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Algérie  1954-1962.

Corsair aux portes du désert

Si les T-6 jaunes de l'Armée de l'Air et les Piper kaki de l'Armée de Terre  ont laissé un souvenir dans la mémoire des combattants de la Guerre d'Algérie, un autre appareil légendaire de couleur bleue, qui a surtout opéré dans l'Est Algérien, s'est taillé une fameuse réputation auprès des troupes d'élite comme la Légion Étrangère et les parachutistes. Ses appuis très rapprochés, au point que les douilles d'obus de 20 mm pouvaient tomber sur les voltigeurs de pointe, étaient spectaculaires et très appréciés pour leur précision. Même s'ils étaient peu nombreux, les Corsair de l'Aéronavale ont été engagés sur la plupart des points chauds.

Le 9 mai 1956, en début de soirée, quatre
Corsair de la 14° Flottille, se posent sur la Base Aérienne Opérationnelle 211 de Télergma, dans le Constantinois. Ils arrivent de Tunisie, de la base d'Aéronautique Navale de Bizerte-Karouba, où ils sont stationnés. Avec leurs ailes repliées comme sur les porte-avions et leur hélice quadripale de quatre mètres de diamètre, les Corsair bleus attirent tout de suite les curieux qui envahissent le parking. Cet appareil, qui s'est couvert de gloire durant la Seconde Guerre mondiale dans le Pacifique contre les Japonais, est un nouveau venu dans le ciel algérien où le commandement a décidé de l'engager dans les opérations de maintien de l'ordre qui s'intensifient.

Le
Chance Vought F4U-7 Corsair est une version spéciale destinée à la marine française. C'est un compromis choisi par la France entre le F4U-4B, dont il a emprunté le moteur, et le AU-1 dont il a repris la cellule, ce qui en fait un avion polyvalent pour l'attaque au sol et la chasse en altitude. Équipé de blindage pour l'assaut et d'un compresseur assez lourd pour la chasse, il est pénalisé par du poids inutile, quelque que soit l'option. Néanmoins, tel quel, avec ses qualités et ses défauts, il est bien adapté aux missions de maintien de l'ordre où il excellera dans l'assaut à très basse altitude.

Au sol, son attitude assez cabrée et les 4,50 m qui séparent le pilote du capot moteur, font que la visibilité vers l'avant est nulle. Pour rouler, il faut faire des zigzags. Une des grandes qualités du
Corsair est son autonomie. En réglant bien son régime moteur, il est possible d'assurer une permanence feu au-dessus d'un objectif pendant des heures. Sa plate-forme de tir est exceptionnelle, très stable. En tir air-sol, ses quatre canons de 20 mm convergent à 600 mètres. Un pilote moyen est capable de mettre un fort pourcentage dans une cible de trois mètres sur trois, permettant ainsi un appui au plus près. En bombardement, il peut emmener jusqu'à treize projectiles de 260 livres, six de 500 livres ou dix roquettes HVAR de 5 pouces. Quant à l'appontage, il se pratique selon la méthode en vigueur dans la marine américaine. Le Corsair pardonne beaucoup, sauf les vitesses trop lentes. Quant aux moyens de navigation, il n'y en a aucun, même pas de radiocompas. Tout doit se faire à l'estime.

Engagés en Indochine à partir de la deuxième quinzaine d'avril 1954, les pilotes de
Corsair de la 14 F ont notamment accompli quelques missions au-dessus du camp retranché de Dien Bien Phû avec des AU-1 prêtés par les Américains. Dès leur arrivée en Algérie en mai 1956, ils sont sollicités pour diverses missions d'appui feu ou de bombardement. Les flottilles de Corsair (12 F,  14 F,  15 F puis plus tard 17 F), se relayeront à Télergma jusqu'en 1962 pour des séjours d'une durée moyenne de un à deux mois.

__________

30 août 1957: Hermine mord la poussière
Maître Kerhoas et second-maître Perraudin


Le 30 août 1957, une patrouille de deux
Corsair de la 12 F (maître Kerhoas, chef de patrouille, et le second-maître Perraudin, équipier) décolle vers 7 H 30 de Télergma  pour intervenir sur une opération qui se déroule au sud-ouest d'El-Kantara, aux portes du désert. Kerhoas est un pilote expérimenté, moniteur de son état, qui a déjà baroudé en Indochine sur Hellcat. Quant à Perraudin, c'est un équipier confirmé pratiquement au terme de son engagement. Il a connu un accident d'appontage le 6 décembre 1956 duquel il est sorti indemne alors que son Corsair a sombré dans les eaux de la Méditerranée. Il est remonté à la surface de six mètres de profondeur avant d'être récupéré rapidement par un hélicoptère.

A l'approche des lieux, les pilotes repèrent sans mal leur objectif,  le djebel Mekrisane,  isolé au milieu d'une plaine aride. Des tirailleurs du 7° R.T.A. sont aux prises avec une forte bande rebelle installée sur la crête, dans une cascade de blocs de gros cailloux. Kerhoas entre en contact radio avec un
T-6 qui tournoie au-dessus du djebel :
- "Attendez, je pique sur votre objectif. Vous allez pouvoir repérer les départs des coups de feu ennemis", propose le pilote du
T-6 .

Les
Corsair décrivent un large virage, plongent et mitraillent la crête dans le sens sud-nord, perpendiculairement à la progression des tirailleurs. L'extrémité des ailes secrète un filet de fumée blanche qui sont des traînées de condensation de vapeur d'eau dans l'air. Facile en terrain plat, le straffing au canon de 20 mm est plus ardu dans les djebels où il faut assurer la ressource avec le sommet qui arrive rapidement. Bouton armement sur on, collimateur allumé, les pilotes basculent rapidement leur appareil sur l'axe de tir en semi-piqué (de l'ordre de trente degrés), et amènent le point central sur l'objectif qui grossit vite. A une distance variant de 300 à 600 mètres, ils lâchent d'abord des rafales courtes de une à deux secondes pour essayer de débusquer les rebelles, puis de plus longues, de trois à quatre secondes. La ressource est assez brutale pour pouvoir se replacer le plus vite possible. Quelquefois, pris par le feu de l'action, les pilotes peuvent se laisser aller à tirer trop bas, ce qui se solde par quelques trous dans la tôle.

Les obus de 20 mm rebondissent sur les rochers brûlants. Les assauts de la patrouille égratignent à peine les rebelles qui répliquent à l'arme automatique.
- "Attention, prévient le T-6, on vous tire dessus !"
Au troisième passage, le
Corsair piloté par le maître Kerhoas, dit l'Hermine, est touché.
- "J'ai pris une rafale", signale t-il à Perraudin. "Je monte pour sauter en parachute."

De l'huile gicle abondamment du moteur qui perd de sa puissance, contraignant le pilote à se poser sur le ventre, dans la plaine aride et poussiéreuse. Le second-maître Perraudin survole le
Corsair en rase-mottes et aperçoit un petit homme en train de courir sur l'aile. Il s'agit de son chef de patrouille qui s'est extrait du cockpit en emmenant le pistolet-mitrailleur coincé derrière le siège. Il s'abrite derrière un rocher. En voulant se servir de l'arme, une rafale part entre ses jambes. Prudent, Hermine pose délicatement le P.M. à côté de lui et attend les secours qui ne tardent pas.

L'affaire est sérieuse. Le général commandant la 21° Division d'Infanterie, accompagné de son colonel-adjoint, se pose en hélicoptère au P.C. de l'opération. Des renforts sont demandés, notamment des parachutistes, des hélicoptères et d'autres patrouilles de chasse. L'action de l'aviation ne s'interrompt pas. Des
Mistral interviennent également. Quatre autres Corsair de la 12 F lâchent des bidons de napalm dans les anfractuosités, en vol rasant, parallèlement aux troupes amies. La précision en direction est très bonne, mais aléatoire en portée. A l'impact, les éboulis de rochers noircissent et les buissons secs roussissent.  En fin d'après-midi, un hélicoptère Bell du Groupement d'Hélicoptères N° 2 venu de Biskra pour procéder à des évacuations sanitaires, est abattu d'une rafale d'arme automatique au moment où il se posait. Son pilote, le maréchal des logis Lefèvre, est tué aux commandes. Deux Bananes de l'Aéronavale (31 F) prennent alors le relais dans des conditions difficiles, un orage ayant éclaté sur la zone.

L'enlèvement du
Corsair du maître Kerhoas étant impossible, les armes de bord et la radio sont récupérées avant qu'il ne soit détruit par l'aviation. Il s'agit du troisième appareil perdu par la 12 F depuis qu'elle participe aux opérations de maintien de l'ordre en Algérie. Le 19 juin, le second-maître Cousin s'est écrasé au sol au cours d'une mission de bombardement. Cinq jours plus tard, le 25 juin, l'enseigne de vaisseau Parent  a trouvé la mort dans des conditions presque analogues. Mais le Corsair du maître Kerhoas sera le seul abattu du fait de l'ennemi durant toute la guerre d'Algérie.

Cinq mois plus tard, le 8 février 1958, les
Corsair de la 12 F participeront au bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef, en Tunisie, qui aura un retentissement international. Les autres flottilles s'illustreront en d'autres occasions, notamment la 14 F du lieutenant de vaisseau Richebé au cours de la bataille de Souk-Ahras en avril 1958, l'une des plus importantes de la guerre d'Algérie. On relèvera 11 impacts émanant de tirs d'armes automatiques sur l'un des Corsair de la flottille ! Quelques rares missions seront également effectuées à partir du porte-avions Bois-Belleau en février 1958  dans l'Algérois, puis en février 1959 à partir de l'Arromanches. La 15 F du lieutenant de vaisseau Belin sera durement éprouvée le 28 novembre 1958 avec la perte de deux pilotes, l'enseigne de vaisseau Patris et le second-maître Saint-Vanne, tués accidentellement au retour d'une mission alors que les sommets entourant la base de Télergma était accrochés par de nombreux nuages.

En juillet 1961, la 17 F du lieutenant de vaisseau Campredon sera engagée dans la bataille de Bizerte pour dégager la base attaquée par l'armée tunisienne. Un détachement de la 12 F (lieutenant de vaisseau Jacobi) rappliquera de Télergma pour prêter main-forte.


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Aérostories, 2001. Tous droits réservés.


[forums]

par Patrick-Charles Renaud

Corsair de la 12 F s'apprêtant à quitter le pont d'envol d'un porte-avions pour une mission de bombardement. Une fois la pleine puissance moteur obtenue, le pilote fait signe à l'officier de catapulte. Le Corsair bondit alors d'une cinquantaine de mètres avant de se retrouver en vol lent. Il vire pour dégager le pont du souffle, rentre le train et les volets, réduit les gaz et met le cap sur le circuit de rassemblement.

©Collection F. Jacobi, via P-Ch. Renaud
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Insigne de la 12 F
Collection P-Ch. Renaud
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Corsair de la 15 F de passage sur le terrain d'aviation de Batna en 1958. Les pilotes de l'aéronautique navale sont souvent intervenus dans le massif des Aurès où de violents combats se sont déroulés durant toute la guerre d'Algérie.

©Collection A. Schlauder, via P-Ch. Renaud
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Insigne de la 15 F
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Corsair de la 14 F partant en mission depuis la base de Telergma dans le Constantinois. Cet avion de chasse embarquée, monomoteur d'assaut et chasseur bombardier d'appui, était doté d'un moteur Pratt et Whitney de 2.300 CV. Vitesse maximum : 720 km/h - Vitesse ascensionnelle : 5.500 m en 41,5 secondes.

©Collection P. Bachelot, via P-Ch. Renaud
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Insigne de la 14 F
Collection P-Ch. Renaud
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Corsair de la 17 F survolant la Grande Kabylie en 1960 au cours des grandes opérations du "Plan Challe". La 17ème Flottille a été créée en avril 1958. Elle avait alors pour vocation d'être une flottille d'entraînement pré-opérationnel. En novembre 1959, elle est devenue une flottille opérationnelle affectée sur la Base d'aéronautique Navale de Bizerte-Karouba.

©Collection Boinot, via P-Ch. Renaud
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Insigne de la 17 F
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Vought AU-1 "Corsair" de la 17F.
Illustration : B. Pautigny © Wing Masters, 2001  Clic

Corsair de la 15 F sur la base de l'Aéronautique Navale des Mureaux en août 1956. La version F4U-7 conçue pour la Marine française a été produite à 94 exemplaires livrés à partir de 1952. En 1957, un complément de 78 Corsair AU-1, version "assaut" construits en 1952, a été livrée à la France par l'U.S. Navy, après révision. Les flottilles étaient donc armées des deux versions.

©Collection J. Ilias, via P-Ch. Renaud
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Patrouille de Corsair de la 14 F dans le ciel d'Algérie.

©Collection P. Bachelot, via P-Ch. Renaud
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Corsair de la 12 F armé de missiles filoguidés SS 11. Au début de l'année 1959, quelques Corsair ont été armés de SS 11. Le missile était guidé depuis l'avion. Le pilote tirait alors à deux kilomètres environ de la cible, à basse altitude. Il lui fallait diriger l'engin à l'aide d'un petit manche, de la main droite, et continuer à piloter l'avion de la main gauche. Des pilotes avaient été désignés pour être formés à titre expérimental. Malgré de très bons résultats, cet armement ne fut jamais utilisé sur Corsair en Algérie.

©Collection F. Jacobi, via P-Ch. Renaud
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Pilotes de la 12 F (douzeff) posant pour la postérité devant un Corsair.

©Collection F. Jacobi, via P-Ch. Renaud
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