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Si les
T-6
jaunes de l'Armée de l'Air et les Piper
kaki de l'Armée de Terre ont laissé un souvenir dans la
mémoire des combattants de la Guerre d'Algérie, un autre appareil
légendaire de couleur bleue, qui a surtout opéré dans l'Est Algérien,
s'est taillé une fameuse réputation auprès des troupes d'élite
comme la Légion Étrangère et les parachutistes. Ses appuis très
rapprochés, au point que les douilles d'obus de 20 mm pouvaient
tomber sur les voltigeurs de pointe, étaient spectaculaires et
très appréciés pour leur précision. Même s'ils étaient peu nombreux,
les Corsair de
l'Aéronavale ont été engagés sur la plupart des points chauds.
Le 9 mai 1956, en début de soirée, quatre Corsair
de la 14° Flottille, se posent sur la Base Aérienne Opérationnelle
211 de Télergma, dans le Constantinois. Ils arrivent de Tunisie,
de la base d'Aéronautique Navale de Bizerte-Karouba, où ils sont
stationnés. Avec leurs ailes repliées comme sur les porte-avions
et leur hélice quadripale de quatre mètres de diamètre, les Corsair
bleus attirent tout de suite les curieux qui envahissent le parking.
Cet appareil, qui s'est couvert de gloire durant la Seconde Guerre
mondiale dans le Pacifique contre les Japonais, est un nouveau
venu dans le ciel algérien où le commandement a décidé de l'engager
dans les opérations de maintien de l'ordre qui s'intensifient.
Le Chance Vought F4U-7 Corsair
est une version spéciale destinée à la marine française. C'est
un compromis choisi par la France entre le F4U-4B,
dont il a emprunté le moteur, et le AU-1
dont il a repris la cellule, ce qui en fait un avion polyvalent
pour l'attaque au sol et la chasse en altitude. Équipé de blindage
pour l'assaut et d'un compresseur assez lourd pour la chasse,
il est pénalisé par du poids inutile, quelque que soit l'option.
Néanmoins, tel quel, avec ses qualités et ses défauts, il est
bien adapté aux missions de maintien de l'ordre où il excellera
dans l'assaut à très basse altitude.
Au sol, son attitude assez cabrée et les 4,50 m qui séparent le
pilote du capot moteur, font que la visibilité vers l'avant est
nulle. Pour rouler, il faut faire des zigzags. Une des grandes
qualités du Corsair
est son autonomie. En réglant bien son régime moteur, il est possible
d'assurer une permanence feu au-dessus d'un objectif pendant des
heures. Sa plate-forme de tir est exceptionnelle, très stable.
En tir air-sol, ses quatre canons de 20 mm convergent à 600 mètres.
Un pilote moyen est capable de mettre un fort pourcentage dans
une cible de trois mètres sur trois, permettant ainsi un appui
au plus près. En bombardement, il peut emmener jusqu'à treize
projectiles de 260 livres, six de 500 livres ou dix roquettes
HVAR de
5 pouces. Quant à l'appontage, il se pratique selon la méthode
en vigueur dans la marine américaine. Le Corsair
pardonne beaucoup, sauf les vitesses trop lentes. Quant aux moyens
de navigation, il n'y en a aucun, même pas de radiocompas. Tout
doit se faire à l'estime.
Engagés en Indochine à partir de la deuxième quinzaine d'avril
1954, les pilotes de Corsair
de la 14 F ont notamment accompli quelques missions au-dessus
du camp retranché de Dien Bien Phû avec des AU-1
prêtés par les Américains. Dès leur arrivée en Algérie en mai
1956, ils sont sollicités pour diverses missions d'appui feu ou
de bombardement. Les flottilles de Corsair
(12 F, 14 F,
15 F puis plus tard 17 F), se relayeront à Télergma jusqu'en 1962
pour des séjours d'une durée moyenne de un à deux mois.
__________
30
août 1957: Hermine mord la poussière
Maître
Kerhoas et second-maître Perraudin
Le 30 août 1957, une patrouille de deux Corsair
de la 12 F (maître
Kerhoas, chef de patrouille, et le second-maître Perraudin,
équipier) décolle vers 7 H 30 de Télergma pour intervenir
sur une opération qui se déroule au sud-ouest d'El-Kantara,
aux portes du désert. Kerhoas est un pilote expérimenté,
moniteur de son état, qui a déjà baroudé en Indochine sur
Hellcat.
Quant à Perraudin, c'est un équipier confirmé pratiquement
au terme de son engagement. Il a connu un accident d'appontage
le 6 décembre 1956 duquel il est sorti indemne alors que
son Corsair
a sombré dans les eaux de la Méditerranée. Il est remonté
à la surface de six mètres de profondeur avant d'être récupéré
rapidement par un hélicoptère.
A l'approche des lieux, les pilotes repèrent sans mal leur
objectif, le djebel Mekrisane, isolé au milieu
d'une plaine aride. Des tirailleurs du 7° R.T.A. sont aux
prises avec une forte bande rebelle installée sur la crête,
dans une cascade de blocs de gros cailloux. Kerhoas entre
en contact radio avec un T-6
qui tournoie au-dessus du djebel :
- "Attendez, je pique sur votre objectif. Vous allez
pouvoir repérer les départs des coups de feu ennemis",
propose le pilote du T-6 .
Les Corsair
décrivent un large virage, plongent et mitraillent la crête
dans le sens sud-nord, perpendiculairement à la progression
des tirailleurs. L'extrémité des ailes secrète un filet
de fumée blanche qui sont des traînées de condensation de
vapeur d'eau dans l'air. Facile en terrain plat, le straffing
au canon de 20 mm est plus ardu dans les djebels où il faut
assurer la ressource avec le sommet qui arrive rapidement.
Bouton armement sur on,
collimateur allumé, les pilotes basculent rapidement leur
appareil sur l'axe de tir en semi-piqué (de l'ordre de trente
degrés), et amènent le point central sur l'objectif qui
grossit vite. A une distance variant de 300 à 600 mètres,
ils lâchent d'abord des rafales courtes de une à deux secondes
pour essayer de débusquer les rebelles, puis de plus longues,
de trois à quatre secondes. La ressource est assez brutale
pour pouvoir se replacer le plus vite possible. Quelquefois,
pris par le feu de l'action, les pilotes peuvent se laisser
aller à tirer trop bas, ce qui se solde par quelques trous
dans la tôle.
Les obus de 20 mm rebondissent sur les rochers brûlants.
Les assauts de la patrouille égratignent à peine les rebelles
qui répliquent à l'arme automatique.
- "Attention, prévient le T-6, on vous tire dessus !"
Au troisième passage, le Corsair
piloté par le maître Kerhoas, dit l'Hermine,
est touché.
- "J'ai pris une rafale", signale t-il à Perraudin.
"Je monte pour sauter en parachute."
De l'huile gicle abondamment du moteur qui perd de sa puissance,
contraignant le pilote à se poser sur le ventre, dans la
plaine aride et poussiéreuse. Le second-maître Perraudin
survole le Corsair
en rase-mottes et aperçoit un petit homme en train de courir
sur l'aile. Il s'agit de son chef de patrouille qui s'est
extrait du cockpit en emmenant le pistolet-mitrailleur coincé
derrière le siège. Il s'abrite derrière un rocher. En voulant
se servir de l'arme, une rafale part entre ses jambes. Prudent,
Hermine
pose délicatement le P.M. à côté de lui et attend les secours
qui ne tardent pas.
L'affaire est sérieuse. Le général commandant la 21° Division
d'Infanterie, accompagné de son colonel-adjoint, se pose
en hélicoptère au P.C. de l'opération. Des renforts sont
demandés, notamment des parachutistes, des hélicoptères
et d'autres patrouilles de chasse. L'action de l'aviation
ne s'interrompt pas. Des Mistral
interviennent également.
Quatre autres Corsair
de la 12 F lâchent des bidons de napalm dans les anfractuosités,
en vol rasant, parallèlement aux troupes amies. La précision
en direction est très bonne, mais aléatoire en portée. A
l'impact, les éboulis de rochers noircissent et les buissons
secs roussissent. En fin d'après-midi, un hélicoptère
Bell
du Groupement d'Hélicoptères N° 2 venu de Biskra pour procéder
à des évacuations sanitaires, est abattu d'une rafale d'arme
automatique au moment où il se posait. Son pilote, le maréchal
des logis Lefèvre, est tué aux commandes. Deux Bananes
de l'Aéronavale (31 F) prennent alors le relais dans des
conditions difficiles, un orage ayant éclaté sur la zone.
L'enlèvement du Corsair
du maître Kerhoas étant impossible, les armes de bord et
la radio sont récupérées avant qu'il ne soit détruit par
l'aviation. Il s'agit du troisième appareil perdu par la
12 F depuis qu'elle participe aux opérations de maintien
de l'ordre en Algérie. Le 19 juin, le second-maître Cousin
s'est écrasé au sol au cours d'une mission de bombardement.
Cinq jours plus tard, le 25 juin, l'enseigne de vaisseau
Parent a trouvé la mort dans des conditions presque
analogues. Mais le Corsair
du maître Kerhoas sera le seul abattu du fait de l'ennemi
durant toute la guerre d'Algérie.
Cinq mois plus tard, le 8 février 1958, les Corsair
de la 12 F participeront au bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef,
en Tunisie, qui aura un retentissement international. Les
autres flottilles s'illustreront en d'autres occasions,
notamment la 14 F du lieutenant de vaisseau Richebé au cours
de la bataille de Souk-Ahras en avril 1958, l'une des plus
importantes de la guerre d'Algérie. On relèvera 11 impacts
émanant de tirs d'armes automatiques sur l'un des Corsair
de la flottille ! Quelques rares missions seront également
effectuées à partir du porte-avions Bois-Belleau
en février 1958 dans l'Algérois, puis en février 1959
à partir de l'Arromanches.
La 15 F du lieutenant de vaisseau Belin sera durement éprouvée
le 28 novembre 1958 avec la perte de deux pilotes, l'enseigne
de vaisseau Patris et le second-maître Saint-Vanne, tués
accidentellement au retour d'une mission alors que les sommets
entourant la base de Télergma était accrochés par de nombreux
nuages.
En juillet 1961, la 17 F du lieutenant de vaisseau Campredon
sera engagée dans la bataille de Bizerte pour dégager la
base attaquée par l'armée tunisienne. Un détachement de
la 12 F (lieutenant de vaisseau Jacobi) rappliquera de Télergma
pour prêter main-forte.
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