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Les pilotes de chasse français 1939-1945.

Pierre Le Gloan

Christian-Jacques Ehrengardt
Philippe Listemann
Pierre-André Tilley


CINQ D'UN COUP

C'est le 6 janvier 1913 que naît Pierre Le Gloan dans une famille de paysans modestes des Côtes-d'Armor (à cette époque, Côtes-du-Nord). Très jeune passionné par l'aviation, Pierre obtient une bourse d'état et, à l'âge de 18 ans, il devance l'appel. Il arrive au 211, régiment aérien de Strasbourg et reçoit ses ailes en août 1932. Une fois son service militaire terminé, il s'engage et reçoit une affectation comme pilote au futur GC 1/6.

Brillant pilote, avec le grade de sergent, il décroche son brevet de chef de patrouille. Toutefois son caractère parfois difficile, digne du vrai Breton qu'il est, ne lui attire pas que des félicitations et son commandant de groupe le met à la disposition du GC III/6 qui est en cours de création en mai 1939. Il est adjudant-chef à la 5ème escadrille lorsque la guerre éclate. Dès les premières escarmouches, Pierre Le Gloan se fait remarquer par son agressivité face à l'ennemi. Il revendique ainsi deux Dornier 17 avec le lieutenant Martin.

Le 31 mai, le III/6 est replié au Luc pour y être transformé y être transformé sur Dewoitine 520 et protéger la côte sud de la France d'une éventuelle attaque italienne.  Elle se produit le 10 juin. Trois jours plus tard, Pierre Le Gloan descend deux Fiat BR.20, mais le 15, il va faire beaucoup mieux.

Ce jour-là, vers midi, la patrouille d'alerte du GC III/6 reçoit l'ordre de décoller. Des Fiat CR.42 escortant des bombardiers BR.20 ont été signalés franchissant la frontière. Les capitaines Jacobi et Bernache-Assolant courent jusqu'à leur avion, s'installent et mettent le contact. Le Gloan est arrêté net dans son élan par son mécano qui lui apprend que son D.520 habituel (n° 277) n'est pas en état de décoller. À une vingtaine de mètres, Le Gloan en aperçoit un autre que les mécanos ont mis en route.  Il n'hésite pas une seconde, mais en grimpant sur l'aile, il marque un léger temps d'arrêt : il a laissé son parachute dans son avion. Tant pis ! Il n'a pas le temps d'aller le chercher, l'ennemi n'attendra pas.

Chef de patrouille, Le Gloan décolle en tête, suivi par les deux capitaines.  Mais, peu après, Jacobi se plaint du changement de pas de son hélice et doit faire demi-tour.  Le Gloan et Assoient prennent rapidement de l'altitude pour se porter à 4 000 mètres, à la rencontre des Italiens qui survolent St Raphaël. Ils aperçoivent douze Fiat CR.42 qui volent comme à la parade, en quatre sections espacées, sans se soucier de ce qui peut surgir sur leurs arrières. Ils font route en vitesse de croisière vers le sud-ouest.  Ils n'ont pas repéré les deux Dewoitine.

Ceux-ci basculent et effectuent un virage aussi serré que possible pour se retrouver dans le sillage des biplans.  Les deux Français ajustent calmement leur visée sur la dernière section, Le Gloan sur l'ailier gauche et Assolant sur l'ailier droit. Le premier Fiat pique instantanément en flammes vers Beauvallon, et du second, sérieusement "seringué", le pilote saute en parachute. Enfin alerté, le chef de section réussit à fausser compagnie à ses agresseurs.

Assolant se rapproche de Le Gloan et par signes lui fait comprendre que ses armes sont enrayées et qu'il rentre au bercail. Le Gloan décide de poursuivre la patrouille et son attention est attirée par des flocons de DCA à la verticale de Hyères. Il met le cap au sud-ouest. Il tombe nez à nez avec un groupe de trois CR.42 qui repartent vers l'Italie. Au cours du bref engagement qui s'ensuit, Le Gloan descend l'un d'eux qui s'écrase près de la côte.  Huit autres surgissent des nuages et tentent de surprendre le Français. Mais Le Gloan les a vus et déjoue leur manœuvre en piquant "manette dans la poche".

Pendant ce temps, le terrain du Luc reçoit la visite d'autres avions italiens et Le Gloan reçoit par radio l'ordre de rentrer sans tarder. Surprenant un Fiat dans sa passe de mitraillage, il l'abat d'une courte rafale, à moins d'un kilomètre de la piste.  Il reprend alors de l'altitude pour maintenir une couverture du terrain, tandis que d'autres D.520 sont en train de décoller.

Le Gloan aperçoit vers 4 000 mètres un Fiat BR.20 venu photographier le résultat de l'attaque. Deux passes suffisent à enflammer le bimoteur, qui s'abat en flammes.

Au cours de cette sortie, qui n'a pas duré plus de trois quarts d'heure, Le Gloan est crédité de cinq victoires confirmées, dont les deux premières en collaboration avec Bernache-Assolant. C'est un exploit qu'aucun pilote français n'a accompli depuis René Fonck. D'ailleurs, le grand as de 14-18, alors lieutenant-colonel et chef du groupe de contrôle aux armées, dépendant de l'état-major général de l'armée de l'Air, se rend quelques jours plus tard au Luc pour féliciter son cadet et lui annoncer sa promotion au grade de sous-lieutenant.

Le voile tombe ensuite sur le GC III/6, qui est replié à Alger.  Tout change fin mai 1941 et la menace britannique sur le Levant amène le haut commandement à envoyer le groupe en renfort.  Le 27 mai, sous les ordres du commandant Geille, il se pose à Rayack (Liban). Le 8 juin, Britanniques et Français libres passent à l'offensive.

Pierre Le Gloan revendique trois victoires contre des Hurricane au cours des deux premiers jours. Le 15 juin, il rencontre six Gladiator avec sa patrouille double. Comment imaginer que Le Gloan n'a pas fait le rapprochement avec son combat contre d'autres biplans, un an plus tôt, jour pour jour ? Excès de confiance, orgueil exacerbé par le désir de renouveler son exploit ? Quoi qu'il en soit, après avoir abattu un adversaire, Le Gloan est mis en difficulté par deux autres qui le raccompagnent manu militari au-dessus de ses lignes. Son brave D.520 n° 277 est sérieusement endommagé et Le Gloan se pose sur le ventre à Rayack.

Le 9 septembre 1941, Pierre Le Gloan est promu au grade de lieutenant. La chance voudra que le 8 novembre 1942, le brouillard empêche le GC III/6 de décoller et évite un nouvel affrontement fratricide. Deux jours plus tard, les Anglo-Américains sont redevenus nos alliés.
Le III/6 est rééquipé en matériel américain, des P-39N, dont les premiers exemplaires arrivent le 18 mai 1943. Huit jours plus tard, Pierre Le Gloan est durement frappé par la perte de son ami, Léon Richard.

Le 11 août 1943, Pierre Le Gloan prend le commandement de la nouvelle 3ème escadrille du GC III/6, qui a repris les traditions de la SPA 84 (le renard au monocle).
Et le III/6 enregistre les premiers incidents avec ses P-39. Les moteurs Allison se signalent par des pannes fréquentes. Or, le III/6 est engagé depuis le 11 août dans des missions de patrouilles côtières, une activité que détestent souverainement les pilotes de monomoteurs.

Le 11 septembre, Le Gloan décolle à 7h30 en compagnie du sergent Colcomb pour l'une de ces missions.  Après moins d'une demi-heure de vol, Colcomb signale que le P-39 de son leader (42-9421) émet une inquiétante fumée noire. Aussitôt, Le Gloan fait demi-tour, mais au-dessus de Mostaganem, le moteur serre. Il informe Colcomb qu'il va se poser sur le ventre. Colcomb rapportera par la suite que la voix de son chef était calme et sereine. Mais Le Gloan a oublié que son P-39 était équipé d'un réservoir supplémentaire et au moment où celui-ci entre en contact avec le sol, il explose, tuant le pilote sur le coup.

Coïncidence curieuse, Pierre Le Gloan est mort le même jour que Georges Guynemer. Si sa disparition brutale et prématurée est cruellement ressentie par ses équipiers et une grande partie des aviateurs français, elle retire une belle épine du pied de l'état-major qui, à cette époque, prépare la grande réconciliation nationale avec la fusion des forces aériennes d'Afrique et des forces aériennes françaises libres.


LE GLOAN Pierre († 11.09.1943)

Adjudant-chef
GC III/6
23.11.39  (2)  Do 17     Verdun [55]
02.03.40  (2)  Do 17     Bouzonville [55]
11.05.40  (7)  He 111   Pirey [25]
14.05.40  (4)  He 111   Fougerolles [70]
13.06.40  (2)  BR.20    Agay [83]
13.06.40  (2)  BR.20    Cap Camarat [83]
15.06.40  (2)  CR.42    Beauvallon [83]
15.06.40  (2)  CR.42    Ramatuelle [83]
15.06.40  (1)  CR.42    St-Amée [83]
15.06.40  (1)  BR.20    Ferme Moulin Rouge [83]
15.06.40  (1)  CR.42    Ferme des Thermes [83]

Sous-lieutenant
08.06.41  (1)  Hurricane  Damas [Levant]
09.06.41  (1)  Hurricane  Saïda [Levant]
09.06.41  (1)  Hurricane  Saïda [Levant]
15.06.41  (1)  Gladiator   Ezraa [Levant]
23.06.41  (1)  Hurricane  Rayack [Levant]
05.07.41  (2)  Hurricane Deir-ez-Zor [Levant]
05.07.41  (3)  Hurricane Deir-ez-Zor [Levant]

(entre parenthèses, le nombre total de pilotes qui ont pris part à la destruction de l'avion)

©Aéro Editions, Aérostories, 2001

Photo de famille du GC I/6, début 1939. On distingue l'insigne du Gaulois (SPA 96) sur le Morane 406 à l'extrême droite. Pierre Le Gloan est le quatrième en partant de la gauche, au premier rang, accroupi.   

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Le Morane 406 n°163 est le premier affecté à Le Gloan au GC III/6. Il l'échange en octobre 1939 contre le n°597, toujours codé "6".
Le n°163 a été récupéré par le GC II/6 qui l'a amené jusqu'à Châteauroux le 20 mai, au moment où ce groupe est transformé sur Bloch 152. Le surnom "PEAU d'VACHE" a probablement été peint par son dernier propriétaire.
On distingue l'emplacement de l'insigne du masque de tragédie, qui a disparu sous une épaisse couche de peinture. En revanche, le "6" blanc sur disque bleu ciel d'origine a été conservé.         
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Alignement des D.520 de la 5ème escadrille du GC III/6 à Alger - Maison Blanche, fin juillet 1940. Au premier plan, le n°277 de Le Gloan, sur lequel il a peint la "bande des as".

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Dewoitine D.520 n° 277
Sous-lieutenant Pierre Le Gloan
GC III/6  5ème escadrille
Rayack (Liban), 15 juin 1941.
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Infographie : Pierre-André Tilley
© Aéro-Editions, 1999

Pierre Le Gloan (à gauche), en compagnie de Léon Cuffaut en 1941.

Photo Cuffaut   Clic

Dewoitine D.520 n° 300
Lieutenant Pierre Le Gloan
GC III/6  5ème escadrille
Alger-Maison Blanche (Algérie), fin 1942.
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Infographie : Pierre-André Tilley
© Aéro-Editions, 1999

Sa mésaventure du 15 juin 1941 n'a pas l'air d'avoir trop marqué Pierre Le Gloan qui, les mains dans les poches et le sourire aux lèvres, pose avec son mécanicien devant l'épave de son brave D.520 n°277, mis à mal par les Gladiator du "X" Flight.
En rentrant à Alger, Le Gloan se verra attribuer le D.520 n°300 (voir photo ci-dessous). Il disparaît sur le P-39N 42-18421.   

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Le sous-lieutenant Pierre Le Gloan dans sa plus belle tenue devant son Dewoitine D.520 n°300 à Alger - Maison Blanche, en 1942. Avec ses sept victoires revendiquées en Syrie, il est l'as incontesté de la période de l'armistice, une performance qui ne lui vaudra pas que des amitiés.              Clic