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La route du Rhin
La reconquête de  la France
Deuxième partie :15 août 1944 - 8 mai 1945

Tandis que le 15 août, les Alliés et la 1ère armée française débarquent en Provence dans le cadre de l'opération " Dragoon ", les livraisons en provenance des États-Unis d'avions, mais aussi de rechanges, de carburant et de lubrifiant, de rations et d'équipements divers, se poursuivent conformément aux accords négociés dans le cadre du " Lend-Lease ". En effet, à partir de la fin de l'année 1943, le rééquipement de l'aviation française est devenu une affaire purement américaine, les Britanniques n'ayant pas les moyens de faire face aux demandes de l'armée de l'Air.

Pénurie de personnel
Le " Plan VII " a pris une certaine ampleur depuis son approbation en octobre 1943 par le général Arnold, commandant l'USAAF. Ce plan " renforcé " prévoit d'aligner 172 unités de première ligne avec 2 800 appareils en mai 1946. Néanmoins jugée " prématurée " par les chefs de l'état-major combiné, la question reste en suspens jusqu'en novembre 1944. C'est alors que les autorités françaises renouvellent leur demande en faisant valoir qu'elles disposent de 20 000 aviateurs supplémentaires depuis la libération d'une grande partie du territoire français.

Il est nécessaire d'évoquer ici un élément fréquemment omis par les auteurs français. Il faut se souvenir que la majorité des pilotes qui forment les forces aériennes françaises sont issus de l'armée de l'Air de l'armistice. Or, celle-ci s'est vue contingentée en nombre d'heures de vol d'une manière très sévère par l'occupant. Certes, la libération du territoire national a permis l'incorporation de plusieurs milliers d'équipages retenus en métropole, mais ceux-ci n'ont plus alors qu'une valeur militaire très théorique.

Dès décembre 1941, le secrétariat à l'Air de Vichy avait ordonné une enquête sur le taux alarmant des accidents aériens imputables au personnel. Le rapport avait conclu à un fort déficit en heures d'entraînement. On peut imaginer sans mal que la situation ne s'était guère améliorée trois ans plus tard et qu'elle avait même eu tendance à se dégrader sérieusement. Lorsque le GT 3/15
Maine sera créé au Bourget en janvier 1945, l'état-major éprouvera les pires difficultés à rassembler un nombre suffisant de pilotes compétents à lui affecter. Il faudra en fait deux mois et demi pour mettre cette unité en état opérationnel. Ce n'est guère qu'au cours du dernier trimestre de l'année 1944 qu'arrivent les premiers contingents de navigants formés ab initio aux États-Unis. Cependant, la plupart servent surtout à combler les pertes et les départs et aucun d'entre eux ne possède la moindre expérience opérationnelle permettant de remplacer les officiers d'encadrement appelés dans les états-majors.

Le Plan VIII

Depuis août 1944, la situation a quelque peu changé. Le gouvernement provisoire s'est installé à Paris et, en novembre, un nouveau ministère, confié à M. Tillon, a remplacé le commissariat à l'Air qui avait été créé en avril 1944 à Alger. Le 31 octobre, le général Valin a succédé au général Bouscat comme chef d'état-major de l'armée de l'Air, ce dernier ayant pris les fonctions d'inspecteur général et de commandant des forces aériennes engagées.

Le problème du réarmement de l'armée française est, depuis octobre 1944, l'affaire du général Loomis, promu chef de la
Rearmament Division de la SHAEF Mission to France (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force). Se fondant sur l'expérience du passé, celui-ci estime que la pénurie de personnel spécialisé compétent en Afrique du Nord a empêché la création d'une force tactique française indépendante. Pour lui, il est surtout urgent de compléter les effectifs des escadres françaises afin de les porter au niveau de leurs équivalents britanniques ou américains. Il préconise la création de neuf groupes supplémentaires (huit équipés de matériel US et un de matériel britannique) - le " groupe " français étant l'équivalent d'un " Squadron " anglo-américain.
La mise en place du Plan VII devant s'achever à la fin du premier semestre 1944, le général Bouscat avait déjà mis la main à la pâte dès septembre 1943 sur le programme suivant, baptisé Plan VIII. Encore une fois trop ambitieux, il est ramené à de plus justes proportions, soit 123 groupes en ligne fin 1945 au lieu des 172 initialement prévus. Les chefs de l'état-major combiné allié (
Combined Chiefs of Staff) le rejettent fin 1943 sans même l'examiner, le jugeant prématuré et irréaliste.
Révisant leur copie, les Français présentent en juin 1944 un nouveau " Plan VIII " mieux adapté aux réalités, devant déboucher sur la mise en ligne de 108 groupes fin 1946. Cependant, ce plan comporte un certain nombre d'hypothèses de travail car, à cette époque, se posent quelques questions, certaines anciennes mais encore d'actualité, d'autres nouvelles :
- Quand la guerre contre l'Allemagne va-t-elle s'achever ?
- Quel rôle les Alliés entendent-ils faire tenir à l'aviation française jusqu'à la cessation des hostilités et après ?
- L'armée de l'Air participera-t-elle à un corps expéditionnaire en Extrême-Orient ?

Plusieurs hypothèses de travail sont donc retenues, mais les Alliés manifestent une certaine réticence à accepter ce plan parce qu'ils craignent de financer un programme destiné à être mis en place après la cessation des hostilités. Toutefois, c'est au sein même du haut commandement français que viennent les pires coups bas contre le général Bouscat. L'armée de Terre n'a cessé de vouloir remettre en cause l'indépendance de l'aviation et la vive polémique entre le général Juin, chef d'état-major de la Défense nationale, et Bouscat amène ce dernier à reviser les prétentions du Plan VIII à la baisse. Conscient que ce plan ne recueillera jamais l'adhésion des Alliés, le nouveau ministre de l'Air, Charles Tillon, lance le Plan VIIbis, simple extension du Plan VII.

De l'eau dans le gaz

Approuvée à tous les niveaux, cette " extension " doit prendre effet au 1er janvier 1945, mais fin avril aucun matériel destiné à la création de plusieurs PC et quatre nouveaux groupes de combat n'est encore arrivé en France. C'est alors que les relations franco-américaines se dégradent brutalement jusqu'à un point qui va amener les Américains à couper d'un seul coup d'un seul le robinet du " Lend-Lease ".

Tout commence le 24 avril 1945, lorsque le général de Lattre refuse d'obtempérer aux ordres du général Devers, commandant la 7ème armée US, qui lui demande d'évacuer Stuttgart, ville qui se trouve dans sa zone d'action et qui représente pour lui un nœud de communication vital. Le général de Lattre n'a pas agi de sa propre initiative, mais sur les instructions du général De Gaulle. L'incident est aussitôt remonté au
Supreme Commander, le général Dwight D. Eisenhower, qui considère ces instructions comme une " violation des accords existants ". Dans une lettre adressée le 28 avril à De Gaulle, il rappelle que les forces françaises ont été armées et équipées par les États-Unis et se trouvent sous le contrôle des chefs de l'état-major combiné. Il ajoute qu'il n'a donc pas d'autre choix que d'informer ceux-ci de la présente situation. C'est ce qu'il fait le jour même, en suggérant de stopper sans délai la livraison de tout matériel qui n'aurait pas encore pris la mer. L'affaire remonte jusqu'au président Truman et donne lieu à un échange de correspondances entre les deux chefs d'état. Pendant que les Français tentent de faire revenir les Américains sur leur décision, le 1er mai 1945, le département de la Guerre informe le général Loomis qu'il cesse toute nouvelle livraison en faveur des forces aériennes françaises. Le 8 mai, Eisenhower confirme aux dépôts US en Europe de bloquer la livraison du matériel, mais pas des rechanges.

Alors que " l'embargo " est sur le point d'être levé, un nouvel incident, beaucoup plus sérieux que le prédécent, met en péril les relations politiques franco-américaines.

Après avoir chassé les dernières troupes allemandes dans le Nord de l'Italie, entre la frontière suisse et le golfe de Gênes, le détachement de l'armée des Alpes du général Doyen poursuit sa marche en avant dans le val d'Aoste, malgré les demandes réitérées du général Devers d'effectuer un repli. Fin mai 1945, celui-ci apprend que non seulement les Français n'ont pas obéi, mais que le général De Gaulle a l'intention d'annexer la province de Cuneo à la France. Le bras de fer manque de se transformer en affrontement armé.

Nous passerons rapidement sur les implications politiques de cette affaire qui dépassent le cadre de cette étude. Cependant, ses conséquences sont aussi rapides que brutales. Le 9 juin, Eisenhower décrète un embargo total sur les livraisons à l'armée française, à l'exception des rations et d'un peu de carburant. Le 18 juin, le département de la Guerre demande à ce que l'aide militaire à la France par le biais du "
Lend-Lease " soit définitivement et intégralement stoppée. Le 5 juillet, le président Truman entérine cette décision.

La fin du "
Lend-Lease " signifie que non seulement l'armée de l'Air ne recevra plus un seul avion neuf, mais qu'elle devra payer comptant les rechanges pour les avions déjà livrés et régler la facture de ceux qu'elle compte conserver.

Le 9 juillet, le ministère de la Guerre britannique accepte de reprendre ses livraisons pour combler les pertes et assurer une maintenance adéquate du matériel existant. Bien évidemment, cette décision ne concerne que le matériel d'origine britannique et il est loin d'être le plus nombreux et le plus moderne.

On est en droit de se demander ce qui a poussé le général De Gaulle à entamer un nouveau bras de fer avec les Américains, alors que l'affaire de Stuttgart ne laissait planer aucun doute sur leur réaction. Les Français sont-ils alors si sûrs de relancer leur propre industrie militaire au point de ne pas craindre de se passer de l'aide américaine ?

L'industrie aéronautique française a souffert des bombardement alliés et des destructions perpétrées par les Allemands qui, en outre, n'ont pas négligé la moindre occasion d'embarquer les précieuses machines-outils. Les industriels en récupèreront une partie et saisiront à leur tour toutes celles qu'ils trouveront dans la zone d'occupation de l'armée française.

Une industrie nationale convalescente

Bien que relancées dès fin août 1944, les chaînes de production tournent au ralenti. Les difficultés à surmonter s'annoncent plus complexes que prévu. Sur 1 439 avions de combat " nouveaux " en commande au 31 décembre 1945, seuls quelques prototypes auront été livrés à cette date.

Toutefois, c'est dans le domaine technique que l'industrie aéronautique française est la plus sinistrée. Étroitement surveillés par les autorités d'occupation, les bureaux d'études ont été les laissés-pour-compte du prodigieux bond technologique réalisé pendant les cinq dernières années. Quelques études ont bien été menées de manière clandestine, mais elles portent pour la plupart sur des modèles d'une technologie dépassée. La saisie de documents techniques dans les bureaux d'études allemands et l'autopsie des avions récupérés outre-Rhin permettront à nos ingénieurs de combler progressivement leur retard.

Pour relancer sans tarder la production, le gouvernement opte dans un premier temps pour la reprise des modèles déjà existants sur les chaînes ou en réparations pour le compte de la Luftwaffe (D.520, Fw 190, Ju 88A, Ju 52, Si 204, MS.500...). Outre que la mise en production de ces appareils ne fait qu'accroître le retard technique des constructeurs, elle n'offre à l'armée de l'Air que des avions périmés dont la valeur militaire reste plutôt symbolique. L'état lancera parallèlement une ambitieuse (et coûteuse) politique de prototypes qui, bien qu'autant décriée que sa devancière des années trente, sera génératrice de progrès et porteuse de promesses... mais à long terme.

En mai 1945, l'armée de l'Air s'engage dans la voie d'une rapide sénescence dont ne la sortiront que... les États-Unis et le MDAP (
Mutual Defence Assistance Program).

©
Aéro-Editions, Aérostories,2002.

par C-J. Ehrengardt

Cette page présente la première partie de l'article publié dans Aéro-Journal  N° 24 (avril-mai 2002).

L'AAC-1 n° 4 porte, comme tous les premiers Toucan, une immatriculation civile (F-BAJD), les cocardes militaires et l'incontournable croix de Lorraine. L'appareil, photographié ici à Agadir au printemps 1945, appartenait à l'escadrille " spéciale " 1/56 Vaucluse.
(Collection J. Mutin)

Martin B-26G-25-MA (44-68171)
GBM 1/22 Maroc   -  St Dizier, mai 1945
Clic
Infographie : Pierre-André Tilley
Avec l'aimable autorisation de © Aéro-Editions, 2002

Supermarine Spitfire Mk. V  (BL 993)
GCB 2/18 Saintonge
Bordeaux Mérignac, Mai 1945
Archives Aéro-Journal

Un P-47D-25-RE (42-26520) du GC 1/4 Navarre. Cet appareil était habituellement piloté en septembre 1944 par le commandant de la 1ère esadrille, le capitaine Minot.
(Collection J. Mutin)

Un P-39Q-25-BE du GC 2/9 Auvergne, au Vallon au printemps 1945.
(Collection J. Mutin)

Un Spitfire Mk. IX de la 2ème escadrille du GC 2/7 Nice à Luxeuil en février 1945. Cet appareil était équipé pour la reco-photo, ce qui ne signifie pas que les caméras avaient été installées.
(Photo A. Boursain)

L'intégralité de l'article "La route du Rhin" figure dans le numéro 24 (avril - mai 2002) d'Aéro-Journal.