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Les carnets de René Mouchotte

17 juin 1940
"Je viens d'apprendre par la radio l'incroyable nouvelle de la capitulation de Pétain. C'est tellement inconcevable qu'on reste là, les membres brisés à s'imaginer mille choses, un rêve, une erreur, une propagande, pour tenter de faire s'évanouir l'horrible cauchemar. Impitoyable, la T.S.F. achève de briser la résistance de nos nerfs trop tendus en faisant résonner une Marseillaise vibrante, le dernier appel d'une France hier libre…"

Par ces lignes débutent les célèbres "carnets" de René Mouchotte. De ce jour noir du 17 juin 1940 à la date du 27 août 1943, date de sa disparition, René Mouchotte noircira régulièrement ses carnets devenus célèbres, dans lesquels se mêlent récits militaires, instants chargés d'émotion et anecdotes. Nous remercions le Service Historique de l'Armée de l'Air de nous avoir permis de reproduire quelques extraits de cette nouvelle édition des carnets de René Mouchotte.

21 août 1940 (fragment)

"(…) Je viens de faire un exercice de combat contre un autre Hurricane. Il était piloté par un Tchèque ayant eu déjà six victoires en France. Pour mon premier combat, je suis servi ! Le jeu consiste à avoir le plus souvent et le plus longtemps possible l'avion adverse dans son collimateur, c'est-à-dire sur son propre axe de tir.  On part dos à dos comme pour un duel et chacun doit rivaliser de souplesse et de ruse pour éviter et vaincre l'autre.  On se met inconsciemment dans les positions les plus invraisemblables et si l'on ne parvient pas à suivre son adversaire, on a alors une énorme difficulté à le semer. Il restera collé dans votre queue. On tente alors un virage serré.  Il est toujours derrière.  Votre propre avion n'en peut plus, on lui en demande trop.  Ne pouvant pas virer plus court, il décroche et pique.  Hélas, l'autre est toujours derrière ! ... Ce fut assez décevant pour moi ce combat. Je ne me vois pas très bien en prise avec un boche. Pour deux ou trois fois que je l'ai tué, il m'a bien eu une douzaine de fois ! Mais j'espère apprendre vite ce métier !

Cet après-midi et pour la première fois de ma vie, je suis monté à trente mille pieds (environ dix mille mètres).  Il faisait un froid de loup là-haut et à mesure que je montais mes mains et mes pieds s'engourdissaient.  Le plus curieux est que j'éprouvais une énorme fatigue à parler. Rien que pour donner mon indicatif et lancer la courte phrase usuelle, je me sentais épuisé. Je n'ai pas le moins du monde été incommodé par l'oxygène, mais après vingt minutes passées à ce plafond, j'étais bien heureux de descendre. Le soir à peine allongé dans mon lit, je m'enfonçais dans un sommeil profond. Je ne sais si c'est la crise morale que je traverse qui en est la cause, mais je m'attendris sur tout ce qui concerne la France. Rares sont les nuits où je ne rêve pas. Le fait d'apercevoir hier de là-haut les côtes de France m'a plongé dans un abîme d'amères réflexions…

Deux tués ce matin encore à notre école! En faisant un exercice de combat, ils se sont télescopés ! Pauvres garçons dont le courage aura été inutile! Mourir devant l'ennemi n'est-ce pas partir avec la satisfaction d'un travail accompli… Mais ainsi, c'est trop triste !"

6 mars 1941

"Lorsque Hone s'est écrasé au sol le 26 février dernier, il est sorti indemne des débris de son avion. Le choc l'a tellement égaré qu'il est resté fou de longues heures ! Sortant de ce qui restait du Hurricane, il a brusquement sorti son revolver et a tiré dans toutes les directions. Il a fallu que des soldats le maîtrisent et l'emmènent. Encore heureux a-t-il été que, le prenant pour un Allemand, on ne l'ait pas abattu!

Encore un Français condamné par Vichy, pour avoir essayé sa chance vers de Gaulle. Malheureusement, c'est le poteau d'exécution qui attend celui-là."
(voir en regard la traduction de la coupure de presse britannique . NDLE)

30 juillet 1942

"Deux "Sweeps" aujourd'hui ! Les deux assez loin en France : Saint-Omer. Le premier s'est effectué sans incidents. Le second paraissait assez dangereux puisqu'il ne devait pas dépasser 5 000 pieds et ne comportait aucune protection en altitude. Dupérier n'étant pas là, je "leadais" le Squadron. L'inévitable est arrivé. Une fois bien enfoncés en territoire français nous avons été attaqués par une importante force ennemie. Plus de quarante Fw 190 sont tombés du soleil par derrière sur le Squadron de gauche, qui a perdu cinq avions. Ils se sont ensuite rabattus sur moi et il s'en est suivi un combat général à 1 200 mètres de haut à peine. Malgré que je me sois démené comme un fou, je n'ai pas été fichu d'en prendre un dans mon collimateur. Cette masse tournoyante d'avions m'hallucinait un peu. J'ai également eu, peut-être, le tort de trop regarder dans ma queue pour songer à nous protéger des attaques en traître, mais la lutte étant par trop inégale, il était préférable de chercher à sauver sa peau que de risquer une hécatombe pour satisfaire un désir offensif. Quoi qu'il en soit, nous avons enfin réussi à nous dégager de cette infernale tourmente et à regagner la mer en sautant les arbres.  Deux ont manqué à l'appel le soir, le sous-lieutenant Lambert et l'adjudant Debec.

Mais je garderai longtemps devant les yeux ce souvenir d'avions éclatant en flammes, d'autres s'écrasant au sol, formant une énorme boule de feu. Je verrai toujours ce parachutiste sautant de son avion qui tombait comme une torche et dont le parachute s'est soudainement consumé sous la morsure d'une ridicule petite flamme, qui m'était invisible lorsque le pilote a sauté !"


9 juin 1943 (fragment)

"(…) Le 27 juillet, nous avons un succès qui dépasse tous ceux du Fighter Command depuis la bataille de Dieppe.  Je "leadais" la Wing dans les environs de Lisieux lorsque la radio m'annonce une soixantaine de Boches. Je manœuvre dans le soleil et gagne de l'altitude quand, sans avertissement, nous nous trouvons engagés dans un gigantesque combat. Pour la première fois, l'ennemi semble accepter de se battre.
Spitfire et Fw 190 tournoyaient.  Dans le désordre qui s'ensuivit, je réussissais tout de même à glisser quelques ordres mais peu après, chaque section se trouvant séparée ne put agir qu'indépendamment.  Quel bel appareil ce Focke-Wulf, vu de près, et surtout de dos, ne pouvais-je m'empêcher de penser! Trop occupé à manœuvrer pour secourir une de mes sections, je ne pus que lancer une brève rafale à l'un d'eux. L'ai-je descendu ? Je l'ignore. Dans le doute, je préfère ne rien réclamer. Quelqu'un derrière moi a bien vu un Fw descendre en vrille avec une grosse fumée noire, mais s'agissait-il bien de celui-là ? Mon horreur de passer pour un fumiste me fit garder le silence à l'atterrissage. Mais quelle joie d'apprendre que nous en avions abattu cinq, sans que personne, de chez nous, n'ait été touché ! Un autre Squadron de la Wing en a quatre, ce qui fait un total de neuf et peut être plus, sans aucune perte ! Succès énorme qui va grandir davantage notre "Alsace". Je reçois des télégrammes de félicitations, dont un de Churchill ainsi rédigé : "Please, convey my warmest congratulations to 485 and 341 Squadron at Biggin Hill on yesterday achievement. Nine for nought is an excellent score! " ("Veuillez transmettre mes plus chaudes félicitations aux Squadrons 485 et 341 pour leur performance d'hier. Neuf à zéro est un score excellent!")


Et les "Sweeps" continuent à une cadence terrible. J'en suis à un record de 140 ! J'en ressens une fatigue impitoyable. J'ai beau me coucher à 21 heures 30 chaque soirje sens mes nerfs s'user, mon humeur se détériorer.  Le plus mince effort m'essouffle, j'ai un besoin hurlant de repos, ne serait-ce que 48 heures. Je n'ai pas pris huit jours de permission depuis plus de deux ans, toujours en alerte à voler ou bloqué au bureau par quelque travail administratif. D'ailleurs, où aller ?

Ces jours-ci, j'ai bien essayé de m'arrêter, envisageant avec effroi la dure période de combats qui menaçait de plus en plus impérieusement notre quiétude.  Il me faudra toutes mes forces et toute ma santé.  J'ai donc enrayé toute activité offensive, ne me bornant qu'à aller au bureau.  Mais ce relâchement de trois jours m'a amolli les nerfs et la volonté.  Je suis toujours aussi éreinté.  Demain matin, je repars !"

©
Aérostories, 2001.

Service Historique de l'Armée de l'Air

En juin 1940, quelque part sur un terrain du sud de la France ou d'Afrique du Nord, les hélices des Caudron Goéland ont été démontées et posées sur le sol, mesure "définitive" pour empêcher toute tentative d'évasion vers l'alliée d'hier, la Grande-Bretagne. Le Goéland avec lequel René Mouchotte et ses camarades partirent d'Oran, le 30 juin 1940, avait été "panné" par le blocage du mécanisme de changement de pas des hélices; une mesure difficilement détectable dans les conditions de leur évasion et qui aurait pu avoir des conséquences tragiques.

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Collection S.H.A.A.

"Gibraltar, après l'évasion!"
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Collection SHAA

Mort d'un Français Libre

Radio Rome a rapporté la nuit dernière que la cour martiale de Toulon a condamné à mort un Français nommé Lucien Dechard, capturé alors qu'il tentait de rejoindre les Forces Françaises Libres du général de Gaulle.

Coupure de presse britannique. Traduction SHAA
En regard de son écriture, René Mouchotte avait collé un certain nombre de documents (photographies, coupures de presse françaises ou britanniques).

"9 juin 1943. Quel bel appareil ce Focke-Wulf, vu de près, et surtout de dos, ne pouvais-je m'empêcher de penser!"
Ce Fw 190 A de la Jagdgeschwader 26, également basé sur les côtes de la Manche, est vu ici lors d'un passage au Bourget. Jusqu'à l'arrivée du
Spitfire IX, ce magnifique et redoutable chasseur surclasse aisément ses opposants britanniques et leur cause de lourdes pertes.

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Collection Jean-Yves Lorant

La dernière photographie de René Mouchotte, juste avant le décollage pour sa dernière mission, le 27 août 1943.

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Photo Pierre Clostermann

Biographie de René Mouchotte