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Bodenplatte, opération de la dernière chance

L'attaque de la JG 53

par Rolf Steiner

édition pdf

169 ko - 4 pages

La JG 53, moins son premier groupe basé à Veszprem en Hongrie, reçoit l'ordre d'attaquer deux terrains près de Metz : Frescaty (Y.34), où stationnent les P-47D du 365th Fighter Group, est assigné aux Stab, II. et IV./JG 53 et Étain-Rouvres (A.82) au III./JG 53. Toutefois, les combats des semaines précédentes ont laissé des traces et le II./JG 53 se retrouve sans officier expérimenté. L'Oberstleutnant Helmut Bennemann en confie le commandement au Leutnant Karl Broo. Le décollage s'effectue à 8 h 45. Pour cette opération, la JG 53 va engager 79 Bf 109. Le trajet ne se déroule pas sans incident. Vers Kaiserslautern, une patrouille de Spitfire intercepte le Ju 88 qui sert de guide au II./JG 53 et le descend en flammes. Cependant, les pilotes britanniques ne remarquent par les 109 qui volent à très basse altitude. Un Spitfire traverse le champ de tir de Broo et, en dépit des ordres donnés, celui-ci ouvre le feu et l'abat. De même l'Oberfeldwebel Eduard Isken ne résiste pas à la tentation de s'offrir sa 50ème victoire et descend un Auster peu avant d'arriver sur l'objectif.

La déroute du III./JG 53

Pendant ce temps, le III./JG 53 manque le rendez-vous avec le reste de l'escadre. Partis de Kirrlach, les pilotes du Hauptmann Siegfried Luckenbach tombent sur une trentaine de P-47D en patrouille. Ernst-Dieter Bernhard, ailier de Luckenbach, rend compte de la situation dans laquelle son groupe va se retrouver :

« 
Le vol s'était déroulé sans incident, mais j'ai vu un des deux Rotten qui volaient derrière nous gagner de l'altitude. Des Thunderbolt nous tombaient dessus soleil dans le dos. Aussitôt, j'ai vu mon chef larguer son réservoir supplémentaire et grimper à son tour. J'ai immédiatement largué le mien pour rester avec mon chef. L'instant suivant, on engageait un combat tournoyant sauvage contre les 30 Thunderbolt qui venaient de semer la confusion dans notre formation. La préparation de la mission avait été insuffisante, car personne ne nous avait dit ce que nous étions censés faire en pareille circonstance. Comme nous n'avions pas encore franchi le front, il n'y avait aucun contact radio entre nous et, selon les ordres, les radios n'avaient pas été allumées. En conséquence, celui qui avait repéré les Thunderbolt en premier n'avait pas pu prévenir les autres. Le Kommandeur comprit que s'en tenir de manière rigoureuse à la mission était absurde et aurait signifié la disparition de nombreux pilotes. Mais son ordre d'engager le combat avec l'ennemi n'a pas été entendu. Il a fallu un petit moment pour que chacun se rende compte que le silence radio n'était plus vraiment de mise dans les circonstances actuelles et il a fallu encore une bonne minute pour que la radio fonctionne après avoir été allumée.

« Quoi qu'il en soit, chacun a suivi le type devant lui et en fin de compte, tout le monde a grimpé. Mais ce bref instant d'hésitation a été suffisant pour semer le trouble dans notre formation. Avec la vitesse qu'ils avaient emmagasinée dans leur piqué, les Thunderbolt la jouaient facile. Ils pouvaient exécuter leurs passes comme à l'entraînement et utiliser leur vitesse pour reprendre de l'altitude et préparer leur passe suivante. Alors que nos Bf 109, tentant de grimper en partant des pâquerettes, pendaient dans les airs comme des prunes trop mûres.

«
De nombreuses pensées m'ont traversé la tête. Le fait d'avoir largué nos réservoirs supplémentaires trop tôt signifiait que nous ne pourrions pas effectuer notre mission comme prévu. Même si nous parvenions jusqu'à notre objectif, il n'était pas assuré que nous aurions assez de carburant pour revenir. Selon ce que l'on trouverait sur place, il n'était même pas certain que nous pourrions atteindre nos lignes. Est-ce que tous nos avions devaient accepter le combat ? Pourrions-nous dégager et atteindre Étain ? Après avoir ouvert ma radio, j'ai entendu le Kommandeur appeler ses hommes. Seuls quelques-uns ont répondu. Un terrible combat tournoyant s'est engagé. Plusieurs d'entre nous ont été atteints et ont dû sauter. Nous étions complètement dispersés. Moi-même, je me suis retrouvé avec un Thunderbolt dans ma queue et je n'ai eu d'autre choix que de tirer sur le manche de toutes mes forces pour éviter d'être descendu. À l'issue de cette manœuvre, j'ai perdu de vue mon  chef. »

Bernhard se retrouve ensuite tout seul dans le ciel et tente de poursuivre la mission. Cependant, son avion a été fortement endommagé pendant le combat et il doit faire demi-tour, la mort dans l'âme. Il rentre à Kirrlach sans encombre, mais avec le moral à zéro.

«
Après tous les préparatifs concernant cette mission, j'étais de retour là où elle avait commencé et j'étais en colère après ma malchance. Je pensais que plusieurs avions de mon groupe avaient peut-être atteint l'objectif. Mais quand plus de deux heures se sont écoulées après notre départ sans voir beaucoup d'avions revenir, j'ai pensé que ce jour serait un jour noir. Je crois qu'à part moi, seulement un ou deux Bf 109 sont rentrés à Kirrlach, dont l'Oblt. von Vacano, Kapitän de la 9. Staffel. »

L'attaque des P-47 a été dévastatrice au sein du III./JG 53, treize Bf 109 ont été abattus, mais le groupe a eu de la chance dans son malheur, puisqu'il n'a perdu aucun pilote.

L'attaque de Metz

Peu avant 9h20, le Stab et le IV./JG 53 se présentent devant Frescaty où règne déjà une certaine activité. Quelques minutes tôt, douze P-47D du 387th Fighter Squadron sont rentrés d'une reconnaissance armée, tandis que le Captain Jerry Mast décolle à la tête de douze P-47D du 388th FS et que le 389th FS est en train de préparer une sortie à son tour.
Le 365th FG a pour habitude de tenir deux pilotes en alerte à l'autre bout de la piste, "au cas où...", mais cette précaution n'est guère prise au sérieux. Ce matin-là, seul le
Captain Tom Stanton (du 386th) est harnaché dans son P-47, son ailier est encore en train de se réchauffer au-dessus d'un brasero.

Tout à coup une vaste formation débouche au-dessus du terrain. Les commentaires fusent.  « 
Vu la façon dont leur formation est dispersée, c'est des English; ils  aiment voler comme ça », remarque un armurier. « T'as vu ces connards de P-51 qui font du rase-mottes ! », fait un mécano à l'un de ses camarades. L'autre, sans doute plus observateur, lui rétorque : « Mon cul, oui ! C'est des Boches ! » et les deux hommes se jettent dans une tranchée au moment où mitrailleuses et canons commencent à claquer.

Bien évidemment, Stanton, tout seul à l'extrémité de la piste, offre une cible idéale. Avant qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit, il est encadré de balles et d'obus par un Bf 109, mais miraculeusement, aucune ne fait mouche. Alors, le pilote se détache et court se mettre à l'abri.

Eduard Isken évoque le début de l'attaque :
« 
Non loin de l'aérodrome, nous avons été pris pour cibles par la DCA. Puis on a effectué la première passe, les avions ennemis étaient alignés comme à la parade. Des bombes ou des réservoirs étaient en train d'être montés sous les avions. Après notre première passe, toute une rangée de gros nuages de fumée noire flottait au-dessus du terrain. »

Derrière le
Stab et le quatrième groupe arrive le deuxième en échelon refusé. La DCA américaine est déjà en pleine action. Particulièrement bien agencée, car la plupart des batteries ont été installées sur les collines entourant Frescaty, la défense anti-aérienne réalise un véritable carnage. L'Obersleutnant Bennemmann est touché et un éclat le blesse superficiellement au visage. Sept appareils du II./JG 53 sont abattus au-dessus de l'aérodrome et le IV./JG 53 en perd six. Les P-47D du 388th FS, rappelés d'urgence, n'ont pas pu arriver à temps et aucun chasseur n'a pu décoller du terrain. Il n'y a donc pas eu de combat aérien et toutes les pertes sont à mettre au compte de la DCA.

Les Américains ont perdu vingt-deux P-47D détruits et onze endommagés, mais ils ne déplorent aucune victime, seule a été mise à mal la fierté du
Major George Brooking, commandant du 386th FS, pour s'être précipité hors des latrines avec le pantalon en bas des jambes.
Les deux groupes de la JG 53 ont perdu quatorze pilotes en tout (5 tués et 2 prisonniers chacun).

Après le raid, l'
Oberfeldwebel Stefan Kohl de la 13./JG 53, qui s'est parachuté, est amené à Frescaty. Il est interrogé par le Major George Brooking. Le sous-officier allemand se fait remarquer par son comportement arrogant et cabot.  Quelqu'un voulant prendre une photo de la scène, Kohl exige qu'il puisse se recoiffer et polir ses bottes avant. Puis, avisant les carcasses tordues des P-47 au-dehors, il lâche à Brooking : « Qu'est-ce que vous dites de ça ? ». Le Major serre les dents et sort de la pièce sans un mot. Deux jours plus tard, Brooking rend une nouvelle visite à son prisonnier. Il le fait se lever et l'emmène devant la fenêtre où le jeune pilote allemand peut apercevoir un alignement de P-47D flambant neufs qui viennent d'arriver. « Qu'est-ce que vous dites de ça ? », lui dit simplement Brooking. Kohl regarde un instant le sol, puis fixe Brooking et dans un anglais impeccable lui répond : « Ça, c'est la seule raison pour laquelle vous gagnez ».

© Aérostories, 2002

Un Bf 109G-14 du IV./JG 53 à Kirrlach, le 13 janvier 1945.
À cette époque de la guerre, le remplacement des avions n'est pas un plus gros problème pour la Luftwaffe que pour les Alliés. Le remplacement des pilotes, si !
Collection J.V. Crow

Focke-Wulf Fw 190A-9 (WNr. 980543)
Oberstleutnant Johann Kogler
Stab JG 6
Abattu et fait prisonnier le 01.01.45 à Volkel.
Clic
Copyright P-A. Tilley
Avec l'aimable autorisation d'Aéro-Editions

Le Gefreiter Alfred Michel, de la 16./JG 53, contemple les restes de son Bf 109G-14 (WNr. 462892 - "2 bleu") crashé près de Waldwiestroff.
L'impact de balle semble prouver qu'il a été abattu et non victime d'une panne de moteur.
Avec l'apparition des bandes de la défense du Reich (cf Aéro-Journal n° 5), l'insigne de l'as de pique a disparu. Sur la photo du bas, on distingue encore son emplacement.
USAF

L'épave du Bf 109G-14/AS (WNr. 784993 - "13 blanc") de l'Unteroffizier Herbert Maxis, entré en collision avec l'appareil de l'Oberleutnant Otto Benz (tous deux de la 13./JG 53).
Maxis sera battu à mort par les habitants de la région.
USAF

Cet article est extrait du dossier "Bodenplatte, l'opération de la dernière chance", figurant dans Aéro-Journal N° 28 de décembre 2002 - janvier 2003.