|
L'évocation
de l'histoire des frères Horten et de leurs drôles de machines
nécessite une mise au point préalable.
Habitués que nous sommes à une image traditionnelle d'un avion
doté d'un fuselage, nous sommes un peu déroutés par les ailes
volantes, alors que ce concept date des balbutiements de l'aviation.
L'idée même de l'aile volante est résolument simple: le
fuselage et l'empennage représentent de 30% à 50%
de la traînée d'un aéronef. L'idée de puristes comme Lippisch
ou Northrop,
entre autres, fut de se dispenser de ces appendices. Pour autant,
cette conception d'un avion est loin d'être neuve. Dès
les premiers balbutiements de l'aviation, bon nombre de concepteurs
avaient retenu cette solution.
Un autre point essentiel pour la bonne compréhension de
la démarche des frères Horten est le rappel de l'importance
qu'a pu jouer le vol à voile dans l'histoire de l'aviation.
Activité mineure aujourd'hui, le planeur joua un rôle de tout
premier plan à la naissance de l'aviation.
Ainsi, alors que nombre de chercheurs de la fin du XIXème
siècle tentaient de créer directement un engin motorisé, certains
puristes, comme Lilienthal
ou Ferber, de grands précurseurs de l'aviation, considéraient
qu'avant que de motoriser un engin volant, il convenait de
le rendre efficace et aisé à piloter. Notons au passage que le
même Lilienthal conçut dès avant 1900 des planeurs dénués d'empennage.
Les frères Horten se situent au confluent de ces deux démarches.
Ils seront les virtuoses de l'aile volante, testant de façon
obstinée leur appareils sans fuselage ni empennage en vol plané
avant que de songer à y adjoindre un quelconque moteur. Obsession?
Peut-être... En tout cas, ils ne dessineront exclusivement que
des ailes volantes. Aucun autre type d'appareil ne sortira
de leurs planches à dessin.
Nés au début du XXème siècle, les deux frères se passionnèrent
dès l'enfance pour cette idée d'un appareil volant de
formes pures. Le traité de Versailles de 1919 devait théoriquement
empêcher un éventuel réarmement de l'Allemagne, en particulier
en y limitant de façon drastique la production aéronautique. C'est
ainsi que le vol à voile, qui était en plein essor, se développa
de façon importante outre-Rhin, si bien que les allemands devinrent
rapidement les maîtres du vol à voile de l'entre-deux-guerres,
tant en matière de pilotage qu'en ce qui concerne la recherche
aéronautique. Les célèbres meetings de la Wasserkuppe seront le
prétexte à des études très poussées en matière d'aéronautique.
C'est dans ce cadre que Walter et Reimar Horten évoluèrent
et conçurent leur première aile volante alors qu'ils n'avaient
pas vingt ans, ayant pris connaissance des travaux de von Prandtl
(publiés en 1918) sur l'aérodynamique, en particulier sur
l'intérêt de l'aile épaisse. Ils bénéficièrent d'une
mansuétude parentale qui leur permit d'envahir la demeure
familiale et de transformer le salon en atelier. Toute la période
qui précéda la Seconde Guerre Mondiale fut pour eux occupée à
la conception d'engins de plus en plus performants.
Leur premier planeur, le Horten Ho I, fit ses premiers essais
à Bonn-Hagelar en juillet 1933. S'il n'était pas à proprement
parler une réussite, il ouvrit la voie à une kyrielle d'autres
modèles dont le moins étonnant ne fut sans doute pas le
Ho IV, une aile mince de 24 mètres d'envergure alors que dès
1938, leur Ho III avait pu atteindre une altitude de 7000 m.
Lorsqu'éclata la Seconde Guerre Mondiale, les frères Horten
furent versés tout naturellement dans la Luftwaffe. Le troisième
des frères, Wolfram, fut abattu au-dessus de Dunkerque à bord
d'un Heinkel He-111, tandis que Walter passa six mois aux
commandes d'un Messerschmitt Bf-109. Reimar fut formé sur
ce même appareil, mais fut très vite versé à une unité particulière.
En effet, dans le cadre de l'opération "Seelöwe"
qui visait rien moins qu'un débarquement en Angleterre, la
Luftwaffe avait créé une unité de planeurs. Plus de 80 appareils
étaient destinés à déposer des munitions aux troupes débarquées,
dont cinq Ho III et deux Ho II, spécialement aménagés à cet effet.
Le IIIème Reich avait là encore trouvé dans les écoles de vol
à voile matière à alimenter sa machine de guerre.
On sait ce qu'il advint: la pugnacité des pilotes britanniques
fit reporter sine die
l'opération d'invasion de l'Angleterre. En fait, ceci
fit plutôt l'affaire des Horten qui purent continuer leurs
projets alors que le centre d'entraînement de pilotes de planeurs
était muté à Königsberg. Ils s'attelèrent à la réfection de
leur planeurs déteriorés et au développement de nouveaux modèles,
soutenus par Ernst Udet.
En 1942, la Luftwaffe fit savoir à Reimar Horten qu'elle cherchait
un appareil pour tester un pulsoréacteur Schmitt-Argus et lui
demanda s'il pensait que le Ho V biplace ferait l'affaire.
Selon certaines sources, cette décision venait de la lecture de
rapports d'espions allemands aux U.S.A. rapportant les travaux
de Northrop.
La structure du Ho V ne lui permettant pas de supporter une poussée
aussi importante, les frères Horten se mirent en chantier pour
élaborer une aile plus robuste, plus grande aussi. Ce sera le
Ho VII, un appareil mû par deux hélices propulsives et un pulsoréacteur.
Cela ne les empêchait pas de continuer leurs recherches fondamentales.
Ils seront, tout comme Etrich en 1908, intrigués par la graine
volante Zanonia Macrocarpia
qui leur inspirera l'étonnante "Parabola" dont le
dessin était copié sur celui de la graine exotique.
Mais le temps était à la guerre, plus aux exercices de style.
Göring réclamait son "1000X1000X1000". De quoi s'agissait-il?
Rien de moins qu'un avion capable d'emporter à 1000 km
de sa base 1000 kg de bombes à la vitesse de 1000 km/h. Projet
apparemment démesuré pour l'époque, mais que les Horten (ainsi
que d'autres ingénieurs allemands, comme chez Focke Wulf)
furent à deux doigts de rendre opérationnel.
Six mois. C'était le délai qu'on voulait bien leur laisser
pour mettre au point un prototype et les méthodes de montage!
Il est vrai qu'en 1944, l'aviation du Reich était déjà
aux abois. Le prototype du planeur fut très vite prêt. Le choix
du matériau se porta sur un contreplaqué fabriqué à base de colles
résistant aux solvants, certaines parties de l'appareils utilisant
même des matériaux composites. Pas question d'utiliser du
duralumin, matériau stratégique qui devenait rare en Allemagne
et qui aurait nécessité une main d'œuvre hautement qualifiée,
laquelle avait été engloutie dans les champs de bataille.
Dès le 1er Mars 1944, le Ho IX faisait son premier vol plané à
Göttingen. Un second appareil avait été construit, mais cette
fois prévu pour recevoir des turboréacteurs. Les turboréacteurs
promis pour mars tardaient à être livrés, et lorsqu'ils arrivèrent,
ce fut une grave déconvenue pour les frères Horten. On leur livrait
des Jumo 004B de 80cm de diamètre, alors que les réacteurs prévus
ne devaient pas dépasser un encombrement de 60cm! Pour un appareil
de facture plus classique, comme le Me-262, ce n'était sans
doute pas insurmontable, mais pour une aile volante dans laquelle
les réacteurs devaient être intégrés, le problème était tout différent.
Il eût fallu redessiner complètement le Ho IX, mais il n'en
était plus temps, ou augmenter de façon notoire son envergure,
ce qui ne lui aurait pas permis d'atteindre les vitesses réclamées
à cor et à cri par Göring. Les Horten se livrèrent donc à de savants
bricolages et l'appareil fut prêt pour des essais à la fin
de l'année 1944.
Le carnet de vol du pilote d'essais, le lieutenant Erwin Ziller,
mentionne comme date du premier vol avec réacteurs le 2 février
1945, mais Reimar Horten affirme que ce vol eut lieu le 18 décembre
1944.
Le RLM s'étant montré satisfait du Ho IX, il lui attribua
le code 8-229 et en confia la fabrication aux ateliers Gothaer
Waggonfabrik. Vingt premiers exemplaires furent commandés. Plusieurs
modèles étaient envisagés, y compris des biplaces d'entraînement
et des chasseurs de nuit équipés d'un radar. Notons au passage
que les frères Horten auraient mis au point pour leur Ho IX un
revêtement spécial, à base de colle, de suie et de poudre de charbon
de bois, destiné à rendre cet appareil déjà furtif quasiment indétectable
au radar.
Le 14 avril 1945, l'armée américaine arrivait à l'usine
de production, capturant les Go 229 (leur dénomination officielle,
Go pour Gothaer) et mettant un terme à la construction de ce qui
fut la première aile volante à réaction. Un exemplaire se trouve
au célèbre musée Smithsonian.
Les frères Horten n'avaient pas attendu l'arrivée des
Américains et c'est en Argentine, comme bon nombre de leurs
compatriotes qu'ils donnèrent une descendance à leurs ailes
volantes. Pour géniaux concepteurs d'avions qu'ils étaient,
ils n'en avaient pas moins adhéré au parti nazi. Ils continuèrent
à dessiner des planeurs hors du commun, en particulier avec le
Horten XV "Urubu" et un énorme planeur de charge, le
IAME I.A. 28, dont un seul exemplaire fut produit. Pour autant
que l'on puisse faire abstraction de leurs engagements politiques
pour le moins douteux, il n'en demeure pas moins que les frères
Horten ont été de grands maîtres de l'aile volante.
Leurs recherches obstinées les amènera à ne produire que des ailes
d'une grande pureté, de la première à la dernière, allant
jusqu'à introduire le pilotage couché dans leurs machines
afin de supprimer la traînée qu'aurait générée une verrière
en saillie. Reimar Horten est décédé en 1994. Quant à son frère
Walter, il a fini ses jours en décembre 1998 à Baden-Baden.
Leur Go 229 (ou Ho IX ou Ho 229) ? Une aile volante furtive à
réaction, quelques décennies avant les F-117 "stealth"
au sujet desquels on a fait bien du tapage lors de la guerre du
Golfe.
|
|