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La renaissance de l'armée de l'Air
1945 - 1950

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8 pages A4
254 ko

par C-J. Ehrengardt

6 - Un rapport en forme de guillotine

Ce conflit débouche sur la création d'une commission présidée par le général Guyot qui commence ses consultations en avril 1946. Ce sont deux dogmes qui s'affrontent, mais celui de l'Air ne résiste pas aux réalités économiques et géopolitiques du moment. Le 2 juillet, les conclusions du rapport tombent comme un couperet. L'armée de l'Air n'a pas les moyens de ses ambitions et ne les aura pas avant au moins une décennie. Elle doit donc faire porter son effort de rééquipement sur une force aérienne adaptée aux besoins de la Terre et à ceux du maintien de l'ordre dans les colonies et doit développer une flotte permettant de transporter rapidement hommes et matériel au gré des besoins. La commission épouse donc les thèses du général Juin et recommande que la protection des territoires d'outre-mer constitue la mission principale de l'Air, ce qui lui permet de balayer la question de la supériorité aérienne et d'occulter celle de l'aviation stratégique.

Cette vassalisation de l'armée de l'Air aux forces terrestres est mal vécue par les principaux responsables de l'Air. Non seulement ce rapport consacre un véritable retour en arrière, mais il place l'Air dans une situation d'assujettissement encore plus étroite qu'en 1939. Le général Bouscat refuse d'entériner ce rapport. Sentant sans doute le coup venir, il a dès avril 1946 lancé ses propres travaux sur une nouvelle doctrine. Remplacé en septembre 1946 par le général Gérardot, il n'en voit pas les conclusions qui sont déposées deux mois plus tard.
Elles n'ont rien de révolutionnaire, l'Air s'entêtant à affirmer que son rôle est à la fois la recherche et le maintien de la supériorité aérienne et la destruction des centres vitaux de l'ennemi, une sorte de doctrine douhetienne remise au goût du jour. Pour accomplir cette mission, l'Air demande une forte croissance de l'industrie aéronautique française, soutenue par une politique énergétique permettant de l'affranchir de la dépendance à ses sources actuelles d'approvisionnement. Cette conception brille par son absurdité, la France ne disposant pas des moyens budgétaires de recréer une 8th Air Force, ni de la technologie pour se doter de l'arme atomique et de son vecteur avant au moins deux décennies. De la guerre qui vient de s'achever, l'Air a tiré comme enseignement que les forces terrestres doivent assumer le rôle primordial et que la victoire ne peut être obtenue que par une totale interdépendance de toutes les armes. Ce qui ne l'empêche pas de refuser de consacrer la majorité de ses forces à la coopération avec les troupes terrestres ni de réclamer un budget à la hauteur de ses visées stratégiques. Si l'éventualité d'une nouvelle guerre mondiale semble écartée pour un moment - bien qu'en la matière, il n'y ait aucune certitude, le rapport estime que les forces armées françaises peuvent être impliquées dans des conflits limités et que, dans ce cas, la recherche de la maîtrise de l'air deviendra une nécessité absolue.

Ce ne sera qu'un combat d'arrière-garde. La démobilisation entreprise après que l'état de guerre a officiellement cessé d'exister en date du 1er juillet 1946, fait chuter les effectifs de manière spectaculaire (de 115 000 à 59 000 en un an). Passe ainsi à la trappe le plan démesuré de 170 000 hommes pour 108 groupes, dont 6 de bombardement lourd, proposé aux Américains par le général De Gaulle et, fait étrange, entériné par eux en 1945. À la mi-46, l'armée de l'Air dispose tout juste du personnel suffisant pour entretenir 26 groupes.

L'année 1946 est donc celle de la cruelle désillusion des dirigeants de l'Air qui, enfermés dans leur tour d'ivoire, n'ont su lire ni le présent ni l'avenir et n'ont rien compris aux réalités économiques d'un pays exsangue, frappé par le rationnement des produits de première nécessité, et qui a plus besoin de lait que de bombardiers stratégiques. Ils n'ont pas compris non plus que la France, en tant que puissance militaire, n'existe plus face à l'hégémonie américaine, que leur pathétique agitation n'est qu'une tempête dans un verre d'eau et que la place de la France dans le concert des grandes nations n'est qu'un simple strapontin arraché de haute lutte par la seule stature du général de Gaulle.

Mais, déjà, dans cet univers instable apparaissent les premières fractures : l'Indochine, puis Madagascar.

©
Aéro-Editions, Aérostories,2003.

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> Un rapport en forme de guillotine

Un Mosquito FB.6 (TE794) du GC 2/6 Normandie-Niémen à Rabat-Salé en 1948. Cette unité prestigieuse ne sera décidément pas gâtée côté matériel...

SHAA

Cet article est extrait du dossier "Renaissance de l'armée de l'Air 1945-1950", paru dans Aéro-Journal N° 31 de juin-juillet 2003. Cliquez sur la couverture pour en connaître le sommaire dans l'Aérobibliothèque .