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Raymond Fumat
Histoire d'un pilote oublié.

par Philippe Boulay

Ceux qui l'ont connu se souviennent d'un homme réservé et modeste, un peu artiste, qui grattait la guitare avec talent, et qui savait être un pilote exceptionnel et complet. L'Histoire de Raymond Fumat pilote débute il y a 56 ans dans la France du Levant. Ce fut en effet à Rayak, le 16 septembre 1944, qu'il reçut avec bonheur ses ailes, accompagnées de la promotion au grade de sergent dans l'Armée de l'Air. A vingt-trois ans ce garçon au tempérament un peu rêveur avait déjà pas mal roulé sa bosse depuis le printemps de 1939, quand en débarquant sur la base de Meknès, au Maroc, il se disposait à "bouffer le monde entier". Assoiffé d'aventure, de grands espaces et de paysages vierges, il espérait  devenir très vite pilote. Mais il ne parvint pas à intégrer cette élite dont les exploits avaient marqué son enfance. Déçu il quitta l'Armée de l'Air pour devenir inspecteur de police, "un peu par hasard", disait-il. Cependant le virus était toujours là : l'homme n'avait pas un tempérament sédentaire. Quelque temps plus tard il décida de "tenter le coup" à nouveau et réintégra l'Armée de l'Air. Mais l'époque était troublée, de grands évènements secouaient le Monde… Comme beaucoup d'autres, le jeune Fumat choisit de prendre de l'altitude et rejoignit la France Libre à Tripoli, en l'espèce la 2ème DB. Ses compétences lui valurent d'être affecté à la Sécurité Militaire avec le grade d'adjudant-chef, mais il y connut quelques mésaventures, son intransigeance lui ayant attiré la vindicte de petits trafiquants qui parvinrent à le mettre en difficulté vis à vis de sa hiérarchie. Cassé de son grade, il dut ronger son frein avant d'être mis hors de cause et d'obtenir enfin une mutation à destination du groupe école n°11.

Son brevet en poche, il fut envoyé en perfectionnement à Orangeburg aux USA, mais se retrouva démobilisé en mars 1946. A la fin des hostilités, les pilotes étaient en surnombre… Heureusement, trois ans plus tard il apprit que l'Armée de l'Air recherchait  des moniteurs : il s'engagea donc pour la troisième fois, et fut affecté à Cazaux pour la durée de son stage. Ce fut là, au printemps de 1950, qu'il rencontra le sergent Georges Joly, un mécanicien qui venait de terminer son stage de formation à l'hélicoptère chez Hélicop-Air, à Cormeilles en Vexin, et qui était en partance pour l'Indochine. Joly lui apprit  qu'un pilote d'hélicoptère avait été tué dans un accident et que l'état-major cherchait un volontaire pour le remplacer.

Hélicoptère.. Voilà bien un mot porteur d'horizons nouveaux… Fumat se renseigna auprès de l'état major où il fut vivement encouragé à poser sa candidature ; il fut formé chez Hélicop-Air, sur Hiller UH 12 A (une vingtaine d'heures, sous la houlette d'Alan Bristow et  d'André Onde). Et début août 1950, le sergent Fumat débarquait à Saïgon et se mettait à la disposition du lieutenant Alexis Santini, chef de la section d'hélicoptères du haut  Commissariat de France. Il y a laissé le souvenir d'un garçon courageux, apprécié pour la  grande finesse de son pilotage, qui a assumé de nombreuses évacuations sanitaires particulièrement ardues, souvent dangereuses. Les historiens diront qu'avec ses camarades il a contribué à installer l'idée de la nécessité des hélicoptères sanitaires…
Mais cette période qu'il qualifiait de "passionnante" devait s'achever brutalement dès l'été 1951 ; grièvement blessé à la colonne vertébrale dans un accident de la route, le sergent Fumat fut rapatrié en métropole puis jugé définitivement incapable de piloter et  radié du personnel navigant de l'Armée de l'Air. Une radiation un peu rapide, semble t-il…
Car l'homme était pourvu d'une ténacité hors du commun. Refusant l'éventualité du handicap, il réussit à remonter la pente, lentement. Jusqu'au jour "béni entre tous" où il  se retrouva au manche d'un Hiller, chez Hélicop-Air à Issy les Moulineaux. Fin pilote et  moniteur d'une grande qualité, il y forma de nombreux pilotes militaires, devint chef pilote, et fut détaché auprès de Sud Aviation comme pilote de démonstration Alouette II et Djinn. Puis il fit du traitement agricole et de la recherche géologique pour Gyrafrique, de la  formation en Israël et en Yougoslavie, avant de découvrir les cieux d'Amérique, pendant deux décennies : Panama, Mexique, grand nord canadien, Equateur, Belize, USA… "Des aventures…" indiquait-il dans ses notes…

Des aventures qui lui offrirent l'opportunité de piloter un peu de tout, (dont, dit-on, des quadrimoteurs), et même d'être intégré à l'équipe d'essais d'un prototype… Mais qui allaient aboutir à une nouvelle épreuve. Convaincu d'avoir travaillé sans permis officiel, dans un pays où l'on ne badinait pas avec ce genre de choses, il fut placé manu militari dans l'avion de Paris, où il débarqua sans rien : pas un sou, aucun justificatif officiel… Or, dans la France en crise de 1982 il n'y avait pas de travail, pas de reconnaissance pour un sexagénaire sans références. Il lui a fallu encore plusieurs années de galère avant de  trouver un peu de tranquillité. Raymond Fumat a quitté ce monde en juin 2001, seul dans son petit logement de Courbevoie, loin des cieux qu'il avait parcourus.


©
Aérostories, 2002.

Cet article a été publié en août 2001 dans la Lettre mensuelle du Groupement Français de l'Hélicoptère.

Sur ce cliché pris vers 1955 Raymond Fumat est en haut à gauche ; en dessous, l'adjudant Bartier, autre pilote de l'équipe de Santini, et à droite Henry Boris, directeur d'Hélicop-Air.

Cliché G. Joly         Clic

Raymond Fumat aux commandes de son Hiller.

Cliché G. Joly         Clic

Fumat à l'entraînement sur l'hippodrome de Saigon..

Cliché G. Joly         Clic