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Algérie  1954-1962.

B-26 au secours des fantassins

Pour être en mesure d'assurer pleinement les missions qui lui incombent en Afrique du Nord, l'Armée de l'Air française a décidé de se doter à l'automne 1956 de deux groupes de bombardement équipés de Douglas B-26, appareils alors disponibles sur le marché des surplus américains depuis la fin de la Guerre de Corée. Le 1er septembre 1956, le Groupe de Bombardement 1/91 Gascogne est créé suivi trois mois plus tard par le G.B. 2/91 Guyenne. Le Guyenne s'est installé sur la base aérienne d'Oran La Sénia alors que le Gascogne s'implantait dans l'Est Algérien, à Bône. Durant la Guerre d'Indochine, trois Groupes de Bombardement dotés de B-26 ont déjà pris part aux combats, notamment à la bataille de Ðiên Biên Phû durant le premier semestre 1954. Il s'agissait des GB 1/19 Gascogne, 1/25 Tunisie puis du 1/91 Maroc, ce dernier n'ayant pratiquement pas été engagé du fait de sa création tardive.

Le
B-26 Invader est un bombardier d'assaut bimoteur à train tricycle, qu'il ne faut pas confondre avec le B-26 Marauder de la Seconde Guerre Mondiale sur lequel s'illustrèrent de nombreux équipages des Forces Aériennes Françaises Libres. Durant la Guerre d'Algérie, trois versions équipent les deux groupes. Le B-26 B Straffer est conçu pour l'attaque au sol, avec douze ou quatorze mitrailleuses de 12,7 mm dans le nez et dans les ailes. Le B-26 C Leader, au nez vitré, est une version de bombardement en vol horizontal muni d'un viseur à synchronisation Norden, utilisable uniquement par ciel clair et bonne visibilité. Il est armé de six mitrailleuses de 12,7 mm dans les ailes. Ces deux versions comportent également une à deux tourelles arrière, portant chacune deux mitrailleuses jumelées de même calibre, très utiles pour rendre l'avion moins vulnérable lors de passes de tir à basse altitude. Ils peuvent emporter deux tonnes de bombes dans la soute, ainsi que huit roquettes sous les plans. Une troisième version, le RB-26, est destinée à la reconnaissance. Le B-26 "Reco"  emporte dans le nez vitré et dans sa soute une batterie d'appareils de photographie aérienne pour des prises de vues verticales, latérales et obliques. Il peut, en outre, être armé de quatre mitrailleuses sous les plans. Administrativement, les B-26 "Reco"  sont regroupés au sein d'une escadrille baptisée Armagnac.  En pratique, quatre appareils de ce type s'ajoutent aux seize bombardiers dont sont déjà dotés chacun des deux groupes de bombardement.

La vitesse du
B-26 varie de 350 à 400 km/h, suivant les régimes adoptés et les chargements. Équipé de ses réservoirs normaux (900 gallons, environ 3500 litres), il possède en vol en formation un rayon d'action tactique de 600 kilomètres, compte tenu du rassemblement de vingt minutes au régime de combat sur l'objectif et d'une marge de sécurité pour l'atterrissage. En avion isolé et en régime économique, le B-26 peut intervenir jusqu'à 800 kilomètres de sa base, à condition qu'on ne lui demande pas de patienter sur l'objectif. Il est équipé de deux moteurs Pratt et Whitney R 2800 de 2000 ch avec des hélices Hamilton Standard Hydromatic, tripales, à vitesse constante. Grâce à ses ailes à profil laminaire, le B-26 atteint de grandes vitesses en piqué : 425 mph, soit 684 km/h. Le bon rapport puissance/masse lui donne une vitesse ascensionnelle élevée qui, jointe à une excellente maniabilité, lui permet de faire jeu égal en combat avec les chasseurs à hélice de sa génération. Ces deux missions principales sont le bombardement horizontal qui s'exécute selon des règles strictes, et l'assaut dans lequel il excellera en Algérie grâce à son blindage, la variété de son armement et la quantité des mitrailleuses, même si son poids (37.000 livres en charge) lui fait perdre rapidement de sa vitesse au cours des ressources. Il peut ainsi traiter des objectifs variés allant de troupes au sol aux véhicules d'un convoi, voire même les bâtiments de cantonnements. Son équipage se compose d'un pilote, d'un navigateur-bombardier et d'un mécanicien-mitrailleur arrière pouvant manœuvrer une tourelle supérieure à deux mitrailleuses.

15 juillet 1959 : napalm sur le djebel Refaa

Durant la Guerre d'Algérie, la première opération dans laquelle un nombre important de B-26 a été mis en œuvre, s'est déroulée le 15 mars 1957 dans le Nord-Constantinois. Pas moins de douze appareils sont intervenus dans la forêt de Movis afin de détruire des mechtas abritant des moudjahidin et leur chef. Dès lors,  les B-26 noirs seront de tous les combats, des dunes de sables de la région de Timimoun au Sahara à la frontière algéro-tunisienne où ils interviendront le 8 février 1958 lors du célèbre raid de Sakhiet qui aura un retentissement international.

Au cours de l'été 1959,  l'opération
Étincelles qui fait partie du plan du général Challe dont l'objectif est de ratisser l'Algérie d'Ouest en Est, glisse vers le nord-ouest des Aurès où se sont réfugiés des éléments rebelles chassés des monts du Hodna. Un ratissage du djebel Refaa, situé à l'ouest de Batna, est programmé pour le 15 juillet avec les paras du 18ème RCP et les tirailleurs du 7ème RTA. Ce djebel, de sinistre réputation, n'a jamais réussi aux forces françaises. Comme à l'accoutumée, les rebelles se retranchent sur la crête rocheuse, contrôlent une aire de terrain dont ils entendent rester maîtres jusqu'à la nuit afin d'échapper aux paras. En début de soirée, la situation est bloquée. Un ultime appui aérien est demandé.

Sur la base aérienne d'Oran La Sénia, un
B-26 (Rampeau Noir) du GB 2/91 Guyenne décolle sur alerte avec, sous ses plans, quatre bidons de napalm. Le pilote a reçu pour mission de soutenir des éléments bloqués pratiquement au contact avec un groupe rebelle près du sommet du djebel Refaa.

Sur l'objectif, le contact radio est établi difficilement avec les troupes au sol. Les aviateurs apprennent qu'un groupe ennemi fortement armé, disposant au moins d'une arme automatique, empêche tout mouvement des "bérets rouges" qui ont subi des pertes. Ils sont menacés d'être anéantis si aucune intervention aérienne ne parvient à les dégager. La nuit tombe déjà sur une zone de rochers où les tirs tendus de part et d'autre interdisent tout mouvement, même de retraite.

Le
B-26 passe une première fois à basse altitude et repère un arbre parmi d'autres, à quelques dizaines de mètres des soldats français, invisibles dans les rochers. A cet instant, une voix interpelle énergiquement le pilote à la radio :
-
Qu'est-ce que tu fous ? Si tu ne fais rien, nous sommes foutus. Crever pour crever, on préfère que ce soit toi. Tu attends la nuit pour qu'ils nous égorgent tous ? Nous n'avons presque plus de munitions.
- Mon capitaine
, s'émeut le navigateur du bombardier, allons-y ! Ils sont foutus, qu'attendez-vous ?
Le sergent-chef reste poli. Il n'ose pas user des petits noms d'oiseaux que les fantassins viennent d'éructer sur les ondes avec véhémence.

Au premier passage du
B-26, un fellagha a commis l'erreur de tirer au fusil-mitrailleur. Il n'aurait pas dû, car le pilote a repéré les départs dans le crépuscule, ce qui lui permet d'évaluer la distance et la hauteur par rapport à l'arbre.

Le
B-26 attaque alors que la radio s'est tue. Pour augmenter l'efficacité et la précision, il faut larguer les bidons à grande vitesse et à basse altitude. En cet instant, le pilote se retrouve seul. C'est lui qui doit appuyer sur le bouton de largage. Avec un plein chargement de napalm et les soldats amis à quelques dizaines de mètres d'une trajectoire qu'il veut la moins mauvaise possible, il a très chaud ! La radio reste muette pendant l'embrasement qui éclaire le crépuscule. Les secondes sont très longues jusqu'à ce que des cris de joie jaillissent de la radio :
- Merci l'aviateur. Quand on vous a vu arriver, nous nous sommes planqués. On a bien senti la chaleur, mais maintenant, on y va l'arme à la bretelle…

Un petit passage cravate en guise d'adieu, plus haut que les précédents, met fin à la mission.

Au retour sur la base, la nuit est totale. Pour se faire pardonner, le navigateur propose un pot. Les deux hommes le savourent ainsi que le suivant que le pilote offrira sans rancune.
Rampeau Noir se souviendra longtemps de cette mission au cours de laquelle il ne s'est jamais autant fait injurier. Pourtant, la trajectoire et le bouton de largage à vue, presque dans l'obscurité, incombaient à lui seul. Il aurait bien voulu voir les autres à sa place !

©
Aérostories, 2002. Tous droits réservés.

par Patrick-Charles Renaud

B-26 du Groupe de Bombardement 2/91 Guyenne sur la base aérienne d'Oran La Sénia. Ce bimoteur de bombardement et d'attaque au sol existait dans les versions straffer, leader ou reconnaissance. Envergure : 31,30 m - Longueur : 15,40 m - Hauteur : 5,60 m. Au premier plan, un B-26 straffer avec, dans le nez, huit mitrailleuses de 12,7 mm.
Photo J. Dagouat via P-Ch. Renaud   Clic

Douglas B-26 Invader
Groupe de Bombardement 2/91 "Guyenne"
Oran (Algérie)
Clic
Illustration : Bruno Pautigny
Avec l'aimable autorisation de © Wing Masters, 2001.

B-26 leader du GB 2/91 Guyenne. Équipé d'un viseur de bombardement Norden, il pouvait bombarder soit en vol horizontal, soit en semi-piqué.
Coll. P. Denis via P-Ch. Renaud   Clic

Le dernier RB-26 (reconnaissance) de l'armée de l'Air termina son service au CEAM de Mont-de-Marsan. Posé à Captieux le 16 mai 1968, il y servit de cible sur le champ de tir. Il n'en reste aujourd'hui que des débris. Durant la guerre d'Algérie, les RB-26 ont accompli de nombreuses missions de reconnaissance, notamment sur les frontières algéro-tunisienne et algéro-marocaine, au-dessus du Sahara et jusqu'en Lybie, à la recherche de trafiquants d'armes ou d'aérodromes susceptibles d'accueillir des appareils étrangers susceptibles de soutenir la rébellion algérienne.
Coll. P-Ch. Renaud   Clic

Coll. P-Ch. Renaud   Clic

Au premier plan, avec le nez vitré, un B-26 leader du GB 1/91 Gascogne sur la base aérienne de Bône-les-Salines. Sous son plan droit, l'on remarque quatre roquettes. En second plan, un B-26 straffer.
Coll. P-Ch. Renaud   Clic

B-26 straffer du GB 1/91 Gascogne au-dessus de la grande Kabylie lors des opérations du plan Challe en 1959.
Coll. M. Boinot via P-Ch. Renaud   Clic

Impact sur le sol de bidons de napalm lâchés par un B-26 du GB 2/91 durant la guerre d'Algérie. Le B-26 pouvait emporter sous ses plans quatre bidons de napalm qu'il ne fallait pas larguer de trop haut, les bidons ayant de très mauvaises qualités balistiques et le tir n'étant pas précis.
Coll. G. Rougeot via P-Ch. Renaud   Clic