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Ceux qui
l'ont connu se souviennent d'un homme réservé et modeste,
un peu artiste, qui grattait la guitare avec talent, et qui savait
être un pilote exceptionnel et complet. L'Histoire de Raymond
Fumat pilote débute il y a 56 ans dans la France du Levant. Ce
fut en effet à Rayak, le 16 septembre 1944, qu'il reçut avec
bonheur ses ailes, accompagnées de la promotion au grade de sergent
dans l'Armée de l'Air. A vingt-trois ans ce garçon au
tempérament un peu rêveur avait déjà pas mal roulé sa bosse depuis
le printemps de 1939, quand en débarquant sur la base de Meknès,
au Maroc, il se disposait à "bouffer le monde entier".
Assoiffé d'aventure, de grands espaces et de paysages vierges,
il espérait devenir très vite pilote. Mais il ne parvint
pas à intégrer cette élite dont les exploits avaient marqué son
enfance. Déçu il quitta l'Armée de l'Air pour devenir
inspecteur de police, "un peu par hasard", disait-il.
Cependant le virus était toujours là : l'homme n'avait
pas un tempérament sédentaire. Quelque temps plus tard il décida
de "tenter le coup" à nouveau et réintégra l'Armée
de l'Air. Mais l'époque était troublée, de grands évènements
secouaient le Monde… Comme beaucoup d'autres, le jeune Fumat
choisit de prendre de l'altitude et rejoignit la France Libre
à Tripoli, en l'espèce la 2ème DB. Ses compétences
lui valurent d'être affecté à la Sécurité Militaire avec le
grade d'adjudant-chef, mais il y connut quelques mésaventures,
son intransigeance lui ayant attiré la vindicte de petits trafiquants
qui parvinrent à le mettre en difficulté vis à vis de sa hiérarchie.
Cassé de son grade, il dut ronger son frein avant d'être mis
hors de cause et d'obtenir enfin une mutation à destination
du groupe école n°11.
Son brevet en poche, il fut envoyé en perfectionnement à Orangeburg
aux USA, mais se retrouva démobilisé en mars 1946. A la fin des
hostilités, les pilotes étaient en surnombre… Heureusement, trois
ans plus tard il apprit que l'Armée de l'Air recherchait
des moniteurs : il s'engagea donc pour la troisième fois,
et fut affecté à Cazaux pour la durée de son stage. Ce fut là,
au printemps de 1950, qu'il rencontra le sergent Georges Joly,
un mécanicien qui venait de terminer son stage de formation à
l'hélicoptère chez Hélicop-Air, à Cormeilles en Vexin, et
qui était en partance pour l'Indochine. Joly lui apprit
qu'un pilote d'hélicoptère avait été tué dans un accident
et que l'état-major cherchait un volontaire pour le remplacer.
Hélicoptère.. Voilà bien un mot porteur d'horizons nouveaux…
Fumat se renseigna auprès de l'état major où il fut vivement
encouragé à poser sa candidature ; il fut formé chez Hélicop-Air,
sur Hiller UH 12 A (une vingtaine d'heures, sous la houlette
d'Alan Bristow et d'André Onde). Et début août 1950,
le sergent Fumat débarquait à Saïgon et se mettait à la disposition
du lieutenant Alexis Santini, chef de la section d'hélicoptères
du haut Commissariat de France. Il y a laissé le souvenir
d'un garçon courageux, apprécié pour la grande finesse
de son pilotage, qui a assumé de nombreuses évacuations sanitaires
particulièrement ardues, souvent dangereuses. Les historiens diront
qu'avec ses camarades il a contribué à installer l'idée
de la nécessité des hélicoptères sanitaires…
Mais cette période qu'il qualifiait de "passionnante"
devait s'achever brutalement dès l'été 1951 ; grièvement
blessé à la colonne vertébrale dans un accident de la route, le
sergent Fumat fut rapatrié en métropole puis jugé définitivement
incapable de piloter et radié du personnel navigant de l'Armée
de l'Air. Une radiation un peu rapide, semble t-il…
Car l'homme était pourvu d'une ténacité hors du commun.
Refusant l'éventualité du handicap, il réussit à remonter
la pente, lentement. Jusqu'au jour "béni entre tous"
où il se retrouva au manche d'un Hiller, chez Hélicop-Air
à Issy les Moulineaux. Fin pilote et moniteur d'une
grande qualité, il y forma de nombreux pilotes militaires, devint
chef pilote, et fut détaché auprès de Sud Aviation comme pilote
de démonstration Alouette II et Djinn. Puis il fit du traitement
agricole et de la recherche géologique pour Gyrafrique, de la
formation en Israël et en Yougoslavie, avant de découvrir les
cieux d'Amérique, pendant deux décennies : Panama, Mexique,
grand nord canadien, Equateur, Belize, USA… "Des aventures…"
indiquait-il dans ses notes…
Des aventures qui lui offrirent l'opportunité de piloter un
peu de tout, (dont, dit-on, des quadrimoteurs), et même d'être
intégré à l'équipe d'essais d'un prototype… Mais qui
allaient aboutir à une nouvelle épreuve. Convaincu d'avoir
travaillé sans permis officiel, dans un pays où l'on ne badinait
pas avec ce genre de choses, il fut placé manu militari dans l'avion
de Paris, où il débarqua sans rien : pas un sou, aucun justificatif
officiel… Or, dans la France en crise de 1982 il n'y avait
pas de travail, pas de reconnaissance pour un sexagénaire sans
références. Il lui a fallu encore plusieurs années de galère avant
de trouver un peu de tranquillité. Raymond Fumat a quitté
ce monde en juin 2001, seul dans son petit logement de Courbevoie,
loin des cieux qu'il avait parcourus.
© Aérostories,
2002.
Cet article a été
publié en août 2001 dans la Lettre mensuelle du Groupement Français
de l'Hélicoptère.
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