[accueil]  [sommaire général]  [sommaire précédent]  [forums]  [modelstories]  [livres & magazines]  [liens]

L'après-bombe.

par  Philippe Ballarini

Après la démonstration de force des États-Unis, le martyre et l'apocalypse d'Hiroshima et de Nagasaki, les jusqu'au-boutistes du Conseil Impérial nippon se trouvèrent affaiblis. Les plus modérés, en accord avec l'empereur Hiro-Hito, purent débarrasser le gouvernement de l'Empire du Soleil Levant du carcan de la tutelle des militaires.

Peu après Nagasaki, Londres et Washington furent avisés par le ministre des Affaires Étrangères Togo, que le Japon était prêt à capituler, émettant tout de même la condition que le Mikado demeure le chef de l'État. Il sembla acceptable aux alliés, voire même important, que Hiro-Hito demeure à la tête du Japon, car lui seul avait la capacité de faire capituler toutes ses troupes.

Le 15 août 1945, à midi, le Mikado, qui avait échappé à une tentative d'enlèvement projetée par de jeunes officiers de l'armée de terre, adressait un message radiophonique à son peuple et à ses forces armées. Manipulant avec habileté les euphémismes, ne prononçant en aucun cas les termes de "capitulation", de "reddition" ou de "défaite", Hiro-Hito s'adressa dans un langage de cour à une nation qui n'avait jamais entendu le son de sa voix. Son discours provoqua de l'incrédulité et de la honte chez les Japonais. Les incrédules, soldats subalternes qui n'avaient jamais subodoré la précarité de la situation militaire de leur pays, se préparaient encore à défendre leur pays jusqu'à la mort. La honte de la reddition amena d'importantes vagues de suicides. Nombreux furent ceux qui se firent "seppuku" (hara-kiri) devant le palais impérial.

Pour éviter toute surprise, les alliés décidèrent de ne signer la capitulation que lorsqu'une imposante force navale américaine serait ancrée dans la baie de Tokyo. Le cuirassé "Missouri", sur lequel devait se signer l'acte de capitulation sans condition, échappa de peu à un projet de raid "
kamikaze" conçu par de jeunes officiers de l'armée de l'air.

Ce n'est que le 2 septembre 1945, soit près d'un mois après Hiroshima, que les délégations japonaises et alliées signaient, sur le "Missouri", la capitulation sans condition du Japon, mettant un terme à la seconde guerre mondiale.

Pourtant, certaines unités japonaises continuèrent de se battre jusqu'au 7 et 8 septembre, comme les garnisons de Truk (îles Carolines) ou d'autres en Birmanie. Il fallut dans certains cas qu'un membre de la famille impériale se rende sur place pour porter en mains propres le décret portant le sceau impérial.

L'utilisation de la bombe atomique sur les villes japonaises et ses habitants a suscité et suscitera longtemps encore des polémiques, y compris aux États-Unis. Marcel Camus écrira dans le journal "Combat" du 8 août 1944: « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. »
Pourtant, sans vouloir minimiser l'aspect résolument dramatique de ces bombardements atomiques, il convient d'en relativiser les effets directs en termes de décès de civils. Les 78 000 morts d'Hiroshima, les 35 000 de Nagasaki, auxquels il faudra ajouter les nombreux décès qui surviendront ultérieurement, venaient s'ajouter aux quelques 800 000 japonais déjà disparus sous les bombes. Le premier raid sur Tokyo du 9 mars 1945 avait fait au moins 84 000 victimes à lui seul, davantage que la bombe d'Hiroshima.

Il peut être intéressant d'évoquer également le martyre de la population de Dresde, en Allemagne, qui avait perdu au moins 35 000 de ses habitants en février 1945 dans une série de bombardements incendiaires d'une ampleur sans précédent certains auteurs avancent un chiffre bien supérieur).  Guernica n'avait connu "que" 1500 morts et devint cependant le symbole de la barbarie nazie. La guerre qui s'achevait avait tué plus de 10 000 000 de civils soviétiques, soit 14% de sa population.

Le fait que des civils aient été choisis délibérément comme cible stratégique n'était guère nouveau: le bombardement de Shanghaï par le Japon avait inauguré cette pratique dès janvier 1932.  Ce qui a frappé l'opinion fut sans doute bien moins le nombre de morts et l'ampleur des destructions que l'aspect nouveau et tout-puissant de cette arme.

On pourra, dans un procès qui n'est toujours pas clos, débattre de la nécessité de l'usage de cette arme aux pouvoirs terrifiants et quant aux réelles motivations qui ont amené les américains à en faire usage. Il est certain que la conquête par des moyens "classiques" de l'archipel nippon, mais aussi des territoires que les japonais avaient conquis les années précédentes aurait été très coûteuse en vies humaines (tant américaines que japonaises). Le Président Truman (qui avait ignoré, jusqu'à la mort de Roosevelt l'existence du "
Manhattan Project") avança cet argument.

On peut s'interroger sur l'effet des la montée des tensions entre américains et soviétiques sur la décision d'une solution radicale en ce qui concernait le Japon. Que ferait Staline de l'arsenal accumulé pour venir à bout du IIIème Reich? Truman a pu y voir l'occasion de lancer un avertissement aux soviétiques. Qui plus est, l'URSS venait d'entrer en guerre contre le Japon. Les américains ont pu être tentés de hâter la chute de l'Empire du Soleil Levant avant que les soviétiques ne l'envahissent, ce qui aurait établi une partition de fait du Japon similaire à ce qui fut établi en Allemagne ou dans la péninsule coréenne.

Or, c'est justement en Corée qu'allaient rebondir les tensions entre les nouveaux "blocs" Est-Ouest. "Little Boy" et "Fat Man" n'avaient hâté la fin d'une guerre que pour installer un nouvel équilibre: celui, bien instable, de la terreur nucléaire.

© Aérostories, 1999

[ suite ]    [ galerie de photos ]

Hiro-Hito, empereur du Japon. Il se laissa convaincre par les bellicistes de déclencher la guerre. Pourtant, pour des raisons d'ordre politique, les USA ne retinrent pas sa responsabilité. Il joua un rôle non négligeable lors de la cessation des combats.   D.R.

2 septembre 1945. Sur le pont du cuirassé Missouri, un des membres du gouvernement japonais signe l'acte de reddition sans conditions. Le jour même, Hô-Chi-Minh proclamait l'indépendance du Viêt-Nam.
DITE/USIS

La ville de Dresde (Allemagne) après les bombardements. Peu d'immeubles sont encore debout. Certaines sources douteuses avancent le chiffre de 135 000 morts en raison de la présence dans la ville de nombreux réfugiés.
Tallandier

L'ombre de l'étoile rouge soviétique, déjà établie sur la Mandchourie, se profile sur le Japon. Le désir des Américains de voir l'URSS rejoindre les USA dans la lutte pour abattre l'Empire du Soleil Levant s'est rapidement muée en une crainte de voir les soviétiques prendre pied sur l'archipel nippon.
Clic

En appendice: le président Truman et la bombe , par Nicolas Bernard.