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Le Groupe
d'Outre-Mer 86 "Grands
Ergs" ( en abrégé
G.O.M. 86 ) était une des unités aériennes les plus importantes
de la Guerre d'Algérie. Installé à Blida sur la Base Aérienne
140, il a participé aux opérations depuis le début de l'insurrection
en novembre 1954 jusqu'au cessez-le-feu en 1962, entretenant de
nombreux détachements dans le Constantinois, l'Algérois, l'Oranais
et les départements du sud. Cette formation était entièrement
équipée de bimoteurs Marcel-Dassault
Flamant dans ses trois
versions (MD-311, MD 312
et MD-315),
toutes propulsés par deux moteurs SNECMA
- Renault 12 S
de 600 ch, dont la masse maximale au décollage était de 6.400
kg.
L'avion de base ou d'origine était le MD-315
conçu pour les missions de police outre-mer. Mis en œuvre par
un pilote et un radio navigateur installés côte à côte, plus parfois
un mécanicien navigant ou armement, il était le plus polyvalent
des trois types de Flamant.
Son armement consistait en deux mitrailleuses de 12,7 mm, montées
quasiment en permanence dans le nez. Son magasin de 1.200 cartouches
était à l'intérieur du fuselage, derrière le pilote et le radio-navigateur.
Sous ses ailes, six attaches pour bombes ou paniers à roquettes.
Il pouvait larguer des projectiles de 50 kg ou bombes en paquets
(clusters bombs
de 4 X 10 kg) en semi-piqué, en utilisant le collimateur de tir
SFOM,
des roquettes ainsi que des containers spéciaux pour des plaquettes
de chocolat (produit incendiaire).
Hormis cet armement, le MD-315
pouvait aussi être équipé d'appareils photos pour prises de vues
verticales ou obliques, de brancards pour des évacuations sanitaires
ou seulement de sièges pour quelques passagers. Il pouvait également
transporter un peu de fret et faire sauter des parachutistes par
sa porte latérale.
Le MD-311
avait été conçu pour l'école de navigation et de bombardement.
Son équipage était le même que celui du 315,
sauf que le radio-navigateur était installé soit derrière le pilote,
soit dans le nez vitré de l'appareil. Il pouvait également être
équipé de lance-bombes qu'il larguait en vol horizontal après
une visée faite depuis le poste du nez vitré. Mais les 311 présentaient
surtout la particularité d'être équipés de lance-missiles pour
SS-11 (sol-sol filoguidés). Entre les mains de radio-navigateurs
bien entraînés, le SS 11 était très précis et un bon tireur pouvait
se permettre de demander dans quelle fenêtre de la mechta il devait
le faire entrer.
Le MD-312,
quant à lui, avait été conçu comme avion d'école, d'où son poste
de pilotage à double commande. Non armé, il était en petit nombre
au G.O.M. 86 où il servait pour l'entraînement, le contrôle de
pilotes, les liaisons et quelques missions de transport de personnalités.
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22
octobre 1956:
L'interception
du DC-3 de Ben Bella
Comme chaque soir, deux équipages du G.O.M. 86 sont en
alerte sur la Base Aérienne de Blida, au sud d'Alger.
Le sergent-chef Sournac, qui a effectué trois séjours
en Indochine, est pilote d'alerte numéro un pour la nuit.
Il se tient prêt à décoller avec un MD-315
armé. L'équipage dispose de trente minutes pour enfiler
la combinaison de vol, prendre les ordres, foncer à l'escadrille
et faire tourner les moteurs.
En début de soirée, la sonnerie du téléphone retentit.
La 5ème Région Aérienne donne l'ordre de faire
décoller un MD-315
équipé d'armes de bord. En vingt minutes, Sournac, le
capitaine Vincent (radio-navigateur) et le sergent-chef
Duflos (mécanicien) prennent place dans l'appareil N°
107 dont la radio ne tarde pas à lancer les consignes :
- "Décollez.
Branchez-vous sur la fréquence du Centre Régional de Contrôle.
Mettez le cap à l'est."
En passant dans la
salle d'opérations, l'équipage a pris connaissance de
la liste des passagers de l'appareil à intercepter,
un Douglas DC-3 de la compagnie civile Air-Atlas, parmi
lesquels se trouvent cinq dirigeants du Front de Libération
National Algérien enregistrés sous de faux noms :
Ahmed Ben Bella, Aït Ahmed, Mohamed Khider et Mohamed
Boudiaf accompagnés du professeur Lacheraf, moins connu.
Si ces derniers n'opèrent pas dans les maquis, ils sont
considérés comme des figures de la révolution algérienne.
Représentant le F.L.N. sur la scène internationale, ils
ont été reçus avec éclat la veille par Mohamed V avant
de prendre l'avion pour Tunis où ils se rendent à une
conférence nord-africaine organisée par le président tunisien
Bourguiba, et dont l'objet est de débattre des destinées
du Maghreb et cautionner les combats des Algériens. Depuis
le matin, les états-majors d'Algérie sont en ébullition,
l'occasion étant trop belle. Initialement, les chefs politiques
de la rébellion algérienne devaient se rendre à Tunis
à bord de l'avion du Sultan du Maroc, un
Super Constellation.
Un premier scénario prévoyait alors de l'arraisonner,
malgré les conséquences diplomatiques qui pouvaient en
découler. Finalement, les chefs algériens ont pris place
dans un autre appareil un DC-3
Dakota, qui a quitté
Rabat vers 12 h 30, après celui du Sultan. Des chasseurs
à réaction Mistral
de la 6ème
Escadre de Chasse ont décollé pour surveiller le DC-3,
alors que militaires et politiciens ne parvenaient à se
décider. Après une escale à Palma aux Baléares, le Dakota
a repris l'air à 18 H 14 après que des tractations aient
été engagées avec l'équipage civil.
Il est 19 h 50 lorsque le pilote du DC-3
reçoit l'ordre impératif de se poser à Alger avec l'assurance
qu'il sera couvert par le Ministre Résident d'Algérie
Robert Lacoste, débarqué de métropole en début de soirée.
Après quelques hésitations, il se décide à obtempérer
et à tourner en rond en mer, au nord d'Alger, pour accomplir
les trois heures de vol prévues. Pour minimiser les risques
au cas où les passagers s'apercevraient de la supercherie,
il a sollicité la présence de chasseurs susceptibles de
le forcer à faire demi-tour et à atterrir. Par sécurité,
un bombardier B-26
et deux patrouilles de Mistral
sont en alerte renforcée à Oran à 20 h 30, afin d'intervenir
si le DC-3
venait à poursuivre sa route vers le Maroc.
Il est 20 h 43 lorsque le MD-315
piloté par le sergent-chef Sournac décolle de Blida. Deux
minutes plus tard, il prend contact avec le contrôleur
d'interception de la station radar qui suit le DC-3
sur ses écrans.
- "Cap à l'Est,
en montée vers le niveau quatre-vingt dix"
lui ordonne le contrôleur.
"Prenez contact
avec le DC-3 F.O.A.B.V. Obligez-le à se poser par
tous les moyens. S'il refuse, tirez !"
La nuit est claire
avec un superbe clair de lune. Le pilote du DC-3
est préoccupé car l'astre nocturne change trop souvent
de place, ce qui pourrait alerter les chefs rebelles.
Aimablement, l'hôtesse tire les rideaux devant les hublots.
Le sergent-chef Sournac et le capitaine Vincent balaient
vainement toutes les fréquences. Puis, à la verticale
de Tizi-Ouzou, le MD-315
croise entre deux nuages un avion qui évolue 500 pieds
plus haut en direction de l'ouest. Sournac, qui ignore
tout des tractations entre les autorités françaises et
le commandant de bord du Dakota, est étonné de le voir
venir vers lui, d'autant plus qu'il se croyait à sa poursuite
vers l'est. Le contrôleur confirme par radio qu'il s'agit
bien de l'objectif.
Dès lors, Sournac suit le DC-3,
changeant sans cesse de fréquence radio pour entrer en
contact avec lui, selon les ordres reçus. Les nombreuses
tentatives échouent. Le DC-3
survole Alger et continue sa route vers l'ouest. Sournac
et Vincent s'interrogent. Ils craignent qu'il ne cherche
à regagner le Maroc, puisqu'il ne répond pas aux appels.
Au-dessus de Boufarik, Sournac contacte à nouveau la station
radar :
- "Objectif à
distance de tir ; prêt à faire feu. Demandons confirmation
ordre de tir."
Sournac envisage
de débuter le tir à la mitrailleuse sur un moteur en dessous
de l'aile, pour le terminer au-dessus, afin de ne pas
le rater.
- "Attendez",
répond le contrôleur.
Après un bref silence, il ajoute :
- "Le DC-3 est
en train de virer par la gauche."
Sournac le constate visuellement mais n'obtient toujours
pas de signe de vie de l'équipage. Le DC-3
amorce sa descente. Le Flamant
ne le lâche pas,
au cas où il tenterait de remettre les gaz au moment de
l'atterrissage. Pour pallier cette éventualité, deux autres
B-26
sont mis en alerte renforcée sur le terrain d'Oran, et
un Météor décolle
de Blida à 21 h 15. Le DC-3
touche le sol à 21 h 20. Il est escorté jusqu'au parking
militaire vers lequel convergent les responsables de l'interception
ainsi que les photographes chargés de mémoriser l'événement.
Dès l'arrêt des moteurs, l'hôtesse de l'air annonce la
phrase rituelle "Bienvenue à Tunis" avant de
s'éclipser aussitôt vers le poste de pilotage. Un à un,
les chefs de la rébellion se présentent à la coupée, aveuglés
par les flashes des photographes, puis interpellés par
les policiers qui leur passent les menottes. Ben Bella
est stupéfait : "Je
n'aurais jamais cru les Français capables de cela !"
Si l'opération de
capture des délégués du F.L.N. est un succès, elle aura
des résultats inverses de ce qu'en attendaient les partisans
de l'Algérie française. Désormais, le Maroc et la Tunisie
ne vont pas se gêner pour soutenir ouvertement la rébellion
algérienne. Mais pour l'Histoire, le sergent-chef Sournac
demeurera le pilote qui a contribué à l'arrestation des
chefs rebelles en interceptant le Dakota qui les transportait,
comme en témoigne la citation qui lui sera accordée ultérieurement.
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