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L'aviation de l'Armée
de Terre
Durant la Seconde Guerre Mondiale et en Indochine, les artilleurs
faisaient parfois régler leurs tirs par des observateurs transportés
à bord d'avions légers, pilotés par des personnels de l'Armée
de l'Air. Petit à petit, la nécessité de disposer d'avions sans
avoir à faire des demandes par la voie interarmées a conduit le
commandement de l'Armée de Terre à former ses propres pilotes,
puis à étendre le recrutement des observateurs à toutes les armes,
de l'infanterie à la cavalerie.
A sa création le 24 novembre 1954 à partir de l'Aviation Légère
d'Observation d'Artillerie (ALOA), l'Aviation Légère de l'Armée
de Terre (ALAT) ne disposait en Algérie que du Groupement d'Aviation
d'Observation d'Artillerie N° 3 (GAOA N° 3) basé à Sétif. Cette
unité, créée fin 1947, était équipée de petits avions biplaces
de fabrication américaine baptisés Piper
L-18C dotés d'un moteur peu
puissant de 90 ch.
Avec la Guerre d'Algérie, l'observation aérienne s'est vite révélée
comme indispensable pour renseigner les troupes au sol sur la
position de l'ennemi, sa force et ses intentions. Face au développement
de l'insurrection et compte tenu de l'immensité du territoire
à couvrir, des pelotons d'avions ont été créés et implantés dans
tous les secteurs. Des avions d'une puissance supérieure ont équipé
les pelotons : le Piper
L-21
(150 ch) et le Cessna
L-19
(213 ch).
Petit à petit, les Piper
et Cessna
sont devenus des composantes indispensables de la contre-guérilla.
Tels de véritables voltigeurs de pointe, les pilotes de l'Armée
de Terre ont emmené leurs observateurs au-dessus de tous les djebels,
partout ou le combat s'engageait. Évoluant souvent à faible altitude
à la recherche du moindre indice, ils étaient à la merci des mitrailleuses
ou fusils ennemis aux aguets. Pour marquer les objectifs à traiter
par l'aviation d'assaut, les Piper
n'hésitaient à piquer, larguant leur fumigène au plus près des
positions de l'adversaire. Leur courage et leur audace ont parfois
forcé l'admiration des pilotes de chasse que certains ont surnommé
la petite chasse.
Mais plusieurs équipages ont été blessés ou ont payé de leur vie
leur engagement dans cette guerre où l'ALAT a définitivement conquis
ses lettres de noblesse.
__________
11
juillet 1957 : lieutenant Jamotte
Il fait beau et le soleil
décline lentement vers l'horizon. Un Piper
L-21 du Peloton Avions de
la 13° Division d'Infanterie basé sur le petit aéro-club de Sidi-Bel-Abbès
(au Nord-Ouest de l'Algérie), glisse dans le ciel comme dans l'huile.
Ancien parachutiste ayant combattu en Indochine et en Corée, le
lieutenant Jamotte savoure ce vol au-dessus d'un paysage de verdure
et de collines. Nanti du brevet mixte observateur-pilote,
il appartient à la classe montante des jeunes officiers nouvellement
formés aux exigences et polyvalences de l'ALAT.
Malgré l'heure tardive pour monter une opération, il vient de
décoller avec un officier de l'état-major de la 13° DI, le commandant
Pessey, qui s'est installé en place arrière en tant qu'observateur.
Deux Piper
ont pris l'air pour assister des légionnaires du 1° REI et des
fantassins du 129° RI à la recherche d'une bande rebelle repérée
dans un massif très vallonné et boisé vers la localité de Boutin,
à 25 kilomètres au sud de Sidi-Bel-Abbès. A 600 mètres d'altitude,
il est difficile de distinguer les voltigeurs évoluant au sol.
L'opération ne semble donner aucun résultat lorsque, à 19 h 30,
un élément avancé de la Légion Etrangère est pris à partie par
un fusil-mitrailleur. Un légionnaire est tué, sept autres sont
blessés. Simultanément, les rebelles ouvrent le feu en direction
des deux Piper
dépêchés sur les lieux. Une détonation retentit alors dans l'appareil
du commandant Pessey, sous les pieds. Le lieutenant Jamotte abandonne
un instant le manche, passe la main sur le haut de sa cuisse et
la retire tâchée de sang. Pessey comprend aussitôt que son pilote
a été touché par un projectile. Etant donné qu'il n'est pas possible
de se poser dans le terrain accidenté qui défile sous les ailes,
il décide de rentrer à Sidi-Bel-Abbès, à 25 minutes de vol environ,
en ignorant totalement qu'un manche de secours se trouve dans
un compartiment, derrière lui. Il lui suffirait de le planter
sur la tige de commande des gouvernes de profondeur.
Sans rien dire, Jamotte reprend les rênes et met le cap sur la
base. De sa place, le commandant voit le sang couler des oreilles
du lieutenant qui pilote environ cinq minutes. Puis, sans un mot,
ses bras tombent. Il reste inerte, retenu par ses bretelles.
Livré à lui-même, l'appareil pique du nez. Comme il est très grand,
Pessey saisit le manche par-dessus l'épaule de Jamotte et redresse.
Il avise son micro au bout de son fil et passe sur le canal
16 un appel en l'air assez
bref :
- Ici Boléro 30, mon
pilote est grièvement blessé et je suis aux commandes de l'appareil.
Pessey n'a jamais piloté
auparavant, sauf cinq minutes en Indochine, lors d'une liaison
entre Saïgon et Pnom-Penh. Le pilote de l'Armée de l'Air avait
alors voulu l'intéresser au pilotage.
- Bien compris Boléro, nous
sommes à cinq minutes, nous arrivons et nous allons vous
aider. Vous verrez, c'est facile.
Le message rassurant provient
de l'équipage de l'autre Piper
qui assure l'observation à l'altitude de 400 mètres. L'avion,
piloté par le maréchal des logis Bonnissent avec le lieutenant
Segond pour observateur, a reçu quatre projectiles dans les ailes.
Bonnissent place son taxi un peu au-dessus et en arrière, avant
de faire un court briefing à Pessey :
- Où est votre manette des
gaz ? demande-t-il.
- Au milieu.
- C'est
bon. Voyez le cadran de gauche, c'est le badin. Veillez à rester
au-dessus de 70 miles. Au milieu, l'horizon artificiel, et à droite
l'indicateur de cap, mais vous n'en aurez pas besoin.
Le vol en duo se poursuit
sans incident. Au voisinage de la base, des ambulances et des
pompiers s'agitent au sol. Le capitaine Rinaldi, chef du P.A.
13° D.I., arrive à bord de son command-car. Dans les airs, Bonnisent
fait effectuer un demi-cercle à Pessey pour le positionner dans
l'axe de la piste, en lui demandant de réduire les gaz. Le commandant
s'aligne exactement en s'asseyant un court moment sur le bord
du siège, le manche au bout des doigts, de manière à pouvoir jouer
du palonnier de direction. Il réduit les gaz.
L'avion aborde la piste un peu vite. Il touche le sol, rebondit
à hauteur d'un troisième étage, redescend, et remonte une seconde
fois un peu plus bas. Pessey repousse le manche et l'abandonne
pour se cramponner au siège des deux mains, au cas où il se poserait
sur le dos. L'avion quitte la piste et retombe sur ses deux roues,
dont l'une s'affaisse. Il s'immobilise dans un champ voisin, dans
un magistral nuage de poussière. Un grand silence se fait avant
qu'un médecin n'ouvre la porte de l'appareil. Il soulève les paupières
du lieutenant Jamotte :
- C'est fini,
dit-il au commandant Pessey indemne. Il
est mort.
A l'examen de la carlingue,
il s'avère que le Piper a
été la cible d'une mitrailleuse dont l'un des projectiles a touché
l'appareil, déchirant l'artère fémorale du pilote après avoir
perforé son siège. Pessey, qui a prouvé un extraordinaire sang-froid
et une maîtrise absolue de ses nerfs, a eu beaucoup de chance
de s'en sortir. Il doit une infinie reconnaissance au lieutenant
Jamotte qui a piloté jusqu'à l'extrême limite de ses forces, ainsi
qu'à l'équipage Bonnisent-Segond sans l'aide duquel il se serait
crashé.
Par la suite, les observateurs de l'ALAT en Algérie recevront
une courte formation de pilote, pour donner une meilleure chance
aux équipages en cas de coup dur.
Quelques mois plus tard, Sidi-Bel-Abbès deviendra une base
importante de l'ALAT qui y installera son école d'application.
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