[accueil]  [sommaire général]  [sommaire précédent]  [forums]  [modelstories]  [livres & magazines]  [liens]

Les missiles du IIIème Reich (4)

par Philippe Ballarini

Les missiles antiaériens

Dans les premières années de la guerre, les responsables du RLM ne virent aucun intérêt ni aucune perspective d'avenir pour les missiles antiaériens. Cette position était confortée par Hitler lui-même pour qui seule l'offensive comptait. Or, les missiles antiaériens, tout comme les intercepteurs, sont des armes défensives.

Le RLM, jaloux de ses prérogatives, avait fait parvenir à Hitler un mémorandum expliquant que des missiles air-air, tirés par des intercepteurs en vol, aurait davantage d'efficacité que des missiles tirés depuis le sol. Dès novembre 1941, le général d'artillerie antiaérienne von Renz avait tiré la sonnette d'alarme: au vu de l'altitude de vol de plus en plus élevée des bombardiers alliés, la consommation en munitions de la Flak deviendrait démesurée au regard du nombre d'appareils à abattre. Le revirement ne se fit pas immédiatement et il fallut attendre octobre 1942 pour que le Reichsmarschal Göring accorde une priorité aux projets de missiles antiaériens et février 1943 pour qu'il donne l'autorisation pour la construction d'un pas de tir expérimental.
La plupart des tirs d'essais devaient s'effectuer à Peenemünde. En fait, les programmes d'élaboration se sont vus sans cesse ralentis par des luttes d'influence, en particulier par les menées de Himmler et de ses SS pour avoir la mainmise sur les armes "V".  Il fallut créer un état-major de planification dirigé par le général Dornberger.
Plusieurs projets concurrentiels furent alors développées.

Les responsables du RLM et de la Luftwaffe ne voyaient pas d'un très bon œil le développement de missiles antiaériens. Ils plaçaient plutôt leur confiance et leurs espoirs dans les nouveaux appareils, comme la dernière évolution du FW-190 développée par Kurt Tank, le Focke-Wulf Ta 152, capable d'aller intercepter les bombardiers ennemis à plus de 12000 m d'altitude.
D.R.                                           Clic

F 25 "Feuerlilie"

En juillet 1943 eut lieu le premier tir. La "Feuerlilie" 25 ("lis de feu") inaugura le pas de tir. C'était un missile propulsé par une fusée à poudre. Entre 1942 et 1943, une trentaine de ces missiles furent essayés. La "Feuerlilie 55" fut une évolution logique pour laquelle on supprima l'empennage et on modifia la géométrie des ailerons pour un meilleur comportement aux vitesses supersoniques. Il était prévu qu'en série, la "Feuerlilie 55" soit équipée d'un propulseur à carburant liquide, en l'occurrence de l'alcool, qui lui procurerait 1000 kp de poussée pendant 27 secondes, emportant une charge de 140kg de poudre. L'engin était radiocommandé, ce qui put être considéré comme un progrès important jusqu'à ce que les Alliés mettent au point des brouilleurs radio.

La "Feuerlilie": le précurseur.
DBA       Clic

R1 "Rheintochter"

Pour pouvoir atteindre les bombardiers alliés en haute altitude, Rheinmetall-Borsig AG commença à développer une technologie qui connaîtrait ultérieurement un franc succès: la fusée à étages. La "Rheintochter" ("fille du Rhin") . Plusieurs versions furent produites, utilisant diverses combinaisons utilisant carburant solide ou liquide. L'un des atouts de la "Rheintochter" était son mode de pilotage: guidée par radio sur sa cible, elle se laissait piloter ensuite par un radar embarqué. Même si elle ne connut pas un destin brillant, elle préfigurait dès juillet 1943, date du premier tir, bon nombre de missiles soviétiques des années 1960, tant par ses caractéristiques techniques que par son allure générale. Cette ressemblance est sans doute la conséquence du fait que les techniciens de Peenemünde furent "invités"  par les Soviétiques à venir travailler en URSS.

La Rheinmetall-Borsig R1 "Rheintochter" était réellement un missile d'avant-garde, mais faute de fiabilité, elle fut abandonnée en juin 1944 au profit de la "Wasserfall" et du "Schmetterling".
DBA                                             Clic

"Enzian"

Travaillant dans un établissement de recherches bavarois, le Dr. Konrad vit dans le Me 163 de Lippisch une base intéressante pour un missile antiaérien. L'Enzian ("gentiane") empruntait le groupe propulseur du Me 163, assisté pour le décollage de quatre fusées à poudre d'appoint. Le premier vol de l'Enzian, qui sera construit à une soixantaine d'exemplaires, eut lieu en août 1944. D'allure courtaude et massive, l'Enzian utilisait des techniques déjà très novatrices quant à son guidage: un guidage radio et radar jusqu'à proximité de la cible, relayé ensuite par un détecteur acoustique et un capteur de rayons infrarouges. Il devait pouvoir atteindre sa cible en 70 secondes jusqu'à 15 000 mètres d'altitude.   

Le missile "Enzian" était dérivé de l'intercepteur Messerschmitt Me 163 dont il hérita les faiblesses. On distingue deux de ses fusées à poudre d'appoint.
DBA                                 Clic

"Schmetterling"

En 1941, Herbert Wagner, de la société Henschel, avait déposé au RLM un projet de missile antiaérien. À cette époque, le RLM, certain de la victoire rapide des armées du Reich et convaincu de la supériorité durable de la Luftwaffe, ne vit pas la nécessité de développer un tel appareil. En 1943, devant le revirement de la situation militaire et les bombardements de l'Allemagne, il fut rapidement décidé de développer le "Schmetterling" ("papillon") dans la plus grande urgence.
Il s'agissait d'une roquette à carburant liquide dont le décollage était assisté par deux fusées à poudre et guidée par radio. Entre mai et novembre 1944, 21 "Schmetterlinge" atteignirent l'altitude de 11 000 m. C'était suffisant pour atteindre les bombardiers alliés. Lancé depuis un affût très mobile et discret, le "Schmetterling" atteignait une vitesse élevée très peu de temps après son lancement, si bien qu'on lui avait adjoint un machmètre destiné à l'empêcher de dépasser Mach 0,8, alors qu'aux essais il atteignait 11 000 km/h.
La "commission pour le règlement de la terreur aérienne ennemie" décida en 1944 le développement du "Schmetterling" dans différentes versions et encouragea sa construction et en janvier 1945, Henschel commençait sa production en série. Mais dès le 6 février, un ordre du SS-Obergruppenführer Kammler stoppait le développement et la production des "Schmetterlinge", faisant perdre à l'Allemagne une arme qui eût pu se montrer redoutable dans la lutte contre les bombardiers alliés.

Sur cette photo représentant un "Schmetterling" sur son affût, on distingue nettement les deux fusées d'appoint qui flanquent le corps du missile, lui valant son appellation de "papillon" ("Schmetterling").
DBA
                                        Clic

"Wasserfall"

À partir de 1941, au regard des plafonds pratiques atteints par les bombardiers alliés, il apparut que la "Flak" ("Fliegabwehrkanone": canon antiaérien) avait atteint la limite de son efficacité. À la suite de l'ordre du général de la Flak von Axthelm du 18 décembre 1942 de développer le concept de "Fla-Raketen" (missiles antiaériens)  commença l'étude de la fusée "Wasserfall" ("cataracte"). Il fallut, avant que le développement de ce missile antiaérien ne commence à Karlshagen, près de Peenemünde, faire revenir des unités combattantes tout le personnel spécialisé. Jusqu'en décembre 1942, c'est le RLM qui assura le développement de la Wasserfall, jusqu'à ce qu'il soit confié à l'équipe de Werner von Braun. Si le premier prototype explosa le 8 janvier 1944 au moment de son décollage, le modèle suivant s'éleva sans coup férir à la vitesse de 2272 km/h. La production démarra dès la fin février 1944.
La C-2 "Wasserfall" était en fait une sorte de A4 (V2) en réduction. En dépit de ses qualités très prometteuses, elle souffrait elle aussi d'un défaut qui la rendait inadéquate à sa mission d'interception. Le problème était le même que celui qui se posait au "
Komet" et au missile "Enzian", en l'occurrence que des missiles de défense ou des intercepteurs doivent pouvoir être utilisés inopinément. Or, pour la Wasserfall comme pour le Komet, les réservoirs de carburant ne pouvaient être remplis que peu de temps avant la mise à feu.

Avec la "Wasserfall", le but n'était plus de frapper directement la cible, mais de faire exploser sa charge de 250 kg d'explosif dans une formation de bombardiers lourds. Ce missile de près de 8 mètres filait sur son objectif à Mach 2,5. 
DBA                                             Clic

Le IIIème Reich... et après?

Les programmes de missiles sol - sol ou de missiles antiaériens allemands amenèrent la technologie des fusées à faire un bond remarquable en quelques brèves années, en particulier vers la fin du conflit. Heureusement ou malheureusement, suivant le point de vue que l'on adopte, les perpétuelles querelles et luttes d'influence entre les différents services du Reich instaurèrent une véritable gabegie où des programmes étaient lancés, puis abandonnés sans autre forme de procès.
Affirmer que les Allemands avaient "inventé" le missile serait de la pire inexactitude. Considérer néanmoins qu'ils furent les premiers à concevoir des missiles antiaériens et qu'ils avaient acquis en 1945 une avance remarquable dans le domaine des fusées tombe néanmoins sous l'évidence.
Les Alliés ne s'y tromperont pas: la "Wasserfall" n'est rien d'autre que le prélude aux missiles "Nike" américains et la "Rheintochter" a des faux airs de missile soviétique des années de guerre froide.

© Aérostories, 1999

[suite]


Les vainqueurs surent tirer parti des recherches allemandes. Ici, un Matador, missile américain, est tiré depuis une base en Allemagne. Le Matador était directement issu de la recherche allemande de la période de la guerre.
Magnum                         Clic