version pdf
4 pages A4
230 Ko

[accueil]  [sommaire général]  [sommaire précédent]  [forums]  [modelstories]  [livres & magazines]  [liens]

Algérie  1954-1962.

Piper en détresse.

L'aviation de l'Armée de Terre


Durant la Seconde Guerre Mondiale et en Indochine, les artilleurs faisaient parfois régler leurs tirs par des observateurs transportés à bord d'avions légers, pilotés par des personnels de l'Armée de l'Air. Petit à petit, la nécessité de disposer d'avions sans avoir à faire des demandes par la voie interarmées a conduit le commandement de l'Armée de Terre à former ses propres pilotes, puis à étendre le recrutement des observateurs à toutes les armes, de l'infanterie à la cavalerie.
A sa création le 24 novembre 1954 à partir de l'Aviation Légère d'Observation d'Artillerie (ALOA), l'Aviation Légère de l'Armée de Terre (ALAT) ne disposait en Algérie que du Groupement d'Aviation d'Observation d'Artillerie N° 3 (GAOA N° 3) basé à Sétif. Cette unité, créée fin 1947, était équipée de petits avions biplaces de fabrication américaine baptisés
Piper L-18C dotés d'un moteur peu puissant de 90 ch.
Avec la Guerre d'Algérie, l'observation aérienne s'est vite révélée comme indispensable pour renseigner les troupes au sol sur la position de l'ennemi, sa force et ses intentions. Face au développement de l'insurrection et compte tenu de l'immensité du territoire à couvrir, des pelotons d'avions ont été créés et implantés dans tous les secteurs. Des avions d'une puissance supérieure ont équipé les pelotons : le
Piper L-21 (150 ch) et le Cessna L-19 (213 ch).
Petit à petit, les
Piper et Cessna sont devenus des composantes indispensables de la contre-guérilla. Tels de véritables voltigeurs de pointe, les pilotes de l'Armée de Terre ont emmené leurs observateurs au-dessus de tous les djebels, partout ou le combat s'engageait. Évoluant souvent à faible altitude à la recherche du moindre indice, ils étaient à la merci des mitrailleuses ou fusils ennemis aux aguets. Pour marquer les objectifs à traiter par l'aviation d'assaut, les Piper n'hésitaient à piquer, larguant leur fumigène au plus près des positions de l'adversaire. Leur courage et leur audace ont parfois forcé l'admiration des pilotes de chasse que certains ont surnommé la petite chasse. Mais plusieurs équipages ont été blessés ou ont payé de leur vie leur engagement dans cette guerre où l'ALAT a définitivement conquis ses lettres de noblesse.

__________


11 juillet 1957 : lieutenant Jamotte


Il fait beau et le soleil décline lentement vers l'horizon. Un Piper L-21 du Peloton Avions de la 13° Division d'Infanterie basé sur le petit aéro-club de Sidi-Bel-Abbès (au Nord-Ouest de l'Algérie), glisse dans le ciel comme dans l'huile. Ancien parachutiste ayant combattu en Indochine et en Corée, le lieutenant Jamotte savoure ce vol au-dessus d'un paysage de verdure et de collines. Nanti du brevet mixte observateur-pilote, il appartient à la classe montante des jeunes officiers nouvellement formés aux exigences et polyvalences de l'ALAT.
Malgré l'heure tardive pour monter une opération, il vient de décoller avec un officier de l'état-major de la 13° DI, le commandant Pessey, qui s'est installé en place arrière en tant qu'observateur. Deux
Piper ont pris l'air pour assister des légionnaires du 1° REI et des fantassins du 129° RI à la recherche d'une bande rebelle repérée dans un massif très vallonné et boisé vers la localité de Boutin, à 25 kilomètres au sud de Sidi-Bel-Abbès. A 600 mètres d'altitude, il est difficile de distinguer les voltigeurs évoluant au sol. L'opération ne semble donner aucun résultat lorsque, à 19 h 30, un élément avancé de la Légion Etrangère est pris à partie par un fusil-mitrailleur. Un légionnaire est tué, sept autres sont blessés. Simultanément, les rebelles ouvrent le feu en direction des deux Piper dépêchés sur les lieux. Une détonation retentit alors dans l'appareil du commandant Pessey, sous les pieds. Le lieutenant Jamotte abandonne un instant le manche, passe la main sur le haut de sa cuisse et la retire tâchée de sang. Pessey comprend aussitôt que son pilote a été touché par un projectile. Etant donné qu'il n'est pas possible de se poser dans le terrain accidenté qui défile sous les ailes, il décide de rentrer à Sidi-Bel-Abbès, à 25 minutes de vol environ, en ignorant totalement qu'un manche de secours se trouve dans un compartiment, derrière lui.  Il lui suffirait de le planter sur la tige de commande des gouvernes de profondeur.
Sans rien dire, Jamotte reprend les rênes et met le cap sur la base. De sa place, le commandant voit le sang couler des oreilles du lieutenant qui pilote environ cinq minutes. Puis, sans un mot, ses bras tombent. Il reste inerte, retenu par ses bretelles.
Livré à lui-même, l'appareil pique du nez. Comme il est très grand, Pessey saisit le manche par-dessus l'épaule de Jamotte et redresse. Il avise son micro au bout de son fil et passe sur le
canal 16 un appel en l'air assez bref :
Ici Boléro 30, mon pilote est grièvement blessé et je suis aux commandes de l'appareil.
Pessey n'a jamais piloté auparavant, sauf cinq minutes en Indochine, lors d'une liaison entre Saïgon et Pnom-Penh. Le pilote de l'Armée de l'Air avait alors voulu l'intéresser au pilotage.
- Bien compris Boléro, nous sommes à cinq minutes, nous arrivons et nous allons vous aider. Vous verrez, c'est facile.
Le message rassurant provient de l'équipage de l'autre Piper qui assure l'observation à l'altitude de 400 mètres. L'avion, piloté par le maréchal des logis Bonnissent avec le lieutenant Segond pour observateur, a reçu quatre projectiles dans les ailes. Bonnissent place son taxi un peu au-dessus et en arrière, avant de faire un court briefing à Pessey :
- Où est votre manette des gaz ? demande-t-il.
- Au milieu.
- C'est bon. Voyez le cadran de gauche, c'est le badin. Veillez à rester au-dessus de 70 miles. Au milieu, l'horizon artificiel, et à droite l'indicateur de cap, mais vous n'en aurez pas besoin.
Le vol en duo se poursuit sans incident. Au voisinage de la base, des ambulances et des pompiers s'agitent au sol. Le capitaine Rinaldi, chef du P.A. 13° D.I., arrive à bord de son command-car. Dans les airs, Bonnisent fait effectuer un demi-cercle à Pessey pour le positionner dans l'axe de la piste, en lui demandant de réduire les gaz. Le commandant s'aligne exactement en s'asseyant un court moment sur le bord du siège, le manche au bout des doigts, de manière à pouvoir jouer du palonnier de direction. Il réduit les gaz.
L'avion aborde la piste un peu vite. Il touche le sol, rebondit à hauteur d'un troisième étage, redescend, et remonte une seconde fois un peu plus bas. Pessey repousse le manche et l'abandonne pour se cramponner au siège des deux mains, au cas où il se poserait sur le dos. L'avion quitte la piste et retombe sur ses deux roues, dont l'une s'affaisse. Il s'immobilise dans un champ voisin, dans un magistral nuage de poussière. Un grand silence se fait avant qu'un médecin n'ouvre la porte de l'appareil. Il soulève les paupières du lieutenant Jamotte :
- C'est fini, dit-il au commandant Pessey indemne. Il est mort.
A l'examen de la carlingue, il s'avère que le Piper a été la cible d'une mitrailleuse dont l'un des projectiles a touché l'appareil, déchirant l'artère fémorale du pilote après avoir perforé son siège. Pessey, qui a prouvé un extraordinaire sang-froid et une maîtrise absolue de ses nerfs, a eu beaucoup de chance de s'en sortir. Il doit une infinie reconnaissance au lieutenant Jamotte qui a piloté jusqu'à l'extrême limite de ses forces, ainsi qu'à l'équipage Bonnisent-Segond sans l'aide duquel il se serait crashé.
Par la suite, les observateurs de l'ALAT en Algérie recevront une courte formation de pilote, pour donner une meilleure chance aux équipages en cas de coup dur.
Quelques mois plus tard,  Sidi-Bel-Abbès deviendra une base importante de l'ALAT qui y installera son école d'application.

©
Aérostories, 2001. Tous droits réservés.


[forums]

par Patrick-Charles Renaud

Piper L 18 C du Peloton ALAT de la 5ème D.B. sur le terrain de base, à l'aéro-club de Sidi-Bel-Abbès. Cet avion léger d'observation, également appelé "Piper Cub", était doté d'un moteur Continental de 95 ch. D'une autonomie de trois heures, sa vitesse de croisière était d'environ 140 km/h et sa vitesse maximum de 175 km/h. Cet appareil peu puissant, qui équipa au début les pelotons de l'A.L.A.T., assura essentiellement des vols de liaison et d'entraînement.

©Collection A. Bagard via  P. Ch. Renaud   Clic

Cette image fait partie de notre
collection de fonds d'écran

Patrouille de Piper L 21 du Peloton Avions de la 13ème D.I. dans le ciel d'Algérie. Cet avion léger d'observation était doté d'un moteur Lycoming de 150 ch Avec une autonomie de 5 heures et 20 minutes, il avait un rayon d'action en croisière d'environ 1120 km. Vitesse de croisière: 168 km/h. Vitesse maximale: 192 km/h.

©Collection G. Rougeot via  P. Ch. Renaud   Clic

Lieutenant Louis Jamotte, pilote au Peloton Avions de la 13ème D.I., mortellement touché en plein ciel aux commandes du Piper "Delta India" le 11 juillet 1957 au cours d'une mission dans la région de Sidi-Bel-Abbès. Avant de rejoindre l'A.L.A.T. en 1956, il a combattu dans une unité parachutiste en Indochine puis en Corée où il s'est illustré au sein du Bataillon Français de l'O.N.U. Il sera promu au grade d'Officier dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur à titre posthume.

©Collection  P. Ch. Renaud   Clic

Cessna L-19 du G.A.L.A.T. 3 en mission au-dessus de la région d'Aumale. Doté d'un moteur Continental  de 230 ch, le L 19 était l'un des plus puissants avions d'observation de l'A.L.A.T. durant la guerre d'Algérie. Son autonomie était de 8 heures, sa vitesse de croisière de 170 km/h et sa vitesse maximum de 220 km/h. Le commandement, ayant prévu une guerre courte et dure en Algérie, avait acheté le maximum d'avions et le minimum de pièces détachées. Le potentiel de moteur du Cessna, tel qu'il était fixé par le constructeur, était de 500 heures, après quoi il était démonté, expédié en France pour une révision générale et remplacé. La guerre se révélant dure et longue et après moult réflexions et consultations, le potentiel a été porté à 600 heures (+20%), puis 900 heures (+80%), et enfin 1000 heures (+100%), sans problème particulier.

©Collection H. Monrocq via  P. Ch. Renaud   Clic

Le commandant Pessey, chef du 3ème Bureau de la 13ème D.I., devant un Piper du peloton. Observateur occasionnel pour la première fois le 11 juillet 1957, il réussit l'exploit, sans avoir jamais piloté, de poser sur le terrain de Sidi-Bel-Abbès le Piper "Delta-India" privé de son pilote tué en plein ciel. Quarante ans après, l'A.L.A.T. lui décernera un Brevet Honorifique de Pilote.

©Collection  P. Ch. Renaud   Clic

Cessna L-19 du 1er PMAH / 2ème DIM dans le Constantinois. Cet avion léger de l'armée américaine, dont un certain nombre a été prêté à l'armée française à la fin de la guerre d'Indochine, était très apprécié des pilotes. Cependant, sa structure ne comportait pas d'armature, les tôles de la cellule assurant la rigidité, ce qui le rendait parfois fragile sur les terrains de campagne en terre ravinée. Il pouvait arriver qu'au sol un L 19 se casse en deux au niveau de la cabine.

©Collection C. Sollogoub via  P. Ch. Renaud   Clic
Sur nos forums, demandez des compléments d'information à l'auteur...