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Sa couleur
jaune n'est sans doute pas étrangère à la renommée que le North
American T-6 G s'est taillé
durant la guerre d'Algérie. En cinq années, cet appareil conçu
avant la Seconde Guerre Mondiale pour former les pilotes, est
devenu familier et rassurant pour les fantassins arpentant les
djebels. Il a survolé toutes les contrées, du Sahara aux rives
de la Méditerranée, de la Tunisie au Maroc.
Pour les missions d'appui-feu, le T-6
G a été équipé en conséquence
: plaques de blindage pour l'équipage et le moteur, collimateur,
poste radio SCR 300
pour communiquer avec les troupes au sol, gondoles avec mitrailleuses
jumelées sous les ailes, six rails pour les roquettes T
10 et deux points d'accrochage
pour des bombes légères sous voilure. En dehors du pilote, il
pouvait emporter, en place arrière, un observateur.
Ainsi équipé, le T-6 G
offrait le meilleur compromis dans la réalisation des missions
des Escadrilles d'Aviation Légères d'Appuis : reconnaissance à
vue, attaque au sol, observation, protection des troupes, surveillance
des secteurs suspects. La robustesse et la maintenance réduite
du T-6
ainsi que son autonomie (près de cinq heures), sa maniabilité
et sa capacité d'armement en ont fait un avion adapté au rôle
d'anti-guérilla. Néanmoins son poids, dangereusement augmenté
par tous ces équipements, ont rendu l'avion pointu à piloter et
assez chatouilleux, surtout dans les conditions de vol d'Afrique
du Nord où les ennemis étaient aussi la chaleur et la poussière.
Son pilotage s'en ressentait puisqu'il devenait délicat de lui
imposer certaines contraintes telles que ressources trop
brutales après les passes de tir, ou vols à basses vitesses. Sur
les lieux d'opération, il fallait solliciter anormalement le moteur.
Pour piloter et entretenir les nombreux T-6
de la vingtaine d'Escadrilles d'Aviation Légère d'Appui créées
à partir de 1956, l'Armée de l'Air avait adopté le principe du
parrainage : chaque escadre de chasse fournissait le personnel
pilotes, mécaniciens et service général. Des jeunes du contingent
furent même instruits comme pilotes et observateurs.
2
octobre 1957:
Capitaine Caroff
de Kervezec
Sergent Ribot
Depuis la fin du
mois d'avril 1957, le capitaine Caroff de Kervezec commande
l'E.AL.A. 18/72 stationnée à Oued Hamimim, dans l'Est Algérien,
près de Constantine. Cette escadrille, dont l'indicatif
radio est Mangouste,
est parrainée par la 4ème Escadre de Chasse où
Caroff commandait en second l'E.C. 2/4 Lafayette
avant d'être désigné pour l'Afrique du Nord
Le 2 octobre 1957, en début de matinée, il décolle pour
une mission de reconnaissance à vue, avec, en place arrière,
le sous-lieutenant Faraud dont c'est le premier vol. En
cours de route, le P.C. Air lui donne l'ordre de se détourner
de sa mission primitive pour intervenir au profit d'une
action en cours dans la région d'El Ouldja, à l'est de Constantine.
La zone, constituée de djebels escarpés et boisées,
est fréquentée par les moudjahid algériens que des artilleurs
viennent d'accrocher.
Sur le petit aérodrome d'Oued Hamimim, le sergent pilote
Ribot, qui est d'alerte, prend à son tour l'air. Au décollage,
il croise l'équipier du capitaine Caroff qui revient, à
bout de potentiel. La carte sur les genoux, Ribot coche
les coordonnées de l'accrochage et se dirige vers le lieu
tout en lançant des appels radio afin de contacter son commandant
d'escadrille. Malgré ses appels répétés, aucune voix ne
se manifeste sur les ondes. Le sergent fait quelques contrôles,
scrute le ciel à l'horizon et vérifie la navigation, sans
plus de succès. Parvenu sur la zone indiquée, il aperçoit
le T-6
du capitaine écrasé au sol. Il le survole alors le plus
bas possible, en fonction du profil du terrain, mais ne
décèle aucun signe de vie de la part des deux occupants.
Ribot donne l'alerte. Les opérations de secours s'enclenchent,
mettant en oeuvre des moyens aériens et terrestres. Afin
d'assurer le mieux possible la sécurité de l'équipage et
de l'appareil crashé, il effectue plusieurs passages en
rase-mottes durant une trentaine de minutes. Un hélicoptère
décolle de la base aérienne de Télergma avec une patrouille
de Corsair
de la 15e Flottille, que Ribot devra guider compte
tenu du fait qu'il a repéré les diverses caches possibles
et les points stratégiques. Soudain, des bruits inhabituels
claquent autour du cockpit. Des petits morceaux de tôle
partent du milieu des ailes du T-6.
Pendant qu'il regarde à l'extérieur en fixant des points
au sol, Ribot constate que sa main gauche, sur la manette
des gaz, ne répond plus normalement. Il détourne alors son
regard vers l'intérieur où il découvre du sang partout et
sa main qui pend par un bout de chair, accrochée à la manette
des gaz.
Sur le moment, Ribot n'a rien senti. Juste une impression
de chaleur, une grosse bouffée de chaud, mais pas de douleur
particulière. Une rafale de mitrailleuse a atteint l'avion.
Elle est passée au travers de la carlingue, et les balles
écrasées, mêlées aux morceaux de ferrailles du T-6,
ont tout arraché sur leur passage.
- Merde ! s'exclame
alors Ribot sans penser un instant aux conséquences.
Il dégage la zone, prend sa main avec quelques difficultés
pour la mettre sur ses genoux. Des flots de sang jaillissent,
car l'artère est sectionnée. Malgré quelques trous plus
ou moins importants, l'avion vole presque normalement. Par
contre, Ribot, qui perd son sang en abondance, commence
à voir des clignotements d'étoiles. Encore lucide, il décide
de se crasher avant qu'il ne soit trop tard, sur les flancs
d'un djebel, dans une zone découverte et a
priori sans rebelles.
La chance veut qu'il s'épande sur la route de l'hélicoptère
de secours qu'il a lui-même appelé pour l'autre équipage.
Apercevant le T-6
de Ribot, la Banane
se déroute et récupère le blessé qui reçoit les premiers
soins. Sur les lieux du premier drame, force est de constater
que le capitaine Caroff a été tué, alors que le sous-lieutenant
Faraud est grièvement blessé. Outre son poignet arraché,
Ribot a reçu une balle dans le genou et pas mal de sévères
égratignures.
Le capitaine Caroff a été abattu un peu avant neuf heures,
alors qu'il mitraillait la falaise du djebel Ouasch. De
multiples accrochages se sont déroulés dans la matinée,
au cours desquels un lieutenant d'artillerie a été tué,
avant que l'aviation n'intervienne avec efficacité. Deux
Corsair
de la 15 F ont effectué un remarquable straffing, ainsi
qu'un chasseur à réaction Mistral
de l'Escadron 1/7 Nice
qui a largué avec précision quatre bidons de napalm. En
tout, douze T-6,
six Corsair
et deux Mistral
ont été engagés.
Dans son rapport d'opération daté du 14 octobre 1957, le
colonel Gribius, commandant le secteur de Constantine, mettra
en exergue l'action de l'aviation :
... Il est de la plus
élémentaire justice de noter que si le 2 octobre le rebelle
a plié devant une troupe qui n'a pas toujours été mordante,
c'est que l'aviation a fourni un effort considérable. Elle
a décidé d'un succès qu'elle a d'ailleurs payé assez cher...
Les avions ont fixé les rebelles, les ont assommés, ont
entraîné leur déroute : ils ont créé un tel affolement chez
eux que, fait unique dans les annales du secteur, la bande
a abandonné deux fusils-mitrailleurs sur le terrain.
Ce 2 octobre 1957,
le sergent Ribot accomplissait sa dernière mission. Il aurait
déjà dû être libéré depuis une semaine, mettant un terme
à un engagement de cinq ans au cours duquel il a été breveté
pilote de chasse sur jet aux Etats-Unis en octobre 1953.
Quant au capitaine Caroff de Kervezec dont la carrière s'annonçait
brillante, une promotion de l'École de l'Air portera son
nom en 1979.
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