant Girard. La suite est rapportée
par Plubeau lui-même.
« Dès notre arrivée sur le secteur, je vois un Henschel 126
que je signale par radio. La " libellule ", comme nous l'appelons,
le " mouchard " comme l'ont baptisé les troupes terrestres, nous
a aperçus. Il pique vers le sol en direction de ses lignes, mais
trop tard. L'escadrille des Diables Rouges l'attaque. Après une
dizaine de passes, le Henschel tombe en flammes au bord de l'Aisne,
bascule dans la rivière et brûle en partie de l'autre côté. Pendant
que les Diables se regroupent sous nos patrouilles, quatre Me
109 sortent des nuages à 200 mètres de nous et au nord. Ils remontent
immédiatement au-dessus de la couche sans nous avoir vus, semble-t-il,
et avant que nous ayons le temps de les attaquer. »
« J'entraîne alors tout le dispositif vers l'intérieur de
nos lignes et je me replace en protection. De nouveau, nous rencontrons
les 109 et cette fois nous bagarrons. Le capitaine Engler et moi-même
en abandonnons un en feu. Nous nous regroupons et nous cherchons
nos camarades Diables. Voyant cinq avions de face, à une altitude
supérieure à la mienne, je pense aller me placer sous eux, croyant
avoir affaire à des amis. Je me rends compte de mon erreur. Ce
sont des Me 109. Ils ont la supériorité l'altitude. Il n'est pas
sage de se frotter à eux. Je bats des plans pour que les équipiers
suivent et je pique légèrement à côté d'un nuage. Les 109 passent
de l'autre côté, sans nous voir. La prochaine fois, nous leur
offrirons des lunettes ! Je vire derrière le nuage en prenant
de l'altitude, mais... plus de Messerschmitt. Notre tension est
extrême et les nerfs sont à fleur de peau. Il faut les dominer;
il faut aussi ne pas perdre de vue les avions que l'on protège,
surveiller attentivement le ciel où l'ennemi se trouve et nous
cherche; voir ce que devienne les équipiers, recevoir les ordres
radio, y répondre, faire encore quantité de choses, vite et le
mieux possible. En même temps, rester calme et lucide. C'est parfois
difficile à obtenir de tous. »
« Nous retrouvons les avions des Diables et nous grimpons
toujours. Vers 2 500 mètres, nous apercevons une trentaine de
He 111 qui viennent de l'ouest. Je laisse les Diables les attaquer;
ils vont faire leur deuxième passe, pas de chasse ennemie en vue.
J'attaque à mon tour avec mes patrouilleurs, pendant que, à ma
demande, Baptizet et ses équipiers assurent la protection. Nous
nous en prenons à la section de droite du peloton de gauche. J'ai
quelques difficultés à rejoindre les Heinkel, car mon moteur a
été touché au cours de la première bagarre. J'en suis à 250 mètres
environ; je tire quand même et j'ai la satisfaction de voir l'ailier
droit fumer fortement. Il abandonne la formation et pique vers
le sol. Et d'un !... Au tour du chef de section. Bientôt, il subit
le même sort. Il ne peut y avoir de doute, il brûle. Mes équipiers
aussi ont tiré, de même que deux autres Curtiss. »
« Nous allons abandonner l'attaque, car l'heure de fin de
mission a déjà sonné. Nos munitions s'épuisent; nous ne sommes
plus que quatre à mitrailler les Heinkel et, devant nous, venant
du nord-est, une belle expédition de bombardiers et de chasseurs
ennemis s'avance. Je me balance de droite à gauche et de gauche
à droite pour que le dispositif me suive. Un Curtiss reste cependant
accroché à un Heinkel, tout à fait à gauche. Je ne puis le laisser
seul, ce serait le vouer à la mort. Enfin, il revient, mais un
peu tard. Les Messerschmitt 109, probablement alertés par radio,
arrivent sur nous. »
« Le capitaine Engler, le premier, voit leur attaque et me
la signale. Je vire brutalement; ils sont là, très près. Je ne
suis pas en bonne position de tir, mais je lâche tout de même
une rafale, histoire de faire peur à cet audacieux Fritz qui ose
tirer sur notre Popol (Engler). Le résultat est acquis, le Fritz
dégage. Un autre, je ne sais pourquoi, vient virer devant moi,
à bonne distance : 150 mètres environ. Voudrait-il me narguer
? Je le poursuis et lui lâche quelques pruneaux qui l'en dissuadent
rapidement. Il pique jusqu'au sol et prend feu. Pendant ce temps,
le capitaine Engler a aussi descendu son Messer. »
« Nous nous sommes dispersés dans la mêlée et mon moteur
donne des signes de fatigue. Il faut rentrer . »
Tous les appareils engagés rentreront, sauf celui du capitaine
Guieu, endommagé dans l'attaque des bombardiers et qui se posera
sur un terrain occupé par la RAF. Ce ne sera pas le cas, côté
allemand. En effet, un ou deux Bf 109 - selon les sources consultées
- sont portés disparus.
Ce jour-là, vers 16h15, la 7./JG 53 engage un combat contre huit
Curtiss dans le secteur de Rethel. L'Oberfeldwebel Franz Götz,
le Feldwebel Galubinski et l'Unteroffizier Neuhoff revendiquent
chacun une victoire. Mais la Staffel perd son chef, l'Oberleutnant
Wolf-Dietrich Wilcke, contraint de sauter en parachute hors de
son appareil en feu.
Selon le journal de campagne de Wilcke, conservé aux Bundesarchiv
à Fribourg (cote RL10/277), l'appareil de Franz Götz a été également
abattu et ces deux futurs grands as de la Luftwaffe sont faits
prisonniers (ils regagneront leur unité avant la fin de la campagne).
Cette information n'a pu être recoupée avec d'autres sources,
notamment l'histoire de la JG 53 de Prien - ce qui ne signifie
nullement qu'elle soit erronée.
Il est cependant incontestable que les deux appareils ont été
victimes du GC II/4 et que, en fonction des circonstances du combat,
on peut s'avancer à attribuer la chute de Wilcke à Engler et celle
de Götz à Plubeau. En revanche, les victoires allemandes sont
sans fondement.
Rappelons que Götz,
titulaire de la Ritterkreuz, finira la guerre comme Kommodore
de la JG 26 avec 63 victoires à son actif. Wilcke, récipiendaire
des Glaives, sera abattu le 23 mars 1944, alors qu'il totalisait
162 victoires.
Le Hs 126 appartenait vraisemblablement à la 3.(H)/41, qui perdit
ce jour-là deux appareils " dans le nord de la France ". Il n'a
pas été possible d'identifier le premier Bf 109 revendiqué par
Plubeau; cependant, un appareil du III./JG 52 a été contraint
à un atterrissage forcé à Merzig, à la suite d'un combat aérien.
Enfin, les He 111 étaient probablement ceux du II./KG 55, dont
plusieurs avions ont été abattus ou endommagés dans la région
de Sedan.
Camille Adrien Plubeau est né le 6 janvier 1910 à Auxelles-Haut
(Territoire de Belfort). Engagé volontaire par devancement d'appel
en août 1929, il passe son brevet de pilote et est affecté au
mois de novembre au 34ème régiment de Dugny-Le Bourget. Il est
nommé sergent en octobre 1930.
Après un passage au 37ème régiment à Bordeaux, il rejoint le GC
II/4 lors de la création du groupe, le 16 mai 1939. Il est alors
adjudant depuis le mois de janvier. Sous-lieutenant le 15 mars
1940. Il est blessé en combat aérien le 9 juin au-dessus de Rethel.
Après l'armistice et la dissolution du GC II/4, il passe au I/5
le 3 septembre 1940. Promu lieutenant en mars 1942, il est détaché
au II/5 Lafayette pour les ultimes opérations au-dessus de la
Tunisie, en mai 1943.
Capitaine depuis septembre, il prend le commandement de la 2ème
escadrille du GC II/9 Auvergne, le 20 novembre 1944. Le 1er juillet
1945, il commande le GAEL (groupe aérien d'entraînement et de
liaisons) au Bourget et passe commandant en octobre 1946.
Il est rayé des cadres le 30 décembre 1957 et décède en 1998.
Avec ses 14 victoires homologuées, dont 8 remportées seul, Camille
Plubeau est le plus grand as français de 1939-40.
Plubeau Camille
Sous-lieutenant.
GC II/4
24.09.39 (1) Bf 109 Pirmasens [D]
31.10.39 (1) Hs 126 Offenburg [D]
08.11.39 (1) Do 17 Hanviller [57]
11.05.40 (3) Bf 109 Rambervillers [88]
13.05.40 (3) Ju 86 Warmériville [51]
13.05.40 (1) Bf 109 Vouziers [08]
18.05.40 (2) Bf 109 Rethel [08]
18.05.40 (6) He 111 Rethel [08]
18.05.40 (6) He 111 Rethel [08]
18.05.40 (1) Bf 109 Rethel [08]
06.06.40 (1) Bf 109 Soissons [02]
09.06.40 (1) He 111 Pontfaverger [51]
09.06.40 (2) He 111 Aisne [02]
09.06.40 (1) Bf 109 Pontfaverger [51]
(entre parenthèses, le nombre total de pilotes qui ont pris part
à la destruction de l'avion)
©Aéro Editions,
Aérostories, 2000
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