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Les Belges et l'air
S'il est communément
admis que la France est le berceau de l'aviation, la Belgique
a eu également son heure de gloire en matière de recherches et
de construction aéronautique. Épopée quelque peu oubliée, en particulier
du fait qu'après la Seconde Guerre Mondiale, une nation de
dimensions modestes (et de plus ruinée par le conflit) ne pouvait
plus être en mesure d'assumer, comme dans les années vingt
ou trente, une production aéronautique strictement nationale,
hormis peut-être pour quelques appareils de tourisme.
La Belgique ne se contenta pas de jouer les spectatrices en matière
de conquête de l'air et fournit son lot de pionniers, mais
aussi de constructeurs, dont certains connurent un certain succès.
On oublie un peu trop volontiers la nationalité belge de Jean
Stampe, et le fait qu'un pionnier non négligeable des voilures
tournantes, Nicolas Florine, était établi dans une Belgique dont
il avait adopté la nationalité. Quant à Alfred Renard, il fera
sortir de ses ateliers quantité d'appareils dont certains,
comme le R-31, participeront à la campagne de 1940, ou encore
le prometteur chasseur R-36 ( auquel le gouvernement belge préféra,
pour des raisons mal élucidées, le Hawker Hurricane ), le
plus surprenant demeurant sans doute le R-35 stratosphérique.
Ph. Ballarini
Le Renard R-35
: histoire
"La perte de l'avion
stratosphérique R-35 nous enlève un pilote de grande classe et
détruit un grand effort technique". Cette phrase, que l'on
pouvait lire en 1938 dans la presse, confirmait l'anéantissement
d'une des plus belles machines dont pouvait se glorifier l'industrie
aéronautique belge.
C'est en effet en Belgique, à l'usine Renard, que fut
étudié et construit le premier avion commercial à cabine pressurisée,
ce programme fut élaboré au cours des années précédant la Seconde
Guerre Mondiale.
Pour reprendre les termes employés à l'époque, "cette
disposition soustrayait équipage et passagers aux variations de
pression de l'air en altitude et rendait possible la navigation
dans des conditions météorologiques plus favorables. Franchir
sans danger les plus hauts obstacles était également un facteur
non-négligeable. De surcroît, les passagers bénéficiaient d'un
confort accru du fait de l'isolement parfait (mécanique et
thermique) de la cabine avec le milieu extérieur; même près du
sol, les variations de pression dues à une descente rapide n'auraient
pu produire dans l'oreille les perturbations si désagréables
et l'assourdissement prolongé qui en découle".
De nos jours, il est hors de question d'entreprendre un long
voyage aérien autrement que dans un avion équipé d'un dispositif
de conditionnement d'air; aussi pour comprendre le sens de
la littérature que l'on vient de parcourir, faut-il se reporter
à l'esprit des années 1937-1938 pour saisir toute l'attention
que pouvait susciter cette innovation. Cette littérature qui paraît
désuète aujourd'hui, marquait cependant un désir de perfectionnement.
La firme Renard recherchait le moyen de ramener dans des proportions
raisonnables la fatigue physique d'un pilote dont les facultés
sensorielles risquaient de s'émousser après un vol de longue
durée à haute altitude. Ce furent-là les idées sur lesquelles
Monsieur Renard se pencha pour dessiner son trimoteur R-35. Après
les calculs, plans et essais de la maquette au tunnel de Rhode-St-Genèse,
la construction fut entreprise.
La silhouette demeurait classique, si ce n'est la présence
de hublots de petites dimensions remplaçant les fenêtres habituelles.
Au sujet de ces hublots, Charles Rooms rapportait une anecdote
dans ses "Mémoires". On se souviendra que Rooms fut
le pilote qui réalisa la mise au point du R-31. Il suivit avec
beaucoup d'intérêt la fabrication du trimoteur commercial
nourrissant l'espoir secret d'en effectuer les essais.
Considérant que les six hublots du pare-brise ne permettaient
pas l'évacuation de l'équipage en cas d'urgence et
au cours des premiers vols, il dit avoir demandé à Monsieur Alfred
Renard l'installation d'un panneau amovible regroupant
deux des hublots.
Ce ne fut pas à Charles Rooms que fut confiée la mise au point
mais à Georges Van Damme, un adjudant de réserve de l'Aéronautique
militaire. Le prototype s'écrasa lors de son premier vol,
le 11 avril 1938.
La revue "L'Aviation Illustrée" du mois de mai rappela
dans son éditorial que les conditions atmosphériques n'étaient
pas favorables pour entreprendre les essais du R-35 et mit en
cause la responsabilité du chef d'aérogare de Bruxelles-Evere
qui, suivant l'éditorialiste, aurait dû en interdire le décollage.
Des témoins rapportent que le trimoteur ne devait pas décoller,
le pilote devant se limiter à rouler "queue haute" pour
présenter l'avion aux personnalités et aux journalistes de
la presse écrite et filmée qui avaient été invités à la démonstration.
Alfred Renard recevait des fonds du FNRS en fonction de l'avancement
des travaux. Une première tranche avait été versée pour la fabrication
des divers éléments de l'avion, une tranche suivant pour l'assemblage,
une autre pour le montage des moteurs et ainsi de suite. Les évolutions
du 1er avril 1938 devaient démontrer la maniabilité
de l'avion au sol et surtout présenter l'avion au public,
ce qui devait permettre l'obtention de la tranche suivante
et poursuivre l'aménagement et les essais de l'appareil
qui ne devait pas décoller ce jour-là. A bord d'un avion
dont les calculs de poids et de centrage n'étaient pas terminés,
Van Damme aura peut-être voulu en faire plus que ce qui était
prévu au programme. Tous ces témoins, anciens navigants pour la
plupart, s'accordent à penser que l'adjudant G. Van Damme
était réellement un pilote d'acrobatie sensationnel mais qu'il
n'était pas l'homme indiqué pour procéder aux essais d'une
machine si différente de celles qu'il avait l'habitude
de piloter.
On ne vit pas longtemps la silhouette trapue du Renard R-35, avion
de formule inédite qui fut une belle preuve du dynamisme aéronautique
belge d'avant-guerre. Le 00-ARM, immatriculé le 28 mars 1938
sous le N° 434, fut rayé le 23 mai des registres de l'Administration
de l'Aéronautique.
Un accident que l'on aurait pu qualifier de banal s'il
n'avait pas été aussi tragique: la mort d'un pilote et
l'anéantissement d'un projet. Les causes restèrent très
obscures. On parla d'une rentrée prématurée des volets
d'intrados mais sans aucune preuve. Quoiqu'il en soit,
était-ce une bonne formule de décoller seul à bord d'un trimoteur
comportant autant de nouveautés ? N'était-ce pas là une preuve
de témérité excessive? Le R-35 disparut emportant son secret.
©Aérostories,
2002.
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: construction et caractéristiques
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