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Algérie  1954-1962.

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391 ko - 6 pages

Bananes à l'assaut des djebels

Créé le 29 avril 1955 par changement de dénomination du Groupement de Formations d'Hélicoptères de l'Armée de Terre en Indochine (G.F.H.A.T.I.), le Groupe d'Hélicoptères N° 2 (GH 2) débarque à Alger le 8 mai 1955 pour s'installer dans l'Est Algérien à Sétif - Aïn Arnat.
Malgré des débuts difficiles, le GH 2  est aussitôt engagé dans la toute jeune Guerre d'Algérie. Il prend en charge dès l'été 1955 les missions avec des hélicoptères cargos
Westland et des Sikorsky pour le transport lourd, et quelques Bell pour le reste. Pour pallier de nombreux problèmes, son commandant, le chef de bataillon Marceau Crespin appelé familièrement Le Big, s'efforce de réussir ce que l'Armée de l'Air fait sur le plan général, en l'occurrence se porter au devant des besoins.
Devant l'insuffisance des moyens matériels, la toute jeune Aviation Légère de l'Armée de Terre (ALAT) cherche une solution. À la suite d'une mission effectuée aux États-Unis, le chef d'escadron Razy porte son choix sur le
Vertol H 21 C, surnommé Banane volante  en raison de sa silhouette. Baptisé Work Horse (cheval utilitaire) par les Américains, il a été conçu pour servir sur les porte-avions, donc au niveau de la mer, ce qui fait que ses performances maximales ne peuvent que difficilement s'accommoder des 1000 mètres d'altitude de la base de Sétif. Si par son concept il ne semble pas vraiment adapté aux missions de maintien de l'ordre, il est le seul hélicoptère cargo rapidement disponible sur un marché où l'Armée de l'Air, qui souhaite s'assurer la maîtrise des moyens en la matière, s'efforce de devancer sa rivale. La Guerre d'Algérie va donc s'avérer providentielle pour le constructeur Piasecki car elle va lui permettre de vendre dans la plus grande urgence à la France des appareils d'autant plus disponibles immédiatement qu'ils sont difficiles à écouler sur le marché.

Malgré son léger handicap de puissance, la
Banane deviendra l'une des figures emblématiques de la Guerre d'Algérie au cours de laquelle elle excellera dans l'héliportage d'assaut que le colonel Bigeard sera l'un des premiers à expérimenter. Les pilotes, qui considéreront le H 21 comme la Rolls des hélicoptères, sauront tirer parti de ses qualités et de ses défauts, aidés en cela par des mécaniciens ingénieux. Avec son poste de pilotage confortable jouissant d'une bonne visibilité, le H 21 se révélera peu sensible au décentrage grâce à ses deux rotors en tandem de même diamètre (13,40 m). Cependant, son train arrière fragile ne sera pas de taille à résister pas à un choc longitudinal, d'où l'installation de berceaux de crash à Sétif et sur ses principaux terrains de fréquentation afin de lui permettre de se poser sur le ventre, même avec un train cassé. Cet hélicoptère cargo moyen birotor est équipé d'un moteur Wright à neuf pistons en étoile de 1425 ch, situé à la "cassure de la banane" . Il a une capacité d'emport maximum de 18 hommes, limitée à une dizaine en raison des conditions locales de température et de pression en Algérie. Les équipements radio-électriques sont sommaires , le vol de nuit se pratiquant "à vue"  à de basses altitudes.
Entre 1956 et 1958, le GH 2 recevra la majorité de la centaine de
H 21 perçus par l'ALAT. Il formera jusqu'à cinq Escadrilles. Le 1er août 1956, la flottille 31 F de l'Aéronautique Navale créée le mois précédent avec des Vertol H 21 C, a été incorporée au GH 2 avec lequel elle opérera jusqu'à la fin 1957 avant de voler de ses propres ailes, le temps de former et d'aguerrir ses équipages aux opérations héliportées. 

Lundi 8 avril 1957 : Boule de feu sur le Mimouna

Depuis deux jours, les soldats français sont engagés dans une opération dont l'épicentre se situe à mi-chemin entre Bou-Saada et Biskra, dans le sud de l'Algérie, aux portes du désert. Ratissages et bouclages se succèdent sans que la bande d'un certain Djoghlaf Abd El Kader ne puisse être  localisée avec précision. Cependant, au soir du 7 avril, des renseignements recueillis sur le terrain laissent penser que les rebelles se sont réfugiés dans le djebel Mimouna dont les grottes abriteraient une véritable caserne souterraine.

Le 8 avril, dès l'aube, le Mimouna est cerné par les fantassins et les chars qui soulèvent des nuages de poussière, tandis que trois hélicoptères
Banane du GH 2 se préparent à héliporter au sommet un commando du 9ème Bataillon de Tirailleurs Algériens (9ème BTA). Les équipages des trois appareils sont constitués par le capitaine Scherrer et l'adjudant Gorgol, le lieutenant Tallet et le sergent-chef Paul, le sergent-chef Huschard et le sergent-chef Hoinville.

Au préalable, des
T-6 de l'EALA 15/72 en détachement à Bou-Saada, traitent à la roquette et à la mitrailleuse un piton escarpé qui domine l'ensemble des crêtes. Leur intervention est destinée à débarrasser l'endroit d'éventuels tireurs ennemis afin que les hélicoptères puissent y déverser leur cargaison d'hommes en toute quiétude.

Les sticks embarquent dans le ventre des
H 21 dont les pales brassent l'air matinal qui va vite se réchauffer avec le soleil saharien. Le leader de la formation, le capitaine Scherrer, décolle le premier. Ancien officier parachutiste qui a débuté dans les fameux S.A.S. en Angleterre, Scherrer a traîné ses guêtres en Malaisie durant la Seconde Guerre mondiale, avant d'effectuer trois séjours en Indochine sous le béret rouge. C'est un pilote doué, doté d'une mémoire visuelle phénoménale qui lui permet de retrouver un point précis dans une montagne couverte de forêt.

Les
T-6 achèvent leur dernière passe lorsque, semblable à une grosse libellule, l'hélicoptère du capitaine Scherrer pose ses deux roues arrière sur un rocher proche du sommet. Par la porte latérale, huit hommes sautent et se jettent aussitôt à plat ventre. Puis l'appareil se soulève doucement et recule pour pouvoir se dégager. À ce moment précis, un jet d'épaisse fumée noire monte tout droit vers le ciel.
-
Dégagez, on se fait tirer dessus ! hurle le capitaine Scherrer sur les ondes.
Ce seront ses derniers mots. Une boule de feu explose, coupant en deux l'hélicoptère qui dévale la paroi à-pic avant de s'écraser un peu en dessous de la ligne de crête, sur des arbres.

Aussitôt, l'agitation atteint son paroxysme. À la radio, des cris et des jurons montent. Ordres et réponses s'entremêlent. Le commando, qui vient de débarquer avec peu d'armes et de vivres, est complètement isolé. Une voix affolée surgit alors dans les haut-parleurs des radios :
-
Nous sommes tombés en plein milieu des fells, mon lieutenant vient d'être tué, nous sommes tirés comme des perdreaux, je n'ai que des blessés autour de moi. Ils viennent d'abattre l'hélicoptère qui nous a amenés. Venez vite au secours !
Cet appel est lancé par le radio du groupe héliporté de tirailleurs, un jeune appelé du contingent, seul européen survivant. En l'air, le lieutenant Tallet, pilote du second hélicoptère, a assisté à la tragédie. Il survole les débris de l'appareil en espérant que le capitaine Scherrer et l'adjudant Gorgol, le copilote, ont eu la chance de s'en sortir. Bien que la cabine soit intacte, les deux hommes, toujours attachés à leur siège, paraissent sans vie.
À l'appel de détresse des tirailleurs, le commandant de l'opération répond en envoyant les
T-6  qui mitraillent et expédient des roquettes pour couvrir les légionnaires et les sahariens qui gravissent les pentes pour dégager les survivants. Des bimoteurs Dassault 311 du G.O.M. 86 armés de missiles SS 11 sont appelés à la rescousse pour attaquer les grottes à flanc de falaise. Les combats font rage, sous une chaleur étouffante.

En fin de journée, une
Banane pilotée par le lieutenant Tallet se pose, uniquement sur sa roulette avant en l'absence de plate-forme, pour embarquer les blessés et les rescapés de l'héliportage. L'évacuation vient à peine de commencer qu'une balle traverse la coque de l'hélicoptère. Resté aux commandes, moteur tournant, Tallet met les gaz et s'apprête à décoller sans attendre d'autres impacts, ni même son copilote. Le sergent-chef Paul se précipite alors, monte en voltige, met le pied entre la tête et le bras d'un cadavre allongé sur le plancher.
Les corps du capitaine Scherrer et de l'adjudant Gorgol seront redescendus dans la vallée le lendemain. Le portage s'avérera difficile en raison du terrain, de la chaleur et de la soif.

Malgré le bouclage et la venue de renforts dont des parachutistes du 1er RCP déposés par douze
Nord 2501, la bande de Doghlaf Abd El Kader parvient à s'échapper en ne déplorant que de faibles pertes. Le dernier soir de l'opération, à sept heures du soir, alors que le soleil est bas sur l'horizon, les pilotes de T-6 effectuent quelques passages en rase-mottes, non loin du sommet du Mimouna. Ils remarquent alors que l'ombre de chaque touffe d'herbe est très allongée, semblable à un alignement d'arbres espacés. Des rafales sont lâchées sur ces formes étranges. Lorsque les légionnaires atteindront la crête, ils découvriront que chaque touffe camouflait un bidon retourné, percé de meurtrières, dans lequel était dissimulé un tireur. L'ensemble était parfaitement invisible !

Les
Bananes volantes du GH 2 seront de tous les combats qui se dérouleront dans l'Est de l'Algérie. Elles participeront notamment à la  bataille de la frontière algéro-tunisienne qui atteindra son paroxysme à la fin du mois d'avril 1958 par la bataille de Souk-Ahras.
De 1955 à 1962, les hélicoptères du GH 2 (
Bell, Alouette II, Sikorsky H 19, Vertol H 21) effectueront  en Algérie 190.745 heures de vol (dont 87 344 pour les H 21) en transport de combattants, fret et blessés (20.329 ramassés et/ou évacués, dont 2 199 de nuit). Huit officiers et vingt-trois sous-officiers périront en Service Aérien Commandé.


©
Aérostories, 2002. Tous droits réservés.

par Patrick-Charles Renaud

Hélicoptère "Banane" Vertol H 21 C du GH2 (Aviation Légère de l'Armée de Terre) au cours d'un ravitaillement d'une compagnie de parachutistes en position sur un éperon rocheux à 25 mètres au-dessus d'un confluent d'oueds dans l'Est de l'Algérie en juin 1960.
Collection D. Corby via P-Ch. Renaud   Clic

Vertol  - Piasecki H-21
Flottille 31 F
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Illustration : Bruno Pautigny
Avec l'aimable autorisation de © Wing Masters, 2001.

Soldat français emmenant un prisonnier vers une "Banane" de l'Aéronautique Navale (31e Flottille) lors d'une opération dans l'Ouarsenis en 1959.
Collection L. Coviaux via P-Ch. Renaud   Clic

Héliportage d'un stick de parachutistes du 14e RCP par une Banane du GH2 lors d'une opération dans le Constantinois en 1959.  Clic
Collection C. Sollogoub via P-Ch. Renaud   

Héliportage d'assaut par une Banane du GH2 de parachutistes lors d'une opération dans la région de Mondovi (Est algérien) en mars 1959.

Collection A Fortassin via P-Ch. Renaud   Clic

Poste de pilotage d'une Banane du GH2.
Collection D. Corby via P-Ch. Renaud   Clic

Carcasse de l'hélicoptère H 21C du capitaine Scherrer et de l'adjudant Gorgol du GH2 qui vient d'être abattu par les rebelles lors d'une opération dans le Djebel Mimouna le 8 avril 1957.
Collection P-Ch. Renaud   Clic

L'adjudant Gorgol, copilote du capitaine Scherrer avec lequel il a trouvé la mort le 8 avril 1957 aux commandes d'un hélicoptère Banane du GH2.

Collection P-Ch. Renaud   Clic

Bananes du GH2 en alerte lors d'opérations dans les Aurès en 1961.

Collection M. Rastello via P-Ch. Renaud   Clic