|
Non seulement les Soviétiques ne furent pas en reste quant à la recherche dans le domaine des appareils composites, mais ils peuvent faire figure de pionniers. Les différents essais qu'ils firent dans les années trente, en particulier à partir de leur quadrimoteur lourd Tupolev TB-3 en témoignent. Cet appareil, qui fut le premier bombardier stratégique de l'histoire de l'aviation, fut envisagé ou utilisé pour quantité de missions de types divers, tantôt armé de torpilles planantes, tantôt transport de parachutistes, bombardier, appareil d'expéditions polaires ou transport de chars... Mais son utilisation la plus originale fut sans doute celle qu'il connut sous la forme d'un appareil porte-avions, sous la dénomination "Samolyot Zveno".
Dès 1931, l'ingénieur V.S. Vakhmistrov avait appréhendé les failles des théories de G. Douhet, une bonne décennie avant que les Américains ne fassent les frais d'une confiance exagérée dans l'invulnérabilité de groupes des bombardiers lourds, même équipés de puissants armements de défense. Comprenant que ces appareils lents et peu manœuvrants, même évoluant à haute altitude, seraient une proie de choix pour des intercepteurs, il envisagea de placer au sein des vagues de bombardiers des appareils composites, en l'occurrence des bombardiers lourds emportant des chasseurs, développant un concept d'avion porte-avions.
Les Zveno d'escorte
Les premiers essais furent effectués le 31 décembre 1931 à partir d'un TB-1 bimoteur emportant deux chasseurs I-4 modifiés (on en avait démonté l'aile inférieure) sur ses ailes et valurent à Vakhmistrov et aux pilotes d'être décorés de l'Ordre de L'Etoile Rouge. L'autonomie du TB-1 étant insuffisante, on passa de 1933 à 1935 à la version Zveno Z-2 constituée d'un TB-3 transportant un Polikarpov I-5 sur le fuselage et deux autres sur les ailes. Le but étant la protection de la vague de bombardiers, les chasseurs devaient maintenir leur moteur en marche durant toute la mission afin de pouvoir intervenir rapidement. Leur autonomie étant évidemment bien moindre que celle de leur porteur, ils étaient alimentés en carburant par leur porteur, et ce jusqu'à l'éventuelle séparation.
Dans la configuration Zveno Z-3 de 1934, deux I-Z monoplans étaient suspendus sous les ailes du TB-3 "Aviamatka" ("avion-mère") par des trapèzes dépliables. Le premier essai se solda par une catastrophe entraînant la mort du pilote d'essais et une mise à l'écart de l'armée de l'ingénieur Vakhmistrov. Le développement du Zveno 5 fut l'occasion d'une première mondiale. Le 5 avril 1935 , à 1000 mètres au-dessus de la base de Monino, le pilote Stepanchenok vint accrocher son monoplan I-Z à un trapèze déployé sous le fuselage d'un TB-3, réalisant ainsi le premier "rendez-vous" de l'histoire de l'aviation. Compte tenu de la configuration du Zveno 5, il était impossible au TB-3 de se poser en mode composite, le I-Z devait se décrocher à nouveau avant l'atterrissage. C'était une première approche de la délicate question de la récupération du chasseur "parasite". En effet, amener des intercepteurs ou des chasseurs sur le lieu des combats pouvait être une démarche séduisante, mais ces appareils légers manquant d'autonomie pour rejoindre leurs lignes après les combats, la question de leur retour n'était pas simple à résoudre. On peut imaginer que c'est cette délicate question qui amena les VVS (Forces Aériennes Militaires) à ne pas retenir la solution pourtant apparemment séduisante du Zveno Z-6, composé d'un TB-3 et de deux I-16 type 5 suspendus sous les ailes, mais non récupérables en vol. Vakhmistrov, victime des purges staliniennes, put néanmoins continuer à travailler sur ses projets et finit par résoudre en 1939 la délicate question du retour des chasseurs avec le Z-7, où les chasseurs pouvaient venir se suspendre à nouveau à "l'avion-mère". Toutefois, ce projet ne fut pas retenu, car si la manœuvre était jugée délicate pour des pilotes d'essais, elle était résolument difficile par un pilote moins qualifié. Dans le cadre d'opérations militaires, cette combinaison eût été aussi dangereuse pour les utilisateurs que pour leurs ennemis! En tout état de cause, l'opération Barbarossa et la rapide avancée allemande mit un terme à ce projet.
La défense aérienne
L'idée initiale de Vakhmistrov, en l'occurrence la défense par des intercepteurs des groupes de bombardiers lourds par des intercepteurs "embarqués", ne fut pas la seule qui retint son attention. Il trouva dès 1935 une autre application, spectaculaire s'il en est, à son procédé. Compte tenu de l'importante capacité d'emport du TB-3, mais aussi de la nécessité (morale?) de permettre aux intercepteurs de regagner aisément leurs lignes en dépit d'une autonomie limitée, il envisagea d'appliquer son système de composite à la défense de zones "sensibles", comme les agglomérations urbaines ou industrielles. En effet, pour assurer une veille efficace, la seule solution efficace au milieu des années trente consistait à maintenir en permanence en vol une importante flotte de chasseurs, se relayant sans cesse. Le composite développé à cet effet, l'Aviamatka PVO, était un assemblage de pas moins de six appareils! En novembre 1935 fut testé avec succès cette configuration, le TB-3 "mère" emportant dès le décollage deux I-15 sur ses ailes et deux I-16 suspendus sous les ailes. Une fois en vol, il déploya un trapèze auquel vint se suspendre le I-Z piloté par Stepanchenok. Vakhmistrov étudia même une configuration comportant davantage d'appareils qui venaient se suspendre sous les ailes du TB-3 à tour de rôle. Si les VVS n'avaient guère été séduites par les Zveno, la Marine y avait montré un intérêt certain, entre autres pour le projet du composite Aviamatka PVO qu'elle comptait utiliser à la protection de ses navires et de ses bases navales.
Les Zveno en mission offensive.
Les composites Zveno avaient été conçus afin d'effectuer des missions défensives pour lesquelles ils ne furent jamais utilisés en opérations. C'est pourtant pour des missions d'attaque qu'ils furent finalement utilisés. L'acharné Vakhmistrov avait proposé en 1936 une combinaison qui, pour autant qu'elle semblât moins spectaculaire que d'autres, relevait d'un usage bien différent. Il ne s'agissait pas, cette fois, d'emporter des chasseurs chargés d'une mission de défense, mais d'utiliser des Polikarpov I-16 munis deux bombes de 250 kg. Au printemps 1941, les essais du composite Zveno-SPB (bombardiers en piqué rapides) furent concluants. Après bien des vicissitudes, ordres et contrordres, alors que les appareils étaient basés en Crimée, il fut décidé de les utiliser contre des installations portuaires et pétrolifères en Roumanie. Afin de garantir le retour des I-16 de bombardement, on équipa les I-16 d'un réservoir supplémentaire.
La première mission opérationnelle de composites eut lieu le 26 juillet 1941, date à laquelle deux Zveno-SPB larguèrent leurs quatre I-16 à proximité du port de Constanza. Détail intéressant: la Flak ne chercha pas à les abattre, tant leur présence si loin de leurs bases était difficilement compréhensible. Le succès de l'opération amena donc une utilisation réitéré des Zveno, contre des oléoducs, des ponts, puis divers objectifs terrestres.
A la fin octobre 1941, l'arrivée de la Wehrmacht à l'usine d'Evpatoria où étaient assemblés les Zveno mit un terme à ces missions. Pour autant, on notera qu'en dépit du caractère purement expérimental du procédé, les résultats étaient intéressants puisqu'en 29 sorties, seuls trois I-16 furent perdus (aucun TB-3) et que les pourcentages de coups au but étaient réellement significatifs.
Les Zveno furent un avatar intéressant de la grande variété d'utilisations diverses et variées d'un Tupolev TB-3 décidément mis à toutes les sauces, puisque dans l'esprit des "Mistel" allemands, il fut même essayé comme bombe volante chargée de 3500 kg d'explosifs, radioguidé par un appareil volant à ses côtés.
© Aérostories, 2001.
|
|