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Lorsque
au début de la rébellion les maquisards algériens ont vu
apparaître les hélicoptères dans le ciel, ils les ont baptisés
l'avion à plumes
à cause de leur voilure tournante.
Utilisé essentiellement pour des évacuations sanitaires
à la fin de la Guerre d'Indochine, l'hélicoptère possédait les
qualités requises pour jouer un rôle de premier ordre dans la
contre-guérilla. Dans l'immensité du territoire algérien et la
diversité de son relief, il présentait l'avantage de pouvoir se
poser dans les endroits inaccessibles aux véhicules, d'épargner
aux troupes à pied de longues et épuisantes heures de marche et
d'escalade, mais aussi de sauver des vies en évacuant rapidement
les blessés. De plus, une utilisation tactique permettant d'amener
rapidement et par surprise des troupes au plus près de l'adversaire
et de la bataille, allait métamorphoser l'hélicoptère en
un véritable engin de combat. Pourtant, au milieu des années 50,
peu d'hommes croyaient en cette machine fragile, tributaire de
la météo et de l'altitude. Seuls quelques baroudeurs exceptionnels
allaient contribuer à son succès : le colonel Brunet pour l'Armée
de l'Air, le lieutenant-colonel Crespin pour l'Aviation Légère
de l'Armée de Terre et le capitaine de corvette Babot pour l'Aéronavale.
Tous trois n'auraient pas réussi sans la complicité de véritables
chefs de guerre tel que le colonel Bigeard qui avec ses parachutistes
fut l'un des premiers à expérimenter l'héliportage d'assaut.
Si au début de l'insurrection à peine quelques spécimens survolaient
les djebels, des formations regroupant des hélicoptères légers,
moyens et lourds ont fini par voir le jour dans des conditions
difficiles, souvent contre vents et marées. Grâce à l'audace et
à l'ingéniosité de leurs chefs et des équipages, des appareils
ont été armés, des doctrines d'emploi élaborées et affinées. Que
de chemin parcouru depuis la guerre d'Indochine où l'on
pensa interdire le port du macaron de pilote à des hommes que
l'on ne prenait pas au sérieux et pour lesquels on n'avait pas
prévu de relève !
__________
3
février 1960
Collision en plein vol
Le Pirate est
le surnom donné à un hélicoptère lourd de l'Armée de l'Air que
l'on a armé d'un canon de 20 mm sur affût à la porte du cargo,
et de deux mitrailleuses de sabord. Il s'agit du H
34 (ou Sikorsky S.58)
qui, ainsi équipé, peut tournoyer au-dessus d'un point à surveiller,
les armes toujours pointées vers la zone suspecte. Il peut intervenir
à tout instant, contrairement aux avions qui ne peuvent que
faire des passes intermittentes et dont l'axe de tir n'est pas
mobile. C'est un gage de sécurité extraordinaire pour les équipages
d'hélicoptères en phase finale d'approche sur des zones inhospitalières.
Le 3 février 1960, le lieutenant Miahle, leader Pirate
à l'Escadre d'Hélicoptères N° 3, arrive de Sidi-Aïch après 45
minutes de vol afin de participer à une opération en Petite
Kabylie. La veille, il a assisté à un grand briefing au cours
duquel les consignes ont été données pour une action d'envergure
dans le massif du Babor. C'est l'époque des grandes opérations
menées par le général Challe et dont le but et de balayer toute
l'Algérie d'ouest en est afin de débusquer les bandes rebelles
réfugiées dans les djebels. La surprise étant de mise, une coordination
très pointue des héliportages s'impose, avec un posé simultané
du maximum de commandos. Des Bananes
(hélicoptères surnommés ainsi en raison de leur forme) de l'aéronavale
participeront également à l'action. La D.Z. (zone de posé) la
plus à l'Est est octroyée aux marins, tandis que les deux autres
sont affectées aux deux D.I.H. (Détachement d'Intervention Héliporté)
de l'Armée de l'Air, le plus à l'ouest. Tout est parfaitement
minuté car beaucoup d'appareils seront concentrés dans un petit
volume, d'où une organisation parfaite de l'espace aérien en
deux parties. Une fréquence radio sera attribuée à chaque zone
afin d'éviter la cacophonie sur les ondes. La patrouille de
T-6
qui doit assurer la protection de la D.Z. Est
doit intervenir face au nord et donc dégager par la droite,
manœuvre qui n'est pas naturelle, un chasseur ayant le réflexe
de virer à gauche après un passage.
Il est huit heures et le soleil est encore bas sur l'horizon.
Pendant que les hélicos chargent les commandos, Miahle repère
la D.Z., une arête rocheuse nue, en contrebas du sommet du Babor,
à près de 2 000 mètres d'altitude. Ne décelant aucun danger,
le lieutenant décide de ne pas faire actionner les mitrailleuses
de son appareil. Il survole la D.Z. afin de larguer un fumigène.
Soudain, alors qu'il vient de remettre les gaz, un choc violent
secoue l'appareil qui embarque vers la droite. Le lieutenant
Miahle aperçoit alors un T-6
sur le dos qui explose au sol. Les deux tireurs du Pirate
annoncent dans l'interphone qu'ils voient un énorme trou dans
la queue. Miahle réalise alors la collision, sans en imaginer
l'extrême gravité.
- Pirate, je me crashe,
signale t-il par radio.
Tout se déroule très vite. Puisqu'il n'y a plus de fonction
anti-couple, il faut baisser le pas, c'est-à-dire supprimer
le moteur et descendre en auto-rotation pour annuler la rotation
de l'appareil. Miahle aurait pu décider de rallier la vallée
1 000 mètres plus bas pour trouver une zone plane. Heureusement,
la proximité de la montagne l'incite à rejoindre le sol immédiatement,
car il ignore que la queue du H
34 est coupée au niveau
de la cocarde. Elle pend, retenue seulement par les deux petits
câbles de commande du rotor arrière. Si elle venait à se détacher,
le centrage dépasserait les limites avant et l'appareil piquerait
comme un caillou.
La queue touche le sol en premier, faisant basculer le Pirate
vers l'avant. L'arête rocheuse est inclinée et le H
34 se couche sur le côté,
glisse puis stoppe une fraction de seconde. Miahle croit que
c'est gagné, mais la glissade reprend sur une pente plus forte.
- Cette fois-ci, c'est la
fin, grommelle t-il en
se remémorant l'à-pic.
Une seconde après, l'hélicoptère s'immobilise définitivement,
retenu par un arbuste. Le silence succède au vacarme de la glissade.
Coincé du côté du rocher, le copilote lâche :
- Après vous, mon lieutenant !
L'équipage est sain et
sauf, sans une égratignure. Le ventre et le flanc droit du Pirate
sont déchiquetés. Les réservoirs sont crevés et l'essence coule.
C'est un miracle si le cargo, pourtant chargé de munitions explosives,
ne s'embrase pas.
Les premiers commandos posés à terre reçoivent l'ordre de se
diriger rapidement vers le Pirate,
non sans être accrochés dans leur progression par des fellaghas.
L'équipage miraculé sera récupéré sain et sauf.
Pourquoi cette collision ? Le T-6
aurait dû dégager à droite, mais dès l'instant où il a viré
à gauche, il ne pouvait voir le Pirate
qui était dans le soleil.
De plus, Miahle ne l'a pas vu surgir car il était derrière.
L'aile droite du T-6
s'est détachée après avoir heurté la queue du H
34 au niveau de la cocarde.
Deux jours plus tard, aux obsèques du pilote de T-6,
le lieutenant Miahle aura l'explication. En fait, l'équipier
qui était en entraînement leader, avait assisté la veille au
briefing. Seulement, au cours du vol, sa radio est tombée en
panne. Après un battement d'aile, le lieutenant Latapie est
passé devant, en ignorant la consigne de séparation d'espace.
Comme il n'était pas sur la même fréquence que les hélicoptères,
il ne les a pas entendus : par réflexe, il a dégagé à gauche !
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