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Dans des
opérations de guérilla, la qualité première d'un avion de combat
ne doit pas forcément être sa vitesse qui, plus elle est importante,
interdit au pilote de bien observer ce qui se passe au sol. Pourtant,
lors de la guerre d'Algérie, un jet à réaction a pratiquement
été de tous les combats.
Dérivé du Vampire
britannique en substituant au réacteur
Goblin un réacteur Nene
plus puissant (le Nene
"soviétisé" a équipé les fameux Mig
15 et Mig
17), le Mistral
est le premier avion à réaction de l'Armée de l'Air Française
à avoir été engagé dans des actions de guerre. Pour l'époque,
c'était un remarquable intercepteur. Très léger grâce à sa structure
en bois entoilé, il grimpait à 40 000 pieds - son plafond théorique
- en dix minutes. Sa structure bipoutre le rendait difficilement
accrochable par les radars, ce qui en faisait un avion furtif
bien avant le concept. Outre sa vitesse qui lui permettait de
se rendre sur un objectif à la vitesse de quatorze kilomètres
à la minute dans un rayon de 1500 kilomètres, le Mistral
était doté d'une bonne puissance de feu avec quatre canons de
20 mm à percussion électrique de 150 obus chacun (soit 600 obus
en tout). Il pouvait larguer des bombes de 250 kg à 500 kg et
emporter quatre roquettes sous chaque aile.
Si le Mistral
était d'une manœuvrabilité exceptionnelle en combat tournoyant,
il se révélait moins performant lors de missions d'attaque au
sol. Sa plate-forme de tir naturellement instable voyait ses défauts
encore aggravés par sa grande sensibilité aux turbulences près
du sol. Son autonomie était très limitée, et l'adjonction de réservoirs
supplémentaires ou de charges extérieures, le métamorphosait en
un veau poussif, lourd à manier. De plus, il était impossible
de faire feu avec les quatre canons simultanément sans provoquer
des vibrations telles que la verrière se déverrouillait et s'envolait.
Il fallut installer d'urgence un sélecteur de tir pour n'utiliser
que deux canons à la fois, et bricoler un système de sécurité
verrière consistant à bloquer la poignée avec une ficelle ...
Néanmoins, avec ses qualités et ses défauts qui furent compensés
par la hardiesse des pilotes et le génie des mécaniciens, le Mistral
a rempli de multiples missions, de l'interception pour lequel
il avait été conçu, à l'appui-feu au sol et au bombardement
au profit des troupes au sol.
23
septembre 1960
Sous-lieutenant
Lesaux
Sergent Mélot
Stationnée sur la base aérienne 156 de Bizerte en Tunisie,
la 7° Escadre de Chasse est une unité de défense aérienne.
Elle comprend deux escadrons : le 1/7 Provence
et le 2/7 Nice.
Tout comme ses sœurs stationnées en Afrique du Nord (la 6°
et la 8° E.C.) également équipées de Mistral,
la 7° E.C. se rend régulièrement sur la Base Aérienne 211
de Télergma, près de Constantine, pour y effectuer un séjour
opérationnel. Sur cette véritable plaque tournante se tiennent
en alerte permanente les appareils les plus divers : Corsair
de l'Aéronavale, Mistral,
P-47 Thunderbolt,
hélicoptères, etc. Ils sont prêts à décoller à tout moment
afin d'appuyer, dans tout le Constantinois, les troupes au
sol aux prises avec les moudjahid algériens.
Le 23 septembre 1960, en début d'après-midi, deux pilotes
de l'E.C. 2/7 Nice
(escadrille des Panthères)
sont d'alerte dans la salle d'opérations de la base. Soudain,
l'ordre de départ est donné. En combinaison de vol, pistolet
Mac 50
dans le holster, le sergent Mélot et le sous-lieutenant Lesaux
saisissent leur sac de cartes au 1/100 000ème,
le casque de vol et le serre-tête avant de sauter dans la
jeep qui fonce rapidement vers le parking des Mistral.
Les mécaniciens enlèvent les sécurités de pitot, train, canons,
siège éjectable, bombes, pendant que les pilotes s'installent
dans leur avion et mettent en route. Ils attachent leur harnais
pendant le roulage, tout en faisant leurs actions vitales.
La patrouille décolle, non pas pour prêter main-forte à des
troupes au sol accrochées, mais pour intercepter, après détection
des radars, un avion inconnu survolant le territoire. Bien
qu'il ne soit que sous-officier, Mélot est l'un des rares
pilotes à avoir été nommé chef de patrouille alors qu'il n'était
encore que sergent. Il dirige donc la patrouille avec
le sous-lieutenant Lesaux pour équipier.
Depuis le début de la guerre d'Algérie, plusieurs missions
d'interception ont déjà été accomplies, essentiellement par
les Mistral.
L'espace aérien d'Afrique du Nord est l'objet d'une attention
toute particulière, surtout en raison du trafic d'armes qui
s'est développé au profit de la rébellion algérienne. Des
appareils étrangers ravitaillent les maquis, souvent par parachutage
de nuit, alors que d'autres s'éloignent de leur trajectoire,
sciemment ou non.
En vue de l'objectif, Mélot identifie un Illiouchine
bimoteur immatriculé en U.R.S.S.. Le haut de la dérive est
orné d'un drapeau rouge avec une faucille et un marteau qui
ne laissent planer aucun doute sur la nationalité de l'appareil.
Les chasseurs encadrent l'intrus en lui faisant signe de passer
sur la fréquence d'interception. Appliquant à la lettre la
procédure internationale, il lui est demandé de modifier sa
route et de naviguer vers le nord, afin de sortir du territoire.
Quelques prises de vues du dessus de l'appareil sont réalisées
avec la caméra collimateur pour vérifier s'il ne dispose pas
d'un équipement spécial destiné à filmer le théâtre des opérations.
Cependant et malgré tout se remue-ménage autour de lui et
sur les ondes, l'Illiouchine
fait la sourde oreille
et maintient son cap.
- Il ne veut rien savoir,
rend compte Mélot à la salle des opérations à Constantine.
Le général commandant le Centre de Contrôle à Constantine
vient en personne à la radio. L'instant est grave car après
les signaux internationaux, les Mistral
doivent procéder aux tirs d'intimidation.
La tension monte, d'autant plus qu'il s'agit d'un avion soviétique.
Il faut respecter les règles et chercher à comprendre. Mélot
sent bien que le général est inquiet. Avec son accord, il
propose que le sous-lieutenant Lesaux reste sur la perche
en position de tir (espacement nécessaire minimum en distance
et en altitude pour effectuer une passe de straffing), pendant
qu'il ralentit sa vitesse jusqu'à s'aligner sur celle de l'Illiouchine.
Il sort alors plein volets et le train d'atterrissage, puis
passe sous le transporteur, le double tout doucement à quelques
mètres. En remontant à son niveau, il met son réacteur pleine
charge. Le bimoteur soviétique est pris dans le souffle du
Mistral
et dégringole de plusieurs centaines de pieds en battant des
ailes. Il a compris. Le voilà d'accord pour suivre la patrouille.
Encadré par les deux chasseurs à réaction, l'Illiouchine
prend la direction de Boufarik, au sud-ouest d'Alger. A court
de pétrole, Mélot demande la relève. Une trentaine de minutes
après, deux autres avions prennent le relais, libérant les
Mistral
qui peuvent regagner Télergma.
L'Illiouchine
se posera sur la base de Boufarik où il sera cerné par des
militaires en armes, prêts à accueillir et à interpeller les
passagers en présence des autorités. En fait, le bimoteur
transportait Sékou Touré, président de la Guinée, qui exercera
un pouvoir dictatorial jusqu'à sa mort en 1984.
Quelques jours plus tard, le sergent Mélot recevra une lettre
du général commandant le centre d'interception du Constantinois,
qui le félicitera pour sa manœuvre. Il ne cachera pas son
soulagement de ne pas avoir eu à prendre la décision de tirer
sur Sékou Touré, passager d'un avion de la grande Union Soviétique
!
Le sous-lieutenant Lesaux, qui a participé à cette interception,
se tuera trois ans plus tard à Metz en sautant trop tard de
son avion en panne de réacteur. Son parachute s'ouvrira, mais
trop bas. Quant à Mélot, il s'est révélé tout au long de la
guerre d'Algérie comme un pilote exceptionnel, aux nombreuses
missions.
Cinq mois plus tard, une patrouille de Mistral
de l'E.C. 1/7 Provence
devra monter d'un cran en exécutant des tirs d'intimidation
à l'encontre d'un autre Illiouchine
soviétique, à bord duquel se trouvait Léonid Brejnev, président
du Praesidium du Soviet suprême, accompagné d'une importante
délégation de hauts fonctionnaires qui se rendaient en visite
officielle dans plusieurs Etats africains, dont le Maroc.
De 1955 à 1961, les Mistral
de l'Armée de l'Air ont accompli de nombreuses missions d'appui-feu
et de bombardement en Algérie, au cours desquelles plusieurs
pilotes ont été tués ou blessés en plein vol.. Certains de
ceux qui ont réussi à s'éjecter après avoir été touché par
des armes automatiques ont laissé comme dernière image celle
d'un parachute se fanant dans le maquis...
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