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Après la
démonstration de force des États-Unis, le martyre et l'apocalypse
d'Hiroshima et de Nagasaki, les jusqu'au-boutistes du
Conseil Impérial nippon se trouvèrent affaiblis. Les plus modérés,
en accord avec l'empereur Hiro-Hito, purent débarrasser le
gouvernement de l'Empire du Soleil Levant du carcan de la
tutelle des militaires.
Peu après Nagasaki, Londres et Washington furent avisés par le
ministre des Affaires Étrangères Togo, que le Japon était prêt
à capituler, émettant tout de même la condition que le Mikado
demeure le chef de l'État. Il sembla acceptable aux alliés,
voire même important, que Hiro-Hito demeure à la tête du Japon,
car lui seul avait la capacité de faire capituler toutes ses troupes.
Le 15 août 1945, à midi, le Mikado, qui avait échappé à une tentative
d'enlèvement projetée par de jeunes officiers de l'armée
de terre, adressait un message radiophonique à son peuple et à
ses forces armées. Manipulant avec habileté les euphémismes, ne
prononçant en aucun cas les termes de "capitulation",
de "reddition" ou de "défaite", Hiro-Hito
s'adressa dans un langage de cour à une nation qui n'avait
jamais entendu le son de sa voix. Son discours provoqua de l'incrédulité
et de la honte chez les Japonais. Les incrédules, soldats subalternes
qui n'avaient jamais subodoré la précarité de la situation
militaire de leur pays, se préparaient encore à défendre leur
pays jusqu'à la mort. La honte de la reddition amena d'importantes
vagues de suicides. Nombreux furent ceux qui se firent "seppuku"
(hara-kiri) devant le palais impérial.
Pour éviter toute surprise, les alliés décidèrent de ne signer
la capitulation que lorsqu'une imposante force navale américaine
serait ancrée dans la baie de Tokyo. Le cuirassé "Missouri",
sur lequel devait se signer l'acte de capitulation sans condition,
échappa de peu à un projet de raid "kamikaze"
conçu par de jeunes officiers de l'armée de l'air.
Ce n'est que le 2 septembre 1945, soit près d'un mois
après Hiroshima, que les délégations japonaises et alliées signaient,
sur le "Missouri", la capitulation sans condition du
Japon, mettant un terme à la seconde guerre mondiale.
Pourtant, certaines unités japonaises continuèrent de se battre
jusqu'au 7 et 8 septembre, comme les garnisons de Truk (îles
Carolines) ou d'autres en Birmanie. Il fallut dans certains
cas qu'un membre de la famille impériale se rende sur place
pour porter en mains propres le décret portant le sceau impérial.
L'utilisation de la bombe atomique sur les villes japonaises
et ses habitants a suscité et suscitera longtemps encore des polémiques,
y compris aux États-Unis. Marcel Camus écrira dans le journal
"Combat" du 8 août 1944: « La civilisation mécanique
vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »
Pourtant, sans vouloir minimiser l'aspect résolument dramatique
de ces bombardements atomiques, il convient d'en relativiser les
effets directs en termes de décès de civils. Les 78 000 morts
d'Hiroshima, les 35 000 de Nagasaki, auxquels il faudra ajouter
les nombreux décès qui surviendront ultérieurement, venaient s'ajouter
aux quelques 800 000 japonais déjà disparus sous les bombes. Le
premier raid sur Tokyo du 9 mars 1945 avait fait au moins 84 000
victimes à lui seul, davantage que la bombe d'Hiroshima.
Il peut être intéressant d'évoquer également le martyre de la
population de Dresde, en Allemagne, qui avait perdu au moins 35
000 de ses habitants en février 1945 dans une série de bombardements
incendiaires d'une ampleur sans précédent certains auteurs
avancent un chiffre bien supérieur). Guernica n'avait
connu "que" 1500 morts et devint cependant le symbole
de la barbarie nazie. La guerre qui s'achevait avait tué plus
de 10 000 000 de civils soviétiques, soit 14% de sa population.
Le fait que des civils aient été choisis délibérément comme cible
stratégique n'était guère nouveau: le bombardement de Shanghaï
par le Japon avait inauguré cette pratique dès janvier 1932.
Ce qui a frappé l'opinion fut sans doute bien moins le nombre
de morts et l'ampleur des destructions que l'aspect nouveau
et tout-puissant de cette arme.
On pourra, dans un procès qui n'est toujours pas clos, débattre
de la nécessité de l'usage de cette arme aux pouvoirs terrifiants
et quant aux réelles motivations qui ont amené les américains
à en faire usage. Il est certain que la conquête par des moyens
"classiques" de l'archipel nippon, mais aussi des
territoires que les japonais avaient conquis les années précédentes
aurait été très coûteuse en vies humaines (tant américaines que
japonaises). Le Président Truman (qui avait ignoré, jusqu'à
la mort de Roosevelt l'existence du "Manhattan
Project")
avança cet argument.
On peut s'interroger sur l'effet des la montée des tensions
entre américains et soviétiques sur la décision d'une solution
radicale en ce qui concernait le Japon. Que ferait Staline de
l'arsenal accumulé pour venir à bout du IIIème Reich? Truman
a pu y voir l'occasion de lancer un avertissement aux soviétiques.
Qui plus est, l'URSS venait d'entrer en guerre contre
le Japon. Les américains ont pu être tentés de hâter la chute
de l'Empire du Soleil Levant avant que les soviétiques ne
l'envahissent, ce qui aurait établi une partition de fait
du Japon similaire à ce qui fut établi en Allemagne ou dans la
péninsule coréenne.
Or, c'est justement en Corée qu'allaient rebondir les
tensions entre les nouveaux "blocs" Est-Ouest. "Little
Boy" et "Fat Man" n'avaient hâté la fin d'une
guerre que pour installer un nouvel équilibre: celui, bien instable,
de la terreur nucléaire.
©
Aérostories, 1999
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