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Les hélicoptères français :
de la SNCASE à Eurocopter

SNCASE SE 3101

par Daniel Liron

L'activité "voilures tournantes" de la SNCASE était réduite en cette année 1945. En effet après la Libération cette société avait fabriqué deux exemplaires de l'hélicoptère bi-rotor SE.3000, ex-Focke-Achgelis FA 223. Cet appareil complexe était en partie construit avec des éléments mécaniques récupérés sur des FA 223 allemands. L'équipe d'alors était composée  du professeur Heinrich Focke, évincé de sa firme et rejoignant en France le bureau d'études de la Société où travaillaient déjà des ingénieurs français comme MM. Négroni, Tresch, et surtout René Mouille qui allait être le créateur des plus légendaires hélicoptères de chez nous: la série des Alouette 1, 2 et 3, et connu aussi pour avoir œuvré à la mise au point des Frelon,  Super-Frelon, Gazelle, et principalement de toutes les innovations techniques apportées aux rotors, dont une des plus magistrale est l'invention du fameux "Fenestron" (passé depuis, hélas, dans le domaine public),(1) dont il est le génial concepteur.

Cette équipe était dirigée alors par l'ingénieur en chef Pierre Renoux  qui était auparavant chef du département "autogires" chez Lioré et Olivier.

Le SE 3101 fut commandé par l' État français en décembre 1946. Réalisé à base d'éléments cannibalisés sur un hélicoptère allemand FA-61 (pales et tête rotor principal), il se présentait comme un appareil insolite, fait de tubes assemblés, avec cependant un moteur Mathis, français, de 100 ch à peine. Sa singularité était son système anti-couple. En effet, un double rotor de queue se trouvait à l'extrémité d'un empennage "papillon", ce qui donnait à la machine une allure pour le moins singulière. Ce système allait d'ailleurs provoquer une belle frayeur à son pilote, comme nous allons le voir plus loin. Le moteur, insuffisant puissant et extrêmement fragile, n'arrivait en outre pas à délivrer  les chevaux espérés.. De plus, il était réticent à démarrer. René Mouille se souvient qu'assistant un jour à un essai, il le vit recracher gentiment ses soupapes par… son tuyau d'échappement ! Original, non ?

Les essais en vol se révélèrent  assez pointus. La machine fut emmenée à la base de Villacoublay et c'est le chef pilote Henri Stakenburg qui fut chargé de la faire voler. Ayant mis toute la gomme pour ce faire, il ne réussit pas à se soulever d'un centimètre. On invoqua l'insuffisance du moteur, quand Jacques Lecarme (Chef-pilote de la SNCASE)  eut une idée.
Il demanda à un jeune pilote d'essais récemment breveté de tenter l'expérience car il pesait quinze kilos de moins que Stakenburg. Ce "bleu" était Jean Boulet, aujourd'hui célèbre pour ses 17 records en hélicoptère, et sa carrière de Directeur des Essais en Vol de l'Aerospatiale, à Marignane. L'appareil se souleva à 30 cm du sol durant quinze minutes. C'est ce qui fit démarrer la carrière de Jean Boulet par la spécialisation "voilures tournantes" à laquelle il est resté fidèle jusqu'au bout.

L'appareil  tenant bien le stationnaire, il fallait essayer le vol en translation. Charles Marchetti demanda à Jean Boulet  de décoller et d'essayer de faire une série d'accélérations-arrêts. Sitôt atteint la vitesse de 40 km/h le SE 3101 se cabra brusquement vers le ciel. Jean Boulet mit alors le manche butée en avant, mais rien n'y fit. L'appareil repartait en arrière en chutant de plus belle. Près du sol les commandes répondirent un peu, ce qui évita à la queue de toucher le sol. Jean Boulet pût se poser à plat, sans dégâts, mais avec une vitesse arrière de 20 km/h. L'explication de cette perte de portance était dûe à l'interférence du souffle du rotor principal sur les deux rotors arrière qui fut annulée par le recul de l'appareil, ce qui permit aux rotors de queue de reprendre leurs actions. Suite à cet incident la commande de profondeur fut rectifiée et tout rentra dans l'ordre.

En 1949, le Service Technique Aéronautique (STAé) exigea d'effectuer des essais d'autorotation avant la démonstration du Salon de l'aéronautique d'Orly. La veille Jean Boulet se lança, non sans appréhension. Au cours de l'approche, il devait débrayer et couper le moteur. Ce qu'il fit, mais comme il n'y avait pas encore d'embrayage centrifuge, il dut lâcher la commande de pas pour arriver à attraper le levier d'embrayage. Ce qui eut pour conséquence de faire chuter le nombre de tours du rotor et d'entraîner l'appareil vers le sol.  Cette fois-ci le posé fut brutal. Le support de l'atterrisseur droit cassa net  (il n'y avait pas d'amortisseurs) et l'appareil se coucha sur le côté, cassant toutes les pales des rotors. Jean Boulet sortit heureusement indemne, mais vexé d'avoir cassé l'appareil qu'on lui avait confié.  La présentation au Salon était compromise.

Ne s'avouant pas vaincus, les responsables réparèrent l'appareil en travaillant jour et nuit et purent faire la démonstration officielle au Salon, comme prévu, devant le ministre de l'Air. En 18 mois l'appareil ne totalisa que 20 heures effectives de vol. Les vols d'essais étant très courts et échelonnés en fonction des rectifications à faire, c'était un travail de fourmi et l'apprentissage d'une rude patience.

Le SE 3101 démontra que la position en
V des rotors de queues désavantageait l'appareil par un gaspillage de puissance et par la perte de portance causée par le mélange des souffles des rotors s'annulant entre-eux.

La commande d'Etat fut suspendue et l'hélicoptère rendu au constructeur, lequel le céda au Musée de l'Air, où il y est encore. (On n'avait pas encore commencé à détruire notre patrimoine, ce qui fut fait plus tard avec certains avions, mais cela est une autre histoire...).

©Aérostories, 2001.

Le SNCASE SE. 3000 était issu du Focke-Achgelis 223 "Drachen" avec lequel il ne présentait que des différences mineures.

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Vue latérale du SE 3101-01 montrant bien l'architecture sommaire de cet appareil, de ce fait allégé au maximum. Le faible moteur en ligne Mathis occupait tout de même une place importante sous le rotor.

CEV, Collection Ph. Ricco   Clic

Sur ce cliché du SE 3101-01 sur le terrain de Villacoublay, on distingue bien l'empennage papillon à 45° et ses deux rotors anti-couple bipales.

CEV, Collection Ph. Ricco   Clic

Villacoublay, septembre 1948: afin de démontrer au public les possibilités de la machine, un technicien (en costume et béret) fait passer un message au pilote Jean Boulet.

Collection Ph. Ricco   Clic

Le SE-3101 expérimental à Orly.
Collection Ph. Ricco   Clic