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Arado 234, juillet - août 1944:
des missions pas ordinaires

avant-propos

par Philippe Bauduin

L'été 1944, un jeune Normand de quatorze ans regarde avec curiosité passer dans le ciel un bien étrange appareil. Plus tard, il sera interprétateur de photographies aériennes pour l'escadron 2/33 (celui de Saint-Exupéry). Ceci explique sans doute pourquoi Philippe Bauduin a dépensé tant d'énergie pour partir à la recherche des photos disparues prises par l'Arado 234 de la Luftwaffe, l'un des premiers appareils à réaction réellement opérationnels, au-dessus du théâtre d'opérations de la Normandie de l'été 44. La publication d'un ouvrage écrit en collaboration avec Eric Charon n'a pas été pour lui la fin de cette aventure, bien au contraire. De nouveaux éléments lui ont été communiqués, et en particulier il a pu retrouver et rencontrer les pilotes de ces missions pas ordinaires effectuées à bord d'un appareil tout aussi exceptionnel.

Les premiers Ar 234 de reconnaissance n'étaient pas encore équipés d'un train d'atterrissage. L'envol s'effectuait à partir d'un chariot tricycle largué au décollage et freiné ensuite par parachute. L'appareils devait, à son retour se poser sur une piste en herbe en glissant sur des patins rétractables. Il était à son tour freiné par un parachute.
Il est probable que cette photo ait été prise à Juvincourt.

Document Deutsche Bundesarchiv Koblenz   Clic

la mission

Le 2 août 1944, la météo est clémente et l'ordre est donné d'effectuer une première reconnaissance. Une météo qui doit être parfaite au-dessus des objectifs, en l'occurrence le port d'Arromanches et les aérodromes. La qualité des photos en dépend.  Sommer grimpe dans son appareil par la verrière avant droit. L'avion a été hissé sur son chariot de décollage. Les techniciens vérifient les ultimes détails.  Autour de l'Arado, on referme les dernières trappes. Auparavant hissé par un tracteur sur le Rollstrasse (piste d'accès aux pistes d'envol, "taxiway") de son hangar souterrain, il est dirigé vers la piste d'envol en béton. De leur côté, les chasseurs à hélice Bf 109 et Focke-Wulf 190 du IV/JG 27 et du I/JG Il font chauffer leur moteur. Ils ont pour rôle d'accompagner au départ et à l'arrivée l'Arado.  Ce sont les deux moments où cet appareil peut être abattu par un chasseur allié. Dans son cockpit, une fois arrivé à son point de départ, en bout de piste, Sommer, toujours aidé des derniers techniciens, démarre les réacteurs à l'aide d'un moteur auxiliaire "Riedel" chargé, lui, de lancer les pales des réacteurs.

Des hommes, munis de lances d'incendie, sont prêts à intervenir en cas de problème. Sommer a peu de place dans ce biréacteur pour se mouvoir. Sur sa gauche, les deux manettes à manipuler avec une "main d'ange" qui servent au contrôle des moteurs qu'il laisse monter en régime. Il vérifie une dernière fois ses volets, son gouvernail et sa commande de profondeur. Un bref coup d'œil à l'extérieur lui indique que tout est OK. La radio une fois branchée, il suit les instructions de la tour de contrôle. Paré pour le décollage, doucement l'avion s'ébranle dans un curieux sifflement. Les habitants de Juvincourt, plutôt habitués aux bruits des hélices, regardent de loin l'appareil qui s'élance en direction de l'ouest. Une brève secousse, le chariot s'est décroché et tombe, ralenti par le parachute.  Par sécurité, en cas de décollage raté, les trois patins d'atterrissage sont restés sortis. Le temps de les remonter et Sommer aperçoit les chasseurs allemands qui l'encadrent. Tout en vérifiant les multiples instruments de contrôles, il prend de l'altitude pour arriver enfin à douze mille mètres, là où il sera invulnérable, là où ni la Flak (FLugAbwehrKanonen, D.C.A.), ni aucun chasseur, sauf quelques appareils réservés à la surveillance de l'Angleterre, comme les Spitfire stratosphériques, ne peut monter. A huit cents - neuf cents kilomètres/heure, il faut peu de temps pour se rendre au-dessus de la Normandie.  Avant d'être sur son objectif, le pilote prépare ses appareils photo (caméras RB 50/30). Devant lui, un périscope lui permet dans ce cas précis essentiellement de surveiller les traînées de condensation. Trop importantes, elles ne manqueraient pas d'attirer vers lui l'attention des servants de DCA. Sommer regarde sa carte et commence ses prises de vues. En bas, c'est la guerre ou presque puisque la zone d'Arromanches n'est plus qu'une base logistique, mais essentielle. Méticuleusement, il photographie tout en trois passes: aérodromes où sont basés les fameux avions "Typhoon" tueurs de chars, transports de troupes, bateaux et même les quelques vergers qui ont résisté à l'assaut du mois de juin. Il est temps de rejoindre la base.  Un virage très long, pour ne pas fatiguer la structure de l'avion soumise à de fortes contraintes à cette altitude, et c'est le retour vers l'est, vers Juvincourt.

Tout s'est déroulé sans difficulté. Au-dessus de Soissons, l'Arado, qui a commencé à perdre de l'altitude, rejoint les chasseurs venus le protéger. Juvincourt est en vue. Sommer abaisse le long patin d'atterrissage central et les autres, sous les réacteurs. Il réduit sa vitesse, sort ses volets.  Il est parti depuis une heure et demie. Doucement, sans doute en contact radio avec l'opérateur chargé de le guider vers la piste en herbe, il descend régulièrement : deux cents, cent, cinquante mètres puis vingt, dix, il coupe les réacteurs. Grâce à un film des archives de la Luftwaffe, on se rend compte que le choc est énorme, l'appareil glisse vite.
Le pilote sort son parachute de freinage, puis la longue course sur l'herbe verte prend fin. Les trois patins ont tenu! Des hommes accourent vers lui. Dans sa cabine, l'officier-pilote Sommer dégrafe son masque à oxygène, respire un bon coup tout en restant assis sur son siège. Il voit ses camarades lui sourire à travers la verrière. Aidé d'un des techniciens affectés à l'Arado, il enlève les courroies qui l'ont maintenu solidement attaché pendant tout le vol.
A l'extérieur de l'avion, le soleil l'éblouit un instant. Quelques personnes se pressent pour lui serrer la main. Après tout, il s'agit du premier vol au monde de reconnaissance aérienne en avion à réaction.

Extrait de "Normandie 44, les photos de l'avion espion"
© Maison d'édition Maît' Jacques.1997.

2 Août 1944, 16h32. Erich Sommer, depuis son Ar 234, photographie le port artificiel d'Arromanches depuis une altitude de 11 000 mètres. Cette photographie, vraisemblablement transmise au haut état-major allemand par bélinographe, révèle le présence des pontons flottants et de plus de trois cents navires.

Document Erich Sommer / US National Archives.   Clic

Voir la fiche d'interprétation: cliquez ici.

Erich Sommer en 1942. Clic
Collection privée Erich Sommer.

Le 28 septembre 1944, Juvincourt est un terrain militaire allié. Erich Sommer survole à bord de son Ar 234 la base qui fut celle dont il partit au-dessus de la Normandie. Désormais, au sol, ce sont 165 Thunderbolt et un Lancaster. Un camp de toile est installé. Ce fragment laisse apparaître, cerclés de pointillé, les abris où étaient stationnés les Arado deux mois plus tôt.

Document Erich Sommer/US National Archives.  Clic

La cabine pressurisée d'un Ju 86R. La petite manivelle sert au réglage du système de visée de précision.

Collection privée Erich Sommer.   Clic

les pilotes

Horst Götz et Erich Sommer ont fait pratiquement toute la guerre ensemble, de la Campagne de Norvège jusqu'en septembre 1944 où leurs destins se sont séparés.
Après la Campagne de Norvège, ils sont tous les deux affectés comme attachés de la Luftwaffe à la Commission d'Armistice et tout particulièrement à la surveillance des déplacements du Maréchal Pétain pour éviter que celui-ci ne quitte la France par avion. On les retrouve en poste à Casablanca toujours au titre de la Commission d'Armistice.
Au début d'août 1942, ils sont appelés à Beauvais pour faire partie d'un Commando de Bombardement à Haute Altitude pour faire des 'raids' sur l'Angleterre. L'ère des "raiders" commence. Après plusieurs missions, sans opposition, en Août 1942 sur Aldershot, Luton, Bristol, à bord de leur JU 86 R (T5+PM), armé d'une seule bombe de 250 kilos, ils se préparent à exécuter un bombardement sur Cardiff le 12 Septembre 1942. A leur grand étonnement ils sont interceptés à 44.000 pieds par le Spitfire IX d'Emmanuel Galitzine (BF 273, suite à une erreur de transmission). Une poursuite s'engage qui durera quarante-cinq minutes! H. Götz réussira à ramener son appareil. H.Götz et E.Sommer atterriront à Caen, leur avion ayant été transpercé de part en part par un obus. Ce sera le premier et le seul engagement à cette altitude de toute la guerre.

On retrouvera nos deux pilotes au début de 1944 pour apprivoiser les Arado 234. Ils pourront au cours de leur apprentissage assister au premier vol au monde d'un quadriréacteur Arado V8 le 4 Février 1944.

Erich Sommer et Horst Götz.
Collection privée Erich Sommer.
Clic

la société Arado

En 1913 les chantiers navals de Friedrichshafen s'orientaient vers la construction de véhicules de toute nature, et notamment d'avions destinés aux vols au-dessus des eaux. En 1914, une piste était crée près des chantiers et l'activité aéronautique se développa durant toute la Grande Guerre. Après la guerre, les difficultés financières menèrent les chantiers au dépôt de bilan. Arado, nom choisi par les repreneurs en 1925, signifie soc ou charrue en espagnol (en vieux français on trouverait araire), et a été choisi pour garder les références aux chantiers navals (laboureur des mers), mais aussi pour l'aviation au-dessus des flots. On retrouvera notamment cette attache navale dans les nombreux hydravions torpilleurs que produira la société Arado et dont le plus connu sera l'hydravion à flotteurs Ar-196.

A la tête du groupe d'investisseurs qui, en novembre 1925, reprenait les anciens chantiers navals de Friedrichshafen, en dépôt de bilan en février de la même année, se trouvait Heinrich Lübbe, lequel insuffla à la nouvelle société Arado la dynamique nécessaire à l'entreprise.

Né en 1884, Lübbe avait commencé sa vie active comme marin de commerce. Très tôt intéressé à l'aviation, il rencontra dès 1909, lors de ses nombreux voyages à Paris, Audemars et Blériot et se lia d'amitié avec Roland Garros. Il retrouva Roland Garros en 1915 lors d'un atterrissage forcé que celui-ci fit dans les lignes allemandes. Il trouva dans l'épave de l'avion le fameux dispositif de tir à travers l'hélice inventé par R. Garros, le perfectionnera chez Fokker et en équipera notamment le Baron Rouge. Heinrich Lübbe sera couvert de gloire après la Grande Guerre.

En 1936 Lübbe refusa d'adhérer au parti nazi . Son entreprise fut nationalisée et lui-même fut totalement spolié. Il mourut en 1940 à l'âge de cinquante-six ans, ruiné, et sans avoir connu les développements que ses collaborateurs avaient imaginé après qu'il leur eu inculqué: l'excellence. L'entreprise nationalisée fut totalement liquidée en 1945. On pourra remarquer que ses concurrents Junkers, Messerschmitt, BMW, Heinkel, etc. sont tous aujourd'hui dans le consortium Airbus. On peut s'interroger sur la morale de l'histoire...

Tout comme la firme Blohm & Voss, avec laquelle elle aura en commun l'aspect novateur de bon nombre de projets, la société Arado trouve sa source dans des chantiers navals.
Publicité de 1939 pour l'Arado Ar79, biplace d'école et de tourisme dont certains exemplaires voleront dans la Sarre jusqu'en 1967.

Document Arado Flugzeuge Gmbh.          Clic

Après un long travail d'investigation, Philippe Bauduin et Eric Charon présentent dans Normandie 44, les photos de l'avion espion les photos prises par les AR 234 de Juvincourt et narrent l'étonnante histoire de ces dernières.       Clic

la Résistance et Juvincourt.

La base de Juvincourt, entre Reims et Laon, le long de la RN 44, était l'une des plus grandes de la Luftwaffe en France: trois pistes en béton et plus de 300 alvéoles pour avions. Elle était surveillée en permanence par le réseau du Commandant Dromas.
Juvincourt était bien connu des Allemands qui l'occupèrent déjà pendant la première guerre mondiale: Juvincourt est situé à l'extrémité est du Chemin des Dames.
C'est à Juvincourt également que César défit les Barbares ( Belges et Gaulois) en 57 avant notre ère.
L'aviation était déjà présente en 1939 à Juvincourt avec des pistes en herbe.
Durant l'été 1944 on trouvera à Juvincourt à la fois les Arado 234 , T9+LH de H. Gotz et T9+MH de E. Sommer ainsi que des Me 262. Des Me 262, avions sans hélice qui attirèrent l'attention de la Résistance. Le MI 6 fut immédiatement informé et les pistes immédiatement bombardées. La RN 44 servira d'abord de piste de secours puis de piste principale. On remarquera que la RN 44 ne fut jamais visée! E. Sommer rapporte que lors d'un décollage il aperçut allongé dans l'herbe un civil qui le photographiait. Il informa immédiatement les services de sécurité qui se lancèrent à la poursuite de l'intrus. Ils remonteront la filière jusqu'aux côtes de Normandie où les précieuses photos avaient été remises aux alliés. Aujourd'hui encore les Services Secrets anglais nient farouchement avoir reçu de tels clichés.

Après une étape au sympathique Relais Ste Marie sur la RN 44, on peut visiter les pistes et les nombreux blockhaus qui renferment encore bien des mystères. De part et d'autre de la RN 44 on distingue nettement les deux alvéoles merlonnées des deux Arado visitées récemment par E. Sommer.

© Aérostories 2000.

L'un des deux alvéoles construits pour recevoir les Ar 234 de Juvincourt, telle qu'elle se présente plus de cinquante ans après le vol de Erich Sommer.

Photo Eric Charon.                  Clic

Alors que les Plages du Débarquement viennent d'être classées "Grand Site", en attendant qu'elles le soient au titre du"Patrimoine de l'Humanité", la base de Juvincourt est à nouveau évoquée pour devenir le troisième aéroport de la Capitale. Le lien entre ces deux sites est l'Arado 234. Afin de montrer la richesse du fonds documentaire que nous possédons à d'éventuels vidéo-producteurs, nous avons fait réaliser par la Banque d'Images Régionale une compilation de 8.30 minutes des archives: d'Erich Sommer, de la Nara… On trouvera aussi bien des images du pilote que des détails sur la machine ou des vues saisissantes de décollage où d'atterrissage.

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