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Algérie  1954-1962.

T-28 Fennec : des ailes pour un renard

A la fin de l'année 1959, un nouvel appareil a fait son apparition dans le ciel de l'Algérie en remplacement du bon vieux T-6 à bout de souffle : le T-28 Fennec. A l'origine, deux versions existaient aux États-Unis : le T-28 de l'US Air Force avec une cellule légère, un moteur de 800 ch et une hélice bipale, et le T-28 de l'US Navy, avec une cellule renforcée, une crosse d'appontage, un moteur de 1 450 ch et une hélice tripale.

Le
Fennec est né d'un lot de cent cinquante cellules légères achetées par la France, équipées d'un gros moteur de 1 450 ch, d'une hélice tripale et d'un train tricycle. La cabine était biplace en tandem et dessinée à l'image de celle d'un jet américain (F-80 Shooting Star), avec une verrière coulissant électriquement. La visibilité vers le bas et l'avant était remarquable mais comme il était plus rapide que le T-6, sa vitesse altérait le rendement de l'observation visuelle. Ce mariage d'une cellule légère et d'un gros moteur laissait une marge suffisante de puissance pour alourdir l'avion. Deux plaques de blindage latéral étaient montées pour protéger le pilote, ainsi que deux baquets de deux mitrailleuses de 12,7 mm approvisionnées à 100 cartouches par arme. Autant cette mitrailleuse était mal adaptée à l'armée de Terre arrosant copieusement en sautant sur son trépied, autant elle était d'une précision remarquable si l'on arrivait à la fixer très rigidement. C'était le cas sur le T-28 qui devenait une plate-forme de tir redoutable, avec quatre mitrailleuses puissantes, précises et fiables. De plus, il était possible de charger des roquettes ou des bidons de napalm. Comme le T-6, le T-28 pouvait emporter un observateur.

L'arrivée massive des
T-28 Fennec, plus puissants et plus lourdement armés que le T-6, a entraîné le regroupement des Escadrilles d'Aviation Légère d'Appui (E.A.L.A.) par deux, fin 1959. Les escadrilles sont devenues des escadrons tout en gardant leur sigle E.A.L.A., mais en recevant un nouveau numéro.


__________

4 février 1962 :
l'adjudant Rion se crashe au milieu d'une katiba


Près de huit ans après le début de l'insurrection, les Aurès demeurent un bastion de la rébellion, essentiellement en raison de ses difficultés d'accès, en particulier en contrebas du massif où la forêt des Beni Melloul est classée zone interdite. A quelques mois de l'indépendance de l'Algérie, de redoutables bandes armées de moudjahidin y stationnent encore.

L'Escadron 3/10 est né de la fusion des Escadrilles de
T-6 3/72 et 6/72. Stationné sur le terrain de Batna, il est parrainé par la 10ème Escadre de Chasse de Creil, bien que des pilotes de la 12ème Escadre de Chasse de Cambrai y affecte des pilotes. Doté de 22 appareils, l'EALA 3/10 en détache en permanence deux à Négrine au sud des Nementcha, et trois autres à Philippeville dans le Nord-Constantinois.

Le dimanche 4 février 1962, la météo est exécrable sur les Aurès. Il neige et tout est bouché. Vers 14 heures, l'horizon se dégage un peu. Le commandant de Galembert, qui commande l'Escadron 3/10, décide de faire une patrouille météo et une reconnaissance de routine dans la zone interdite des Beni Melloul. Avec la neige qui a recouvert le relief, il espère repérer des traces au sol.

L'adjudant Rion, fraîchement affecté à l'Escadron, interrompt sa partie de carte et décolle avec le commandant. A peine arrivé au-dessus de la forêt, il annonce :
-
Tango leader de deux, j'ai des claquements.
Rion n'est pas un novice. Breveté pilote de chasse aux États-Unis en février 1952 puis chef de patrouille en décembre 1956, il a déjà à son actif un séjour sur
T-6 au sein de l'escadrille de 7/72 alors basée à Tébessa, avec laquelle il a effectué 324 missions de guerre. Il a appris à reconnaître le bruit caractéristique des balles qui trouent le fuselage ou les ailes lors des rudes combats qu'il a dû appuyer en 1957/1958.

Une fumée grise s'échappe du capot, alors que le moteur s'arrête puis reprend avec des détonations. La vitesse ne peut être maintenue.
-
Mon moteur s'arrête, je vais essayer de me crasher.
Vu la très mauvaise configuration du terrain, Galembert ordonne :
-
Tango deux de leader, saute ! C'est trop mal pavé !
Le commandant de Galembert est également un pilote chevronné, qui a créé et commandé l'Escadrille  de T-6 6/72 en 1956/1957 après avoir effectué un séjour en Indochine sur Bearcat. Il fait partie de ce cercle restreint des pilotes de chasses qui ont accompli des missions périlleuses sur le camp retranché de Ðiên Biên Phû où la D.C.A. était intense.

Les recommandations du commandant sont vaines, car le
T-28 est déjà trop bas. L'adjudant Rion se crashe au bord de l'oued Fatallah, dans une petite clairière parsemée de gros rochers. En touchant le sol, l'appareil se casse et le moteur est projeté à une vingtaine de mètres, en avant du fuselage et des ailes tordues. L'une des quatre mitrailleuses de 12,7 mm est enfoncée dans le sol jusqu'à la culasse, alors qu'un panier de roquettes et l'autre mitrailleuse gisent six mètres plus loin.

Galembert prend un peu d'altitude pour alerter la base de Batna et déclencher une évacuation par hélicoptère. Soudain, il voit la verrière glisser lentement vers l'arrière. Rion s'extirpe avec beaucoup de mal de la cabine. En fait, n'ayant pas baissé son siège à fond avant le crash, celui-ci s'est brutalement affalé en position basse, provoquant un sérieux tassement des lombaires. Huit de ses côtes sont fracturées ainsi que la colonne vertébrale à deux endroits, plus la cheville gauche.
-
Ici Tango leader, il faut faire très vite, le pilote est vivant, apparemment blessé. Activez, activez !

Galembert précise de nouveau les coordonnées du crash avec quelques difficultés, car les conditions météorologiques ne sont pas idéales. Les crêtes accrochées et le vent violent rendent le repérage difficile. Seulement, le temps presse et dans moins d'une heure il fera nuit noire. En attendant la venue des secours, Galembert assure la protection en tournant au-dessus de l'oued, à régime économique. Soudain, il tressaute en observant des traces de pas dans la neige. Elles aboutissent à un petit bois de sapins en bordure de la clairière, à une centaine de mètres de l'épave. Galembert cogite. Il est incapable de se rappeler si elles existaient avant l'arrivée de la patrouille, ou si elles sont récentes. Dans un premier temps, il est tenté de mitrailler la lisière boisée. Il y renonce pour ne pas que son équipier s'affole et n'abandonne sa position, seule DZ possible, quoique à peine acceptable pour les hélicoptères.

Blessé au moment du crash, l'adjudant Rion n'a pu extraire le mousqueton de cavalerie américain (carabine
USM 1) de l'habitacle, tant sa douleur était vive. Il a dû se faire une injection de morphine contenue dans la trousse de secours. Les traces repérées par le commandant sont bien celles de fellaghas qui tentent d'aborder l'avion. Couché entre deux rochers, à une dizaine de mètres de l'aile gauche, Rion doit faire face avec son pistolet MAC 50. Les rebelles ouvrent le feu sur lui avec des fusils et des armes automatiques. Deux d'entre eux sont à une cinquantaine de mètres à l'est, d'autres au sud. Le pilote parvient à blesser l'un des assaillants, avant d'être lui-même atteint au genou droit et à la cuisse.

Pendant ce temps, à Batna, le capitaine Martin, commandant en second le P.C. Air, décide de faire héliporter des commandos. Trente-cinq minutes après l'accident, l'
Alouette du sergent-chef Thibault décolle avec à son bord le capitaine Martin et le sous-lieutenant Blanchard. Les hélicos du détachement de la 23ème Escadre suivent avec deux hélicoptères armés Pirate, alors qu'une patrouille de T-28 les devance. A 16 h 50, l'Alouette et un Pirate sont sur place. Ils choisissent et sécurisent une zone de posé située à 800 mètres de l'épave. Les commandos débarquent et gagnent le lieu de l'accident. Le médecin-capitaine Demange examine l'adjudant Rion et constate qu'il a trois fractures ouvertes à la jambe droite.
-
Les fells m'ont tiré au sol à dix mètres de distance, déclare le rescapé.
Durant deux heures, dans la neige et le froid et malgré la souffrance, il a réussi à tenir les rebelles en respect. L'enlèvement du blessé par voie de terre jusqu'à la DZ s'avérant trop difficile, l'
Alouette parvient, après quatre tentatives, à se poser près de l'épave. L'évacuation de Rion est menée in-extremis au crépuscule. Ne pouvant rentrer sur Batna, les hélicoptères passeront la nuit à Arris, plus proche.

Après renseignement, il s'avérera que l'adjudant Rion s'est crashé au milieu de la zone d'implantation d'une katiba (l'équivalent d'une compagnie). Avant d'être blessé par les rebelles d'une balle au genou et d'une autre dans la cuisse droite, il souffrait déjà de huit côtes fracturées, de deux fractures à la colonne vertébrale et d'une autre à la cheville gauche.

Après un séjour assez long dans les hôpitaux
Théo, comme le surnommaient ses camarades, renouera avec les activités de pilote de chasse. Il terminera sa carrière avec le grade de commandant, totalisant sur quarante-neuf types d'avions différents 5 700 heures de vol dont 3 800 sur avion de chasse à réaction et 584 heures en 334 missions de guerre. Ses qualités de "tireur" aérien émérite lui ont valu d'être consacré treize fois meilleur pilote de chasse "tireur"  de l'Armée de l'Air.

©
Aérostories, 2002. Tous droits réservés.

par Patrick-Charles Renaud

Un T-28 B de l'escadron 3/10 à Batna survole la région des Nemencha au printemps 1962.
Collection P. Michel, via P-C. Renaud  Clic

North American T-28 "Fennec"
EALA 03/005
Algérie 1960 -1962
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Illustration : Bruno Pautigny
Avec l'aimable autorisation de © Wing Masters, 2001.

L'Escadron 3/5 " Petit Prince " est né de la fusion en décembre 1959 des deux escadrilles de T-6 2/72 (Marquis) et 9/72 (Petit Prince). Stationné dans le Sud-Ouest de l'Algérie, non loin de la frontière avec le Maroc ; les pilotes et observateurs du 3/5 connaissaient fort bien les Monts des Ksours, le Djebel Amour et les moindres bosquets de la plaine d'Alfa.

Le T-28 était armé de quatre mitrailleuses de calibre 12,7 en deux baquets de deux sous les ailes. Il pouvait être équipé de :
- Six T-10 (3+3), grosses roquettes de 89 mm longues et puissantes montées sur des rails fixes.
- De paniers à 7 tubes de SNEB de 55 mm. Ces roquettes avaient la particularité d'un empennage à trois ailettes qui déployaient chacune leurs deux volets à ressorts devant assurer la stabilité et le guidage. Les incidents étaient fréquents et l'ouverture incorrecte d'une ailette entraînait des déviations de tir pouvant dépasser 90°. On a même vu une SNEB passer devant l'avion qui venait de la tirer, et manquer de peu son équipier. Plus grave, le chargement à 7 roquettes a vite été interdit, car le souffle de départ des six premières pouvait faire reculer la septième, centrale, qui déployait son empennage en arrière du panier. Lors du tir, le propulseur brûlait en vain jusqu'à l'autodestruction qui pulvérisait l'avion.
- Bidons spéciaux. On ne parlait pas de napalm, mais de bidons remplis d'essence gélifiée par l'adjonction d'octogel, et mise à feu par des fusées au phosphore.
- Bombes classiques.

Collection P-Ch. Renaud                Clic

Dimanche 4 février 1962 : le T-28 de l'adjudant Rion, de l'escadron 3/10, s'est écrasé dans un oued de la forêt des Beni-Melloul, dans les Aurès, en pleine zone interdite, à quelques mètres d'une position tenue par des fellaghas. Sérieusement blessé lors du crash, le pilote devra se défendre avec son pistolet en attendant l'arrivée des secours.
Collection P-Ch. Renaud            Clic

Sous la violence du choc lors du crash, le moteur Wright Cyclone R 1820 s'est arraché et a été projeté à une vingtaine de mètres du fuselage que l'on devine en haut à gauche de la photo.
Collection P-Ch. Renaud                 Clic

Poste avant du T-28 Fennec.
Image agrandie
Nomenclature des instruments de bord
Collection P-Ch. Renaud

T-28 Fennec de l'Escadron 3/10 basé à Batna, dans les Aurès.
Collection P-Ch. Renaud               Clic

T-28 Fennec de l'EALA 3/10 sur le parking de la Base Aérienne Secondaire de Batna, dans les Aurès.
Collection J. Poiraud, via P. Ch. Renaud
                               
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