|
A la fin
de l'année 1959, un nouvel appareil a fait son apparition dans
le ciel de l'Algérie en remplacement du bon vieux T-6
à bout de souffle : le T-28
Fennec. A l'origine, deux
versions existaient aux États-Unis : le T-28
de l'US Air Force avec une cellule légère, un moteur de 800 ch
et une hélice bipale, et le T-28
de l'US Navy, avec une cellule renforcée, une crosse d'appontage,
un moteur de 1 450 ch et une hélice tripale.
Le Fennec
est né d'un lot de cent cinquante cellules légères achetées par
la France, équipées d'un gros moteur de 1 450 ch, d'une hélice
tripale et d'un train tricycle. La cabine était biplace en tandem
et dessinée à l'image de celle d'un jet américain (F-80
Shooting Star), avec une
verrière coulissant électriquement. La visibilité vers le bas
et l'avant était remarquable mais comme il était plus rapide que
le T-6,
sa vitesse altérait le rendement de l'observation visuelle. Ce
mariage d'une cellule légère et d'un gros moteur laissait une
marge suffisante de puissance pour alourdir l'avion. Deux plaques
de blindage latéral étaient montées pour protéger le pilote, ainsi
que deux baquets de deux mitrailleuses de 12,7 mm approvisionnées
à 100 cartouches par arme. Autant cette mitrailleuse était mal
adaptée à l'armée de Terre arrosant copieusement en sautant sur
son trépied, autant elle était d'une précision remarquable si
l'on arrivait à la fixer très rigidement. C'était le cas sur le
T-28
qui devenait une plate-forme de tir redoutable, avec quatre mitrailleuses
puissantes, précises et fiables. De plus, il était possible de
charger des roquettes ou des bidons de napalm. Comme le T-6,
le T-28
pouvait emporter un observateur.
L'arrivée massive des T-28
Fennec, plus puissants et
plus lourdement armés que le T-6,
a entraîné le regroupement des Escadrilles d'Aviation Légère d'Appui
(E.A.L.A.) par deux, fin 1959. Les escadrilles sont devenues des
escadrons tout en gardant leur sigle E.A.L.A., mais en recevant
un nouveau numéro.
__________
4 février
1962 :
l'adjudant
Rion se crashe au milieu d'une katiba
Près de huit ans après le début de l'insurrection, les Aurès
demeurent un bastion de la rébellion, essentiellement en raison
de ses difficultés d'accès, en particulier en contrebas du massif
où la forêt des Beni Melloul est classée zone interdite. A quelques
mois de l'indépendance de l'Algérie, de redoutables bandes armées
de moudjahidin y stationnent encore.
L'Escadron 3/10 est né de la fusion des Escadrilles de T-6
3/72 et 6/72. Stationné sur le terrain de Batna, il est parrainé
par la 10ème Escadre de Chasse de Creil, bien que
des pilotes de la 12ème Escadre de Chasse de Cambrai
y affecte des pilotes. Doté de 22 appareils, l'EALA 3/10 en
détache en permanence deux à Négrine au sud des Nementcha, et
trois autres à Philippeville dans le Nord-Constantinois.
Le dimanche 4 février 1962, la météo est exécrable sur les Aurès.
Il neige et tout est bouché. Vers 14 heures, l'horizon se dégage
un peu. Le commandant de Galembert, qui commande l'Escadron
3/10, décide de faire une patrouille météo et une reconnaissance
de routine dans la zone interdite des Beni Melloul. Avec la
neige qui a recouvert le relief, il espère repérer des traces
au sol.
L'adjudant Rion, fraîchement affecté à l'Escadron, interrompt
sa partie de carte et décolle avec le commandant. A peine arrivé
au-dessus de la forêt, il annonce :
- Tango leader de deux,
j'ai des claquements.
Rion n'est pas un novice. Breveté pilote de chasse aux États-Unis
en février 1952 puis chef de patrouille en décembre 1956, il
a déjà à son actif un séjour sur T-6
au sein de l'escadrille de
7/72 alors basée à Tébessa,
avec laquelle il a effectué 324 missions de guerre. Il a appris
à reconnaître le bruit caractéristique des balles qui trouent
le fuselage ou les ailes lors des rudes combats qu'il a dû appuyer
en 1957/1958.
Une fumée grise s'échappe du capot, alors que le moteur s'arrête
puis reprend avec des détonations. La vitesse ne peut être maintenue.
- Mon moteur s'arrête, je
vais essayer de me crasher.
Vu la très mauvaise configuration du terrain, Galembert ordonne :
- Tango deux de leader,
saute ! C'est trop mal pavé !
Le commandant de Galembert
est également un pilote chevronné, qui a créé et commandé l'Escadrille
de T-6
6/72 en 1956/1957 après avoir effectué un séjour en Indochine
sur Bearcat.
Il fait partie de ce cercle restreint des pilotes de chasses
qui ont accompli des missions périlleuses sur le camp retranché
de Ðiên Biên Phû où la D.C.A. était intense.
Les recommandations du commandant sont vaines, car le T-28
est déjà trop bas. L'adjudant Rion se crashe au bord de l'oued
Fatallah, dans une petite clairière parsemée de gros rochers.
En touchant le sol, l'appareil se casse et le moteur est projeté
à une vingtaine de mètres, en avant du fuselage et des ailes
tordues. L'une des quatre mitrailleuses de 12,7 mm est enfoncée
dans le sol jusqu'à la culasse, alors qu'un panier de roquettes
et l'autre mitrailleuse gisent six mètres plus loin.
Galembert prend un peu d'altitude pour alerter la base de Batna
et déclencher une évacuation par hélicoptère. Soudain, il voit
la verrière glisser lentement vers l'arrière. Rion s'extirpe
avec beaucoup de mal de la cabine. En fait, n'ayant pas baissé
son siège à fond avant le crash, celui-ci s'est brutalement
affalé en position basse, provoquant un sérieux tassement des
lombaires. Huit de ses côtes sont fracturées ainsi que la colonne
vertébrale à deux endroits, plus la cheville gauche.
- Ici Tango leader, il faut
faire très vite, le pilote est vivant, apparemment blessé. Activez,
activez !
Galembert précise de nouveau
les coordonnées du crash avec quelques difficultés, car les
conditions météorologiques ne sont pas idéales. Les crêtes accrochées
et le vent violent rendent le repérage difficile. Seulement,
le temps presse et dans moins d'une heure il fera nuit noire.
En attendant la venue des secours, Galembert assure la protection
en tournant au-dessus de l'oued, à régime économique. Soudain,
il tressaute en observant des traces de pas dans la neige. Elles
aboutissent à un petit bois de sapins en bordure de la clairière,
à une centaine de mètres de l'épave. Galembert cogite. Il est
incapable de se rappeler si elles existaient avant l'arrivée
de la patrouille, ou si elles sont récentes. Dans un premier
temps, il est tenté de mitrailler la lisière boisée. Il y renonce
pour ne pas que son équipier s'affole et n'abandonne sa position,
seule DZ possible, quoique à peine acceptable pour les hélicoptères.
Blessé au moment du crash, l'adjudant Rion n'a pu extraire le
mousqueton de cavalerie américain (carabine USM
1) de l'habitacle, tant
sa douleur était vive. Il a dû se faire une injection de morphine
contenue dans la trousse de secours. Les traces repérées par
le commandant sont bien celles de fellaghas qui tentent d'aborder
l'avion. Couché entre deux rochers, à une dizaine de mètres
de l'aile gauche, Rion doit faire face avec son pistolet MAC
50. Les rebelles ouvrent
le feu sur lui avec des fusils et des armes automatiques. Deux
d'entre eux sont à une cinquantaine de mètres à l'est, d'autres
au sud. Le pilote parvient à blesser l'un des assaillants, avant
d'être lui-même atteint au genou droit et à la cuisse.
Pendant ce temps, à Batna, le capitaine Martin, commandant en
second le P.C. Air, décide de faire héliporter des commandos.
Trente-cinq minutes après l'accident, l'Alouette
du sergent-chef Thibault
décolle avec à son bord le capitaine Martin et le sous-lieutenant
Blanchard. Les hélicos du détachement de la 23ème
Escadre suivent avec deux hélicoptères armés Pirate,
alors qu'une patrouille de T-28
les devance. A 16 h 50, l'Alouette
et un Pirate
sont sur place. Ils choisissent et sécurisent une zone de posé
située à 800 mètres de l'épave. Les commandos débarquent et
gagnent le lieu de l'accident. Le médecin-capitaine Demange
examine l'adjudant Rion et constate qu'il a trois fractures
ouvertes à la jambe droite.
- Les fells m'ont tiré au
sol à dix mètres de distance,
déclare le rescapé.
Durant deux heures, dans la neige et le froid et malgré la souffrance,
il a réussi à tenir les rebelles en respect. L'enlèvement du
blessé par voie de terre jusqu'à la DZ s'avérant trop difficile,
l'Alouette
parvient, après quatre tentatives, à se poser près de l'épave.
L'évacuation de Rion est menée in-extremis au crépuscule. Ne
pouvant rentrer sur Batna, les hélicoptères passeront la nuit
à Arris, plus proche.
Après renseignement, il s'avérera que l'adjudant Rion s'est
crashé au milieu de la zone d'implantation d'une katiba (l'équivalent
d'une compagnie). Avant d'être blessé par les rebelles d'une
balle au genou et d'une autre dans la cuisse droite, il souffrait
déjà de huit côtes fracturées, de deux fractures à la colonne
vertébrale et d'une autre à la cheville gauche.
Après un séjour assez long dans les hôpitaux Théo,
comme le surnommaient ses
camarades, renouera avec les activités de pilote de chasse.
Il terminera sa carrière avec le grade de commandant, totalisant
sur quarante-neuf types d'avions différents 5 700 heures de
vol dont 3 800 sur avion de chasse à réaction et 584 heures
en 334 missions de guerre. Ses qualités de "tireur"
aérien émérite lui ont valu d'être consacré treize fois meilleur
pilote de chasse "tireur" de l'Armée de l'Air.
© Aérostories,
2002. Tous droits réservés.
|
|