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Malraux
affirmait qu'on ne comprenait rien à l'histoire si on
n'en connaissait pas les données passionnelles. Pour un occidental,
l'idée d'utiliser le suicide comme une arme, comme cela
fut le cas en 1944-1945 par le Japon avec les célèbres kamikazes,
est difficilement compréhensible, voire acceptable. Pourtant,
dès le 26 août 1914, le pilote russe Nikolaevitch avait volontairement
percuté avec son Morane l'avion du baron Rosenthal pour défendre
la ville de Sholkiv, mais il est vrai qu'il s'était agi
alors d'une action purement individuelle.
Ce qui choque dans ce qu'il faut bien appeler le "phénomène
kamikaze", c'est l'aspect organisé et méthodique
de ces morts volontaires.
Le Japon militaire de la seconde guerre mondiale était encore
imprégné, et pas seulement chez les officiers, du bushido, code
d'honneur remontant au XIIème siècle: la reddition n'était
pas une démarche envisageable: se rendre était un acte souverainement
méprisable. Ce qui était considéré comme du fanatisme chez les
alliés relevait donc du patriotisme traditionnel nippon.
En 1944, la situation militaire de l'Empire du Soleil Levant
s'était grandement détériorée. Dans l'été 1943, l'équilibre
s'était rompu au profit des Américains: le prodigieux effort
des chantiers navals avait doté la U.S.Navy d'une flotte de
porte-avions hors du commun. Dans un Pacifique ouest sous domination
japonaise, les Américains adoptèrent la stratégie du "saute-mouton",
reconquérant île après île, archipel après archipel. C'est
devant la menace d'un débarquement américain aux Philippines
que l'amiral Onishi, chef des forces aériennes japonaises,
reçut en 1944 l'autorisation de créer un corps de kamikazes.
Les Japonais rencontraient des problèmes similaires à l'Allemagne
nazie: leurs excellents avions Mitsubishi A6M3 "Zeke"
plus connus sous le surnom de "Zero",
étaient désormais surclassés.
Etourdis par les succès initiaux de l'appareil, ils avaient
négligé de lui trouver un successeur valable.
Qui plus est, les meilleurs pilotes avaient disparu et les forces
japonaises manquaient cruellement d'aviateurs: son aviation
embarquée avait été décimée lors de la bataille des Mariannes,
en juin 1944.
Il était bien trop tard pour créer une nouvelle force aéronavale:
les derniers porte-avions envoyés par le fond aux Philippines,
plus de pilotes ni de temps pour en former, plus d'appareil
navalisé réellement valable...et la flotte américaine qui
se rapprochait inexorablement du Japon, se servant de chaque île
conquise comme base arrière.
Les kamikazes étaient bien une arme du désespoir qui sema le trouble
dans la flotte américaine mais qui ne pouvait empêcher la défaite
japonaise.
Le principe de l'utilisation des kamikazes était fort simple:
on formait sommairement des volontaires en vue de leur unique
mission (notons au passage que ces pilotes auraient bien été incapables
de combattre dans les airs) et on les plaçait aux commandes d'appareils
prêts pour la réforme, le plus souvent de vieux "Zéro"
bourrés d'explosif. On ne garnissait les réservoirs que pour
un aller simple, le retour n'étant pas envisageable, ce qui
du même coup doublait le rayon d'action de l'appareil.
Avant le départ, les kamikazes étaient conviés à une petite cérémonie
au cours de laquelle on leur offrait un verre de saké d'adieu,
puis ils s'envolaient pour essayer de percuter leur
cible, le plus souvent l'ascenseur d'un porte-avions.
L'utilisation de kamikazes commença vraiment avec la bataille
de Leyte, aux Philippines (novembre 1944), et elle atteignit son
paroxysme lors des batailles d'Iwo Jima et d'Okinawa en
avril 1945. Ces deux îles font partie de l'archipel japonais
et les Américains comptaient s'en servir comme bases pour
leurs B-29 qui pourraient ensuite aisément bombarder le Japon
tout entier.
Rien qu'à Okinawa, il n'y eut pas moins de 1900 attaques-suicides
contre les bateaux de l'U.S. Navy.
En fait, bien peu de kamikazes réussissaient leur "jibaku"
(suicide par écrasement de son avion sur une cible ennemie). Les
américains avaient compris quel danger représentaient ces attaques:
ils doublèrent leur D.C.A. (2), si bien qu'avant même d'approcher
sa cible, le pilote-suicide devait affronter un rideau de feu
qui le plus souvent disloquait son avion.
D'autre part, ils intercalèrent entre les porte-avions et
les bases aériennes japonaises, à 100 km du gros de la flotte,
des "picket-boats", petits bâtiments destinés à donner
l'alerte afin que des chasseurs viennent intercepter les kamikazes.
Les Japonais, bénéficiant de quelques éléments de technologie
allemande, mirent au point un appareil spécialement conçu pour
les missions-suicides: le Yokosuka MXY-8.
Le nom officiel
de cet engin volant était "Jinraï"
("Tonnerre de dieu"),
mais les pilotes le nommèrent "Ohka"
("Fleur de cerisier").
L'idée d'un missile piloté avait été envisagée en Allemagne
devant l'imprécision des V-2, mais ne fut pas mise en pratique.
Les japonais développèrent d'autres armes-suicide: les "Kaiten",
torpilles humaines lancées depuis un sous-marin. 120 "Kaiten"
furent préparées . Elles coulèrent deux pétroliers.
Furent également utilisées des vedettes-suicide
"Shinyo" et
même des sous-marins-suicide.
L'aventure du Yamato, dernier croiseur de bataille de la flotte
de guerre japonaise qui était devenue squelettique depuis la bataille
des Philippines, mérite d'être évoquée. Le 6 avril 1945, le
Yamato, le plus gros navire de guerre jamais construit, levait
l'ancre. Destination: Okinawa. La mission du Yamato consistait
à s'échouer sur l'île, se muant en une inexpugnable forteresse;
il n'avait d'ailleurs du carburant que pour le voyage
aller. Intercepté en route, le géant des mers ne put remplir sa
mission.
La pugnacité et l'entêtement des japonais ne s'explique
pas que par le code bushido: ne pas se rendre est une chose finalement
assez coutumière dans toutes les armées du monde, aller sciemment
à une mort certaine, pour l'honneur, en est une autre. Car
à la fin de 1944, il était clair, y compris pour une partie de
l'état-major nippon, que le Japon perdrait cette guerre.
Le Japon était entré en guerre contre les Etats-Unis parce qu'ils
étaient un frein à son expansion dans le Pacifique. En ce qui
concerne l'U.R.S.S., c'était une autre affaire car la
Russie, qu'elle soit des tsars ou des soviets, était l'ennemi
héréditaire. Les Japonais ont donc cherché à décourager les Américains
afin de les amener à signer une paix séparée: c'était méconnaître
la volonté de tous les alliés d'obtenir, de l'Empire du
Soleil Levant comme du IIIème Reich, une reddition sans conditions.
L'utilisation massive de kamikazes n'aura eu pour effet
que de freiner l'arrivée américaine, mais sans doute aussi
de renforcer la détermination de l'Oncle Sam d'en finir
avec un pays qui lui coûtait trop de "boys", quels qu'en
soient les moyens…
et le IIIème Reich?
En 1944,
l'aviatrice Hanna Reitsch tenta de convaincre Hitler de
constituer des unités de kamikazes pour la défense du Reich.
Elle avait déjà recruté 70 volontaires, hommes et femmes dans
une unité S.O. "Selbstopfer" ("offrande
de soi").
Elle participa même aux essais d'un appareil destiné à cet
usage, le Messerschmitt Me-328.
La mentalité allemande, même à la fin de la guerre, n'était
pas tout à fait la même que celle qui régnait au Japon. En dépit
du fanatisme ambiant, il eût été impossible de lever en masse
quantité de volontaires. De toute manière, la chute de Berlin
intervint avant que ce projet ne fût vraiment envisagé.
©
Aérostories, 1999.
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